Chapitre 7 (4/4)

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Victor mis sa main sur l'épaule de William qui lui rendit son geste. Bientôt ils sauraient tous, il s'en fit la promesse.

La porte de la chambre de Garance s'ouvrit. Isabelle en sortit, fit face au maître des lieux et s'inclina.

— Nous avons terminé, mon seigneur.

— Merci, Isabelle.

La domestique sourit respectueusement aux deux hommes puis s'éloigna en direction de l'escalier principal. Ils entrèrent dans la chambre. Victor referma la porte tandis que William s'approchait du lit de sa sœur. Il déposa sa lame contre le mur près de son lit. Garance préférait la garder près d'elle plutôt que sur le petit râtelier près de l'entrée.

Assise dans son lit sous deux épaisses couvertures, elle le remercia. Elle repoussa ses cheveux blonds derrière ses oreilles. Maintenant détachés, ils lui tombaient jusqu'au milieu du dos. Ses mains tremblaient légèrement. Garance avait compris que son état était le contrecoup dont Sérion avait parlé sur le chemin du retour. Entre les cauchemars et les voix imaginaires, elle redoutait quelques peu les jours à venir.

Victor rapprocha les deux chaises du lit pour discuter tranquillement.

— Alors, sœurette, cette première rencontre avec les Abysses ? Ton baptême de l'ombre comme dirais certains. Comment était-ce ?

— Particulier... C'est...difficile à décrire.

Garance avait vraiment été troublé par cette expérience. Elle avait du mal à imaginer que cela puisse être le quotidien de certaines personnes.

— Sérion m'a dit que tu avais été prise d'hallucination.

— Oui...

— Qu'est-ce que tu as vu ?

William avait bien senti l'hésitation de sa sœur mais il fallait qu'elle parle. Suite à ce genre d'expérience, se murer dans le silence était très loin d'être le meilleur des remèdes et était fortement déconseillé. Victor tenta de la rassurer.

— N'aie pas peur d'en parler, Garance. Si cela peut aider, prends cela comme quand tu faisais des cauchemars étant enfant. Tu te souviens, ta mère te demandait toujours de les raconter.

— Oui, c'est vrai...

Garance prit une profonde inspiration. Tournant son regard en direction des deux hommes, elle leur fit part de l'ensemble de sa « rencontre » ainsi que de la peur et de l'incompréhension qu'elle avait ressentie. La jeune femme finit son explication avec le passage qui l'avait le plus marqué.

— Lorsqu’il a mentionné maman... C'est comme si...comme s'il l'avait déjà rencontrée...

Les précisions de Garance ne firent que conforter Victor dans ses hypothèses. Mais qu'avait-elle donc bien pu faire ici-bas ?

William sourit, ne sachant rien des pensées de son père, et tenta d'aider sa sœur à relativiser.

— N'en pense rien, Garance. L’Inconnu se plaît à jouer avec nos nerfs et nos émotions. Et ce que tu viens de raconter n’est pas très différent de ce qui m'est arrivé quand j'avais dix-neuf ans.

— Oui, c’est vrai. Tu m’avais vraiment fait peur ces jours-là.

— En tout cas, nous savons au moins dès à présent l’origine de notre malaise.

William acquiesça aux mots de son père puis releva la tête en direction de sa sœur. Elle serrait fortement le drap de ses poings. Ne bougeant pas, elle semblait fixer un point inconnu dans le mur face à elle. Ses yeux étaient rouges de larmes. L'une d'elle glissa lentement le long de sa joue gauche.

— Elle me manque...tellement..., dit-elle d'une petite voix tremblotante.

William s'assit au bord du lit. Il déposa sa main sur l'une des siennes qu'il parvint à desserrer doucement. Il la plaqua ensuite entre ses deux mains et lui caressa la peau. Victor passa de l'autre côté du lit. Il s'assit sur la bordure, au plus près d'elle, puis il la serra dans ses bras, laissant sa tête retomber sur son épaule. Il embrassa ses cheveux.

— Je sais, Garance, je sais. A nous aussi elle nous manque terriblement.


*****


Le commandant était retourné dans son bureau aussitôt Garance endormie, laissant à William la charge de veiller sur elle. Il était assis à son bureau, en compagnie de son second, qui se tenait debout non loin de lui, face à une vieille carte de la Nouvelle-Essenie.

— Bien... Revenons-en au reste. Si je récapitule l'ensemble des événements... (Il se saisit d'un morceau de parchemin et y jeta un rapide coup d’œil.) Concernant les intrus de la crypte des Beaumont...

Walther se retourna puis s'appuya contre le buffet en bois qui se trouvait sous la carte. Il croisa ses bras.

— J'y ai envoyé Morga, ce matin à l'aube, et ils lui ont répété la même chose qu'à Garance... (Il soupira.) Victor... Un de ces jours, il faudra que l'on s'occupe d'eux. Ces crétins vont finir par devenir un problème....

— Je sais, je sais, lui répondit-il, agacé. Et ensuite ?

— Elle a emprunté la galerie et a tenté de traquer nos indésirables. Elle a réussi à suivre un semblant de piste mais la faible signature magique a fini par s'évaporer au bout de quatre cents mètres environ. Elle est rentrée bredouille.

— Où ?

— A un embranchement au nord du deuxième. Mais si comme nous le suspectons nous avons à faire à des gens bien informés, la seule galerie viable pour eux serait celle qui mène au troisième puis au quatrième, au plus près des catacombes. Je vois difficilement une autre option.

Walther s'éloigna du mur puis vint s'asseoir dans un des deux fauteuils placés face au bureau de Victor. Il posa ses bras sur les accoudoirs et croisa les jambes.

— Les catacombes... Kaerolyn les mentionne dans son journal. Du moins, dans un des extraits que nous avons pu déchiffrer, pensa-t-il à voix haute.

Des deux journaux d'études que sa femme avait rédigé sur sa dernière expédition, Victor n'avait pu mettre la main que sur le premier. Comme il s'y était attendu, certains courts passages avaient été rédigés dans un code personnel connu de Kaerolyn seule mais d’autres l’avaient été dans une langue apparemment connue de personne. Ce qui l’avait véritablement surpris.

Avec l'aide d'Alan et de Galbali, il était parvenu à déchiffrer l’ensemble des extraits codés mais rien de ce qu'ils avaient lu ne leur avaient clairement indiqué ce qu'il s’était réellement tramé à l’époque. Et impossible de trouver une solution quant à ces mystérieux passages à la fin du carnet. Tant d'efforts pour si peu d'avancées. Cela l'avait chagriné.

Walther avait lui aussi eu accès aux carnets de Kaerolyn. De ce qu'il en avait compris, l'épouse de son supérieur et ami de longue date, avait été sur une piste. Elle n'avait pas organisé de fouilles mais une véritable chasse au trésor qui s'était terminée tragiquement, pour elle et ses compagnons. Kaerolyn avait été proche de quelque chose d'important, mais à ce jour, il était impossible de dire quoi.

— Ce qui nous amène à un autre point de notre liste, Victor. Les spectres dont nous nous sommes débarrassés pour les Noirelames...

— Qu'en est-il d'eux ?

— Une fois localisés, Sérion et Garance les ont entendu se plaindre d'avoir été « chassés ». Sachant qu'ils s'éloignent rarement des catacombes et considérant l'attaque qu'ils ont mené sur les contrebandiers, ce qui est très inhabituels, je... Les deux affaires semblent liées... C'est en tout cas mon intuition.

— Intuition qui nous a rarement fait défaut...

Victor reposa sa tête contre le cuir du fauteuil. Il ferma les yeux quelques instants et prit une profonde inspiration.

— Quelque chose cloche et je n'aime pas ça... Sans parler des autres imbéciles... Et comment ces nains ont-ils fait pour passer ce maudit sceau ? Et un d'entre eux qui parvient à survivre aussi longtemps ? C'est ridicule.

Walther pouvait sentir l'agacement dans sa voix mais aussi une profonde inquiétude. Inquiétude qu'il partageait aussi, sans que rien ne la laisse apparaître. Il poursuivit la réflexion de son ami à voix haute.

— Ce qui l'est encore plus, c'est qu'ils auraient fait face à des Abyssaux... Sachant que la zone à laquelle permet d'accéder la porte est entièrement isolée du reste du cinquième sous-sol... Et tout en sachant que les quelques rares qu'ils restent se trouvent dans les profondeurs du sixième et surtout du septième... Penser que des Abyssaux soient parvenu à y accéder est complètement...

Inconcevable ? Fou ? Walther ne savait pas quel mot précis employer. Il soupira longuement.

— Si je résume, au vu du peu d'informations dont nous disposons, il y a deux hypothèses. Soit la force qui s'est manifesté n'était rien de plus que l'énergie abyssale rémanente et dans ce cas-là, ils ont probablement tous halluciné et se sont entretués jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un qui est parvenu miraculeusement à survivre et à retrouver son chemin. Soit, et cette hypothèse ne me plaît guère, ils ont véritablement été confronté à des Abyssaux et dans ce cas-là, le Sang noir n'est probablement pas loin. Mais comment cela serait-il possible ? Cela fait des siècles que le Monolithe n'est plus...

Victor avait du mal à accepter la réalité de cette possibilité et de ce qu'elle impliquait. L'apparition d'une de ces structures noires était l'une des pires choses qui soit en ce monde. Et qui disait monolithe, disait Archonte. Et certains d’entre eux que de nombreux spécialistes allaient même jusqu'à comparer à des dieux vivants.

C'était probablement le pire des scénarios catastrophes pour cette ville. Aussi corrompue et pourrie qu'elle pouvait être, elle ne méritait cependant pas de connaitre la sombre et froide caresse des Abysses. Quelle idée aussi que d'aller construire une ville sur une autre plus ancienne, décrépie et réputée maudite ? Mais Victor n'était pas sans savoir que, de tout temps, les humains avaient été sans cesse attirés par les lieux de pouvoirs, en particulier par les ruines ashéennes, avec leur beauté mystérieuse et leurs sombres secrets.

— Walther, tu m'as dit que Sérion, au meilleur de sa forme, avait eu grand peine à refermer la porte, seulement « entrouverte », d’après ses dires. Par conséquent, explique-moi comment un nain à moitié fou et gravement blessé a pu l'ouvrir ? Et dans l'hypothèse où il y aurait encore des Abyssaux au fin fond de ces galeries... Comment a-t-il survécu et comment est-il parvenu à retrouver son chemin dans sa confusion et le danger qui rôdait tout autour de lui ? Je ne veux pas spéculer mais... C'est comme si...

— L'hallucination de Garance n'en est peut-être pas une finalement...

L'affirmation de Walther le coupa dans sa pensée. Son second avait mis le doigt sur un point important. Si l'hallucination de Garance n'en était pas une, cela voulait dire que ce qu'elle avait vu n'était rien de moins qu'un Abyssal, et qu’elle avait bien faillit y passer. Mais comment expliquer que Sérion l’ai vu pourchasser un spectre pour s’évanouir devant l’entrée du cinquième ? L’influence de l’Inconnu serait si forte que même Sérion aurait été affecté ?

Ces pensées rendaient Victor de plus en plus anxieux. Si une telle menace s’avérait, personne ici n'était vraiment prêt à y faire face. Il ferma ses yeux et se pinça l'arête du nez. Un long soupir s'en suivit.

— Les choses vont beaucoup trop vite... Walther...plus le temps passe et plus j'ai l'impression que quelque chose s'est réveillé, là, en-dessous. Sans parler que nous manquons de moyens et surtout de temps. Et je n'ai plus l'influence politique d'avant... Je ne peux pas me permettre la moindre erreur... Il nous faut découvrir la vérité, que nous sachions exactement ce qui se trame en bas. En attendant, et à partir de maintenant, il va nous falloir agir discrètement. Walther... Demain matin, aux premières lueurs du jour, va dans les souterrains voir le chef des Noirelames. Demande-lui où ils ont balancé le cadavre du nain, s'ils ne l'ont pas brûlé, et examine-le. Prends Morga avec toi. A part elle, je ne veux personne d'autre au courant pour le moment.

— Ce sera fait, Victor.

— Profites en aussi pour te renseigner auprès d'eux sur cet étrange personnage aux yeux blancs. Ils en auront peut-être entendu parler. Assure-toi qu'il s'agisse bien d'un des leurs. Avec ce qu'il se passe en ce moment, tout ce qui a un lien avec les souterrains est d'importance. Pour ma part, j'irais rendre une petite visite à Alan. Si les « rumeurs » nous concernant ont déjà atteint les gardes de la cité, je ne serais pas surpris de voir les membres de la cour s'agiter.

— Pour le moment, il ne s'agit que de « rumeurs » mais aussitôt qu'ils auront obtenus un semblant de preuves concernant ces dires...

— Concernant ce sujet, la réelle question n'est pas « s'ils en auront une » mais « quand ». Et aussitôt que ce sera le cas, soit sûr que nous recevrons dans l'instant une jolie petite convocation de la part de sa très gracieuse Majesté...

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