Chapitre 10 (4/4)

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Le commandant Mortis prit une profonde inspiration tout en se frottant la tempe de la main droite. Il tourna son regard vers Cillien. Celui-ci semblait attendre sa réponse avec grande impatiente.

— Nous suspectons de plus en plus la présence d'Abyssaux, et peut-être même d'un Archonte, dans les niveaux les plus profonds et isolés d'Agrisa.

Le visage du messager se décomposa.

— Dieux tout puissants...

Il défaillit mais parvint à s'installer à temps dans un des deux sièges qui faisaient face au bureau. Le pire était peut-être sur le point de se produire. Si une seule de ces créatures maudites parvenait à la surface... Il préférait ne pas y penser.

— Je suis navré. J'aurais préféré avoir de meilleures nouvelles à annoncer.

Garance se dirigea vers la desserte où se trouvait l'habituelle carafe de vin. Elle présenta au messager un verre vide et la bouteille auxquels il opina. Elle le remplit avant de lui donner et l'homme engloutit la moitié du contenu en quelques gorgées. Garance s'installa ensuite dans le fauteuil à la gauche du secrétaire.

— Pensez-vous donc que cet individu aux yeux blancs puisse avoir un quelconque lien avec cette sinistre affaire ? demanda-t-il en se frottant nerveusement le front du bout des doigts.

— Nous n'en savons rien pour le moment. Comme je vous l'ai dit, nous tâchons toujours de voir si ce lien est possible. Mais je ne puis en dire plus sur le sujet à l'heure actuelle.

— Avez-vous mis qui que ce soit d'autre au courant ?

— Non, vous êtes le premier. Je n'ai aucune preuve concrète à apporter à la cour. Et avec les dissensions grandissantes, je doute fort qu'ils prêtent grande attention à mes propos. Au pire, certains pourraient même être tentés de les retourner contre moi et les miens.

En effet, certains prêtres d'Aelleon, parmi les plus fanatiques, pointaient du doigt la Légion et les Mortis à chaque tragédie provoquée par l’Inconnu, les accusant d'être responsables de son apparition, ou encore qu'il fût une punition infligée par les Divins au bon peuple de l’Alen pour avoir accueilli et laissé croître en son sein la plaie qu'ils étaient supposés être. Et quand ces détracteurs ne les blâmaient pas d'en être l'origine, ils leur reprochaient de l’avoir imaginé dans le but de couvrir leurs méfaits et leur envie dévorante de pouvoir. Du moment que les Ecarlates n'insultaient pas leur version du Père de la Lumière, tous les coups étaient permis. Ils se moquaient des autres cultes, petits ou grands. Seule leur vérité comptait.

— Je transmettrais ceci à l’Oth-Diath et à la Diath. Elles doivent être au courant.

— Seulement elles, par pitié. Le Diath Herlemond me sautera à la gorge aussitôt qu'il aura vent de cela.

— Soyez rassuré dans ce cas. La Diath Héloïse est très loin de porter dans son cœur le dirigeant de la Maison Aelionnienne.

— Merci.

— Et je doute fort que son Excellence ait besoin de faire part de cela au Diath Volusien. Les serviteurs de Lothrean ont cette vilaine manie de laisser traîner leurs yeux et leurs oreilles. Je ne serais guère surpris qu'il soit déjà au courant de vos...suspicions.

— Ce sentiment est partagé.

Un long silence s'en suivit. Cillien finit nerveusement sa coupe de vin puis la posa sur le bord du bureau. Le messager soupira.

— Puisque nous parlons de la cour royale, j'ai aussi une information de la Diath les concernant, et ce en rapport à ce qu'il s'est passé hier dans l'après-midi.

Garance parut surprise. Son père le remarqua et lui résuma ce qu'il en était.

— Le roi est finalement au courant pour les exactions à l'est d'Alen. Il l'a appris hier dans l'après-midi.

La jeune femme se contenta de soupirer de dépit. Pour eux, les choses n'allaient qu'empirer. Le jour du départ se rapprochait de plus en plus.

Victor s'excusa auprès de Cillien pour son interruption et l'invita à poursuivre.

— Compte tenu du climat tendu et des circonstances étranges, Son Excellence tâchera de garder ces disparitions dans l'ombre pour le moment. La garde n'en sera pas avertie, bien qu'il s'agisse de la procédure habituelle. Son Excellence tient aussi à vous réitérer sa confiance en votre travail et en vos capacités, quoi qu'il ait pu se produire ailleurs. Elle tâchera de vous épauler au mieux jusqu'au bout, quoi que vous choisissiez d'entreprendre. Par ailleurs, mes deux maîtresses sont profondément navrés de l'évolution de votre situation. Au vu des récentes...nouvelles, la Diath a tâché de faire ce qu'elle pouvait pour vous soutenir auprès de la cour, lors de la grande Session de la veille, malheureusement en vain. Cependant, soyez conscients que les gestes de son Excellence ne vous permettront de gagner que quelques jours de répit... En espérant que cela soit suffisant pour vous permettre d'arriver au terme de votre enquête et en espérant très sincèrement que vous vous trompiez sur son probable résultat...

Garance et Victor soupirèrent de soulagement. Les liluéens n'avaient pas l'intention de les laisser tomber.

— Bien, je vais vous laisser. (Cillien se leva.) L’Oth-Diath et la Diath doivent être averties au plus tôt. Y a-t-il quoi que ce soit d'autre de plus que je puisse transmettre à mes maîtresses par la même occasion ?

— Juste une chose. Par mesure de précaution, tâchez de vous assurer au mieux que la population demeure éloignée des souterrains. Faites cela discrètement. Et pour ce qui est des Noirelames... Ignorez-les. Je doute fort qu'ils soient responsables de ce qu'il se trame en bas.

— Très bien.

Victor se leva et Garance fit de même.

— Merci de vous être déplacé. Transmettez nos amitiés à l’Oth-Diath et à son Excellence.

— Je le ferai. Au revoir et que la Grâce des Dieux vous accompagne en cette période trouble.

Cillien s'inclina. Garance raccompagna leur visiteur jusqu’à la sortie de l’hôtel. Elle s'adressa à lui une fois arrivés dans la cour.

— Cillien, puis-je me permettre une question ?

— Je vous en prie, Dame Mortis. Que puis-je pour vous ?

— Le jeune garçon, Dacien, comment s'en sort-il ?

Le regard triste, Cillien hésita un instant. Les Chevaliers noirs avaient beaucoup à faire et il ne souhaitait pas les troubler inutilement mais il préféra se montrer honnête avec elle.

— Je ne vais pas vous mentir, il va plutôt mal. Depuis son retour du Sanctuaire des Trois, il s'est muré dans le silence. Les prêtresses ne savent plus quoi faire. Elles s'inquiètent beaucoup.

Ils arrivèrent devant la porte principale de l'hôtel et Garance déverrouilla le loquet.

— Je vois.

— Une raison particulière à cela ? demanda-t-il tandis que Garance ouvrait la porte.

Elle s'écarta pour le laisser passer puis sorti à son tour, juste derrière lui. A l'extérieur, aux abords de la rue, Irvirn, Dioprance et Cebeon veillaient au grain.

— Non, c'est juste que...un de mes compagnons a été très touché par sa détresse même s'il n'en a rien montré sur l'instant.

— Sire Altra, je présume ?

Ils s’arrêtèrent à quelques pas de l'entrée.

— Oui.

— Je vois... Je doute que l’Oth-Diath soit opposée à ce qu'il rende visite au jeune Dacien. Qui sait ? Peut-être cela l'aidera-t-il à sortir de son mutisme ?

Garance sourit.

— Je le lui dirais, merci. Bonne journée à vous.

— Dame Mortis, dit-il en inclinant légèrement la tête.

Cillien pris la direction du Sanctuaire des Trois. Bien qu'envoyé par l’Oth-Diath, il avait des nouvelles alarmantes à transmettre et plus tôt la Diath serait au courant, mieux cela serait. Avec le beau temps, la rue était bondée et les gens allaient et venaient dans tous les sens. Garance observa en silence le messager s'éloigner dans la foule.

Les trois légionnaires scrutaient Garance d'un œil inquiet. Ils ne l'avaient pas vu pendant plusieurs jours, et bien que le commandant leur ait assuré de sa bonne santé, certains n'en demeuraient pas moins encore soucieux.

— Tout va bien, Garance ? Tu as l'air morose.

La jeune femme sursauta et se tourna vers la légionnaire.

— Ne t'en fais pas, Dioprance. Je vais bien. C'est juste que...

Elle soupira. La situation actuelle des siens l'inquiétait, et ce, de plus en plus au fur et à mesure des découvertes.

— C'est juste que ?

Soudainement, une sensation étrange mais familière parcourut la mage et un frisson lui glaça l'échine. Elle avait de nouveau cette sensation d'être épiée. Du coin de l’œil, elle vit une ombre bouger un peu plus loin sur sa droite. Intriguée, elle ignora Dioprance et se tourna dans la direction d'où cette sensation émanait.

Et là, au beau milieu de l'avenue, se tenait un être qu'elle aurait préféré ne jamais revoir, le sinistre Lua. Sa gorge se serra. A nouveau, sa perception de la scène se troubla quelque peu. Autour d'eux, et pendant quelques instants, les gens avançaient au ralenti. Aucune de ces personnes, pas même les légionnaires, ne voyaient la créature qui se tenait au milieu de l'avenue.

Cette vision ne dura que quelques secondes. Il ne lui parla pas et se contenta de l'observer en silence, immobile. Enfin, tout aussi soudainement qu'il était apparu, il disparut lorsqu'un couple passa tranquillement devant lui, comme s'il n'avait jamais été là. Garance cligna plusieurs fois des yeux. Elle tentait d'être sûre de ce qu'elle avait vu.

Pendant sa transe, Dioprance tenta de l'interpeller plusieurs fois. Elle ne parvint à faire savoir sa présence qu'au moment où elle se saisit de ses épaules pour la tourner vers elle. Derrière, Cebeon et Irvirn affichaient une mine préoccupée.

— Garance ? Hé, Garance !

Elle sursauta, revenant brusquement à la réalité.

— Oui, oui, ça va ! lui répondit-elle, passablement agacée.

Inconsciemment, elle avait serré les poings.

— Tu en es sûre ?

— Oui.

Garance soupira. Cebeon la regarda pendant quelques secondes, cherchant à être bien sûr de ce qu'elle affirmait. Il finit par la lâcher.

— Très bien. Si tu le dis.

Il n'était pas entièrement convaincu, tout comme ses deux collègues. Il en toucherait deux mots au commandant dès qu'il le croiserait. Il était vraiment inquiet.

Garance soupira plus longuement, jeta un dernier coup d’œil à la rue et, voyant que l'Archonte avait disparu, se rapprocha de la porte de l'hôtel qu'elle avait volontairement laissé entrouverte. Avant qu'elle ne puisse mettre un seul pied dans la cour, Irvirn s'interposa.

— Garance, va donc faire une sieste si tu es encore fatiguée. Je doute fort que ton père t'en tienne rigueur.

— Irvirn... (Elle soupira.) Je vais bien. C'est promis.

Irvirn hésita, une part de lui-même peu convaincu par ses mots.

— Très bien, mais fais attention à toi.

— C'est promis, lui dit-elle en souriant.

Le légionnaire s'écarta et la laissa entrer. Garance referma la porte une fois à l'intérieur. Elle fit deux pas avant de s'arrêter et de poser les mains sur ses cuisses. Son cœur battait à tout rompre. Elle prit une petite minute pour se concentrer sur sa respiration, inspirant et expirant lentement à plusieurs reprises, jusqu'à ce que son souffle devienne de nouveau régulier.

Irvirn avait raison de douter de sa sincérité, tout comme Dioprance et Cebeon. Ils la connaissaient depuis son enfance et étaient capable de dire si elle allait bien. Peut-être écouterait-elle ces conseils et irait-elle faire une sieste en début d'après-midi.

Elle serra ses poings sur ses cuisses et prit une profonde inspiration. Et elle qui pensait en avoir fini avec ces histoires. Elle n'eut pas le temps d'aller plus loin dans sa réflexion. Un cri remonta du hall d'entrée, plus précisément de l'escalier qui menait aux caves et au passage secret du bâtiment. C'était celui de son frère.

— Père !

Alerte, elle se redressa, se demandant ce qui pouvait bien le mettre dans un tel état. Elle le vit émerger des escaliers en courant et se diriger vers le couloir qui menait au bureau de leur père. Il s'arrêta à mi-chemin et s'exclama de nouveau.

— Père, nous avons mis la main sur l'un des subordonnés de Baalthur. Il faut que tu entendes cela.

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