Chapitre 18 (1/4)

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William ouvrit la porte de la chambre de Garance où une faible lueur émanait du feu mourant de la cheminée. Derrière les épais rideaux, les premiers rayons du soleil annonçaient doucement le début de la journée et ceux qui dardaient au-travers des interstices venaient illuminer les boiseries qui couvraient les murs.

Dans son lit, Garance s'était enveloppée de son drap et de son épaisse couverture, la tête enfouie au milieu de ses nombreux oreillers. William s'approcha d'elle. Au vu de sa respiration, elle dormait encore profondément. Il s'en voulait de devoir la réveiller si tôt, étant donnée sa fatigue, mais les ordres étaient les ordres, surtout s'il considérait leurs « invités ».

Il soupira puis ouvrit en grand les rideaux de la fenêtre la plus proche du lit. Il s'approcha ensuite de sa sœur et la secoua légèrement en l'attrapant par l'une de ses épaules.

— Garance, il faut se réveiller. Garance !

Maintenant à moitié éveillée, elle le repoussa en grommelant.

— Allez, debout !

D'un geste bref, il retira la couverture. Comme il s'y attendait, sa sœur apprécia peu.

— Par les Trois, William !

Elle se redressa, les cheveux en bataille et une expression passablement agacée sur le visage.

— Bon sang, t'as pas autre chose à faire que de me hurler dessus de bon matin ? J'ai encore passé une sale nuit en plus...

Elle se laissa retomber contre ses oreillers en soupirant. Elle bailla.

— Qu'est-ce qui se passe à la fin ? demanda-t-elle en croisant ses mains sur son ventre.

— Le capitaine Thralond est dans la cour avec une douzaine de chevaliers. Le roi convoque l'ensemble des Chevaliers noirs sur-le-champ.

Garance soupira.

— Et merde...

— Père a eu une réaction similaire, bien que moins fleurie, répondit son frère en souriant.

— Aaah, mais va te faire voir. Tu sais pertinemment que j'ai horreur de ce genre de réveil brusque et je me moque de la raison.

— Vraiment ? Même pas pour un Abyssal ?

— Par pitié, ne me parle pas de malheur... J'ai eu ma dose pour la journée.

La jeune femme soupira de nouveau, repensant brièvement à sa discussion nocturne avec l'Archonte. Elle demeura ainsi, silencieuse, à fixer du regard le toit de son lit pendant quelques secondes.

William s'avança près de la chaise où Garance avaient déposé ses vêtements. Il les attrapa puis les déposa au pied du lit. Malgré la tension de la matinée, son ton demeurait jovial.

— Allez, dépêches-toi, ma belle. Père et les autres nous attendent.

Tandis que sa sœur commençait enfin à se lever, il se dirigeait vers la sortie. Arrivé à la porte, il se tourna vers elle, de sorte à lui délivrer un dernier message.

— Ah, et aussi, une demande de Père justement... Comme toujours, essaie d'éviter toutes formes d'expressions orales et faciales trop...dramatiques, si tu vois ce que je veux dire.

A ses mots, Garance ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel et de soupirer.

— Oui, oui...

— C'était précisément de ça donc je parlais.

William eut alors pour réponse immédiate un oreiller lancé en direction de son visage. Il l'esquiva sans problème et le coussin atterrit sur le sol en pierre du couloir.

— Debout ! On se dépêche ! hurla-t-il une dernière fois en s'éloignant.

— Ma parole, mais qu'il peut être horripilant par moment.

Soupirant une dernière fois, Garance se leva. Elle referma la porte de sa chambre avant de s'emparer de ses vêtements et de commencer à s'habiller. Naturellement, étant donné les circonstances, elle laissa son épée et sa dague sur le râtelier. Elle était parfaitement capable de se défendre sans ses lames n'ayant pas obtenu son titre de mage de combat pour rien.

Ce jour-là, Garance choisit de délaisser son uniforme pour des vêtements d'apparence plus simple : une chemise blanche en lin, un pantalon noir, un pourpoint et des cuissardes lacées en cuir noir. Elle accrocha autour de son cou la chaîne en argent où se trouvait l'anneau aux garances. N'ayant pas le temps de refaire sa tresse, la jeune femme se contenta d'arranger ses cheveux en un chignon grossier.

De la fenêtre découverte, elle jeta un coup d’œil dans la cour. Un petit attroupement s'y était réunis : les membres de sa famille, ses collègues et amis, la douzaine de chevaliers mentionnée par son frère ainsi que près d'une vingtaine de gardes.

Une certaine appréhension commença à l'envahir. C'était la première fois que le roi faisait preuve d'une telle démonstration de force à leur égard. Il n’était guère étonnant que son père se soit montré si inquiet ces derniers temps. Elle se doutait bien que dans les jours à venir, ils se retrouveraient sur la route en direction de l’Agertha. Au beau milieu de l'automne et à l'approche de l'hiver, le voyage serait long et difficile. Elle craignait surtout pour Louise et Emile qui n'avaient jamais connu rien d'autre que la ville.

Et plus préoccupant encore, qu'en serait-il des souterrains, de l'Archonte, des recherches et autres magouilles passées de sa mère ?

Garance commençaient à se poser des questions sur ses agissements. Ce que Lua lui avait appris la concernant remettait complètement en question les souvenirs qu'elle avait d'elle. Il y avait une possibilité qu'il lui ait menti mais étrangement, Garance n'arrivait pas à se convaincre de cela, pour la simple raison que tout faisait sens à ses yeux et expliquait de nombreuses parts d'ombre sur cette période de sa vie.

En repensant à tout cela, à sa mère et aux souterrains, quelque chose la fit tiquer. Les intrus et l'Archonte dans Agrisa puis soudainement, cette convocation du roi. La coïncidence était étrange. Pouvait-il y avoir un rapport ?

Les mots de Lua lui revinrent alors à l'esprit.

« Les Immaculés sont dangereux. Sans parler de la haine ancestrale qu'ils vous vouent. »

« Ceux auxquels vous faites face ne trouverons le repos qu'une fois que vous serez tous morts. »

Elle serra ses poings, quelque chose clochait vraiment dans l'enchaînement des évènements. Et elle ne se doutait pas que son père ait déjà fait un rapprochement. Peut-être en savait-il même un peu plus ?

Mais pour le moment, elle ne pouvait rien faire d'autre que de voir comment la situation se présenterait et comment elle évoluerait. Elle se contenterait de suivre le mouvement en attendant d'y voir plus clair.

Elle se détourna de la fenêtre puis se regarda une dernière fois dans son miroir. La première chose qu’elle vit fut l’Archonte de la nuit passée adossé au mur que la glace reflétait. Il la regarda dans les yeux.

— Bon courage, lui dit-il calmement, sans que ses lèvres ne bougent.

Elle se tourna. Personne. Et quant elle fit de nouveau face au miroir, Lua avait disparu.

Garance ferma ses yeux quelques instants et pris une profonde inspiration. Prenant son manteau et ses gants, elle se dirigea vers la sortie puis quitta la pièce. Elle se couvrit de ces derniers vêtements et salua les domestiques qu'elle croisait dans le couloir et les escaliers. Elle voyait bien à leur visage qu’eux aussi n'étaient pas rassurés par la présence des gardes royaux.

Louise et Emile se trouvaient dans le hall d'entrée et observaient en silence le groupe au centre de la cour. Tout comme les domestiques, ils étaient soucieux. Le petit garçon s’agrippait fortement à la robe de sa mère, le visage presque entièrement enfoui dans le tissu. Garance s'approcha puis passa tendrement sa main dans ses cheveux. Elle lui offrit un sourire puis quitta la pièce après avoir salué sa belle-sœur d'un geste de la tête.

A sa sortie du corps principal du bâtiment, un grand nombre de regard se posa sur elle, en majorité ceux des soldats esseniens. Au centre du groupe se trouvaient son père et le capitaine Thralond. Elle regarda rapidement en l’air. Sur les toits de leur résidence, les corbeaux semblaient s’être alignés comme pour assister à un spectacle. Voilà qui était rare.

Les légionnaires s'écartèrent pour la laisser passer et rejoindre leur commandant. La fraîcheur de l'air la fit trembloter et elle regretta bien vite le confort de son lit.

— Navré du ret...

— Je constate avec joie que l'éducation de votre fille est toujours à parfaire. Un problème que vous devriez vous empresser de régler, si vous songez un jour à la marier. Ce n'est pas en continuant à faire preuve d'aussi peu de manières qu'elle attirera un quelconque bon parti.

La provocation dans sa voix était claire.

Abruti...

Bien qu'elle s'en rendit compte, Garance se contenta de bailler bruyamment à ses mots. Son père lui avait certes demandé d'être discrète mais ce genre de situation demandait une réponse bien précise qu'elle se fit un plaisir d'user.

Victor jeta un rapide coup d’œil à sa fille. Le regard qu'elle lui rendit aurais pu être traduit ainsi :

(Je le frappe maintenant ou j'attends qu'il ait fini de vomir ses âneries ?)

— Je vous ennui, peut-être ? demanda alors Thralond, agacé par le manque de respect dont faisait preuve Garance.

— C'est possible... (Elle bailla de nouveau.) En vérité, je me demandais simplement comment votre épouse faisait pour vous supporter à longueur de journées. C'est elle qui doit s'ennuyer...

— Je n’ai pas de leçon à recevoir de gens qui envoient leurs femmes à l’abattoir plutôt que de s’assurer qu’elles s’occupent des générations futures. Prenez-donc exemple sur votre belle-sœur. Elle sait où est sa place, loin d’un champ de bataille.

Voyant que sa fille s'apprêtait à lui répondre, Victor intervint.

— Assez. Garance, s'il te plait.

Elle ne dit rien, son visage serré montrant sa contrariété. William en profita alors pour lui asséner un léger coup de coude. Elle tourna légèrement sa tête dans sa direction. Son frère ne dit rien mais lui lança un regard appuyé.

Je t'avais prévenu, sembla-t-il lui dire.

Garance croisa les bras et soupira longuement.

Thralond la dévisagea quelques secondes avant de détourner son regard, les sourcils encore froncés. Il s'adressa à Victor.

— Très honnêtement, vous faites un bien un piètre commandant... Même pas capable de tenir sa propre fille en laisse. La Légion aurait-elle du souci à se faire ?

Les hommes qui l'accompagnaient gloussèrent à ses mots. Face à lui, le commandant Mortis resta impassible.

— Capitaine Thralond, si vous vouliez nous inviter à la représentation d'un spectacle comique, c'est au théâtre ou sur la place des saltimbanques qu'il fallait songer à nous réunir, pas dans la cour de ma demeure, finit-il en esquissant un très léger sourire.

Les rires se turent. Il poursuivit.

— Ayez l'obligeance d'en venir aux faits. Mes gens ont du travail.

— L'obligeance d'en venir aux faits ? Pourquoi devrais-je perdre mon temps à justifier des actes dont les causes sont loin de vous être inconnues ? Cessez de jouer à l'imbécile, Victor. Cela ne vous sied guère.

Il ne sut que lui répondre. En vérité, faire durer cette conversation ne servirait à rien. Tous savaient exactement pourquoi les chevaliers esseniens étaient présents. Seulement, la maisonnée ne s'était pas attendue à les voir débarquer aussi vite. Certains d'entre eux commençaient d'ailleurs à s'impatienter. Pour beaucoup, venir ici au cœur d'un bâtiment dirigé par la Légion était mauvais signe. Thralond aussi montraient des signes d'impatience mais pas pour les mêmes raisons. Plus vite ils quitteraient les lieux en direction du château et plus vite cette affaire concernant la Légion serait réglée.

Victor soupira longuement. La confrontation avec le roi était inévitable et il y avait de fortes chances pour la sentence soit l'exil. Refusant d'abandonner les souterrains, il lui faudrait alors agir en conséquence. Il avait passé une partie de la nuit à en discuter avec Walther et le plus haut gradé de ses légionnaires et tous trois avaient fini par décider du début d'un plan d'action.

— Dans ce cas, veuillez m'excusez un instant.

— Soyez bref, Mortis.

Le commandant s'éloigna du groupe et se dirigea vers l'entrée principale de l'hôtel.

— Louise.

— Oui, mon Seigneur ?

Elle s'avança rapidement dans la cour, Emile la suivant de près.

— Comme toujours, je te confie la demeure en notre absence. Clos les portes jusqu'à nouvel ordre. Nous ne prendrons aucun nouveau contrat aujourd'hui.

— Bien, Seigneur Mortis.

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