Chapitre 26 (3/3)

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Seulement, Garance réagit aussi vite, matérialisant un second orbe et le lançant sur le fuyard. Juste avant l’impact, l’orbe de fumée se transforma, se solidifiant en une épaisse aiguille d’obsidienne qui finit sa course à la base de la nuque du Noirelame. Le contour du point d’entrée se macula d’un noir d’encre. Le demi-elfe se raidit et s’écroula sur le sol, mort à son tour, avant d’avoir pu atteindre son objectif.

Ne perdant pas de temps, la Mortis dégaina son épée et courut vers le fond du couloir tout en invoquant deux nouveaux orbes. Ralentissant son pas à l’approche de l’arche en pierre qui le terminait, elle arriva sur un palier. Sur sa gauche, un escalier d’une dizaine de hautes marches permettait d’accéder à l’étage du dessous, sans changer de niveau de souterrain.

— Hé ! Sigebert ! Tout va bien là-haut ? lança alors une voix qui se trouvait juste sous la balustrade ruinée face à Garance.

En même temps, d’un premier coup d’œil, elle situa un autre homme près d’un petit pont en contrebas. Tout comme leurs collègues plus haut, ces Noirelames avaient chacun une torche à la main, qu’elle s’empressa d’éteindre, espérant une nouvelle fois pouvoir profiter d’un effet de surprise. Ne perdant pas de temps à l’observation, Garance se prépara à fondre sur eux tel un rapace. Elle sauta et se jeta sur l’homme le proche d’elle.

Dans la pénombre et trop focalisé sur l’extinction brutale de sa torche, il ne vit que trop tard la mage et sa lame, qu’elle abattit sur son crâne. Elle retomba sur lui et se servit de son cadavre pour amortir sa chute. Garance se rendit alors compte de la présence d’un troisième homme. Il se jeta sur elle, prêt à la frapper de son épée. Elle lâcha alors la sienne et effectua une petite pirouette sur la droite, lui évitant ainsi le coup. Elle reconnut alors dans ses yeux un éclat familier, similaire au sien ; l’homme semblait avoir quelques bases, sans pour autant pouvoir être qualifié de mage. Voilà qui expliquait comment il l’avait vu dans le noir.

Le contrebandier le plus avancé vers Garance, celui qui avait porté le coup, voulut lui asséner une autre attaque mais la jeune femme parvint à le parer avec sa dague, qu’elle avait dégainé l’instant d’avant. Elle le repoussa ensuite d’elle d’un coup de pied en plein milieu du ventre.

Un éclat violet brilla brièvement dans ses yeux. D’un rapide mouvement du bras, elle envoya à la figure de chaque contrebandier un de ses deux derniers orbes sombres. A quelques centimètres d’eux, les sphères virent en leur sein une faible lueur violette apparaître. Ils leur explosèrent au visage. Le choc fut peu violent pour causer des dégâts importants mais suffisamment pour les repousser loin en arrière, sous l’effet du souffle et de la douleur. Contrairement à ses deux adversaires, Garance avait fait en sorte dans ses manœuvres de ne pas être proche des bords du pont. Le duo passa alors par-dessus les vieilles balustrades de pierre et churent dans les ténèbres. L’écho du choc brutal de leur corps sur la pierre en contrebas fut perceptible dans toute la pièce.

Reprenant son souffle, elle rangea sa dague puis vint retirer son épée de la tête de sa cinquième victime. Elle se servit des vêtements du mort pour essuyer le sang qui couvrait sa lame et qu’elle rengaina par la suite. Elle ne se soucia guère de ceux qui étaient tombés. De cette hauteur, impossible qu’ils aient survécu.

La pièce rectangulaire, dans laquelle elle se situait, faisait aussi office de jonctions entre deux zones. Garance été entrée par un de ses deux côtés larges et elle devait maintenant atteindre l’autre bout pour progresser jusqu’au quatrième. Le vide, qui séparait ces deux extrémités jointes par un pont et où avait chu les Noirelames, était profond de trente mètres. Et là s’étendait véritablement le niveau inférieur. Sur la droite et la gauche, les deux côtés longs étaient parcourus du sol jusqu’au plafond par nombre de fenêtres d’habitations dont les accès se trouvaient dans des galeries parallèles à cette pièce.

Garance ne comprenait toujours pas pourquoi ce groupe de Noirelame s’était aventuré aussi loin dans le troisième, dans une des zones encore classées comme peu sûre, alors qu’ils avaient tout juste commencé à investir le niveau. Cela n’avait aucun sens.

Elle traversa rapidement le pont. Une fois de l’autre côté, elle fit face à une nouvelle arche en pierre qui donnait dans une plus petite salle suivit d’une courte galerie et d’un large escalier qui la mènerait droit au quatrième. La mage s’avança et ne manqua pas d’apercevoir au loin Lielandr’ath qui semblait l’attendre, un fin sourire sur les lèvres.

— Ma chère amie, as-tu besoin de contrebandiers supplémentaires à occire ou as-tu eu ton compte pour le moment ? lui demanda-t-il d’un ton moqueur.

Elle l’ignora et continua sa route, avant de finalement s’arrêter à l’entrée du couloir et de se tourner vers « Lua ». Elle lui répondit alors par une autre question.

— Dois-je m’attendre à d’autres surprises ?

— Non. Du moins, pas pour le moment, répondit-il d’un air autrement plus sérieux.

Puis, il disparut.

— Je t’attendrais devant la porte.

Garance se retourna, traversa le couloir et descendit l’escalier au fond avant de continuer sa route en traversant trois galeries différentes. Sur le trajet, elle continuait de s’étonner des paroles de Lua et du calme plus qu’étrange des lieux. Ces mots avaient l’air de suggérer une absence totale de la présence proche ou lointaine des guerriers squelettes ou même des spectres, ce qui ne la rassurait pas vraiment. Mais, en même temps, il n’avait rien dit concernant les contrebandiers et lui avait aussi déclarait qu’il allait garder un œil sur ceux qui cherchait à lui nuire et… Elle soupira longuement. Ces pensées ne l’amèneraient à rien. Autant se reconcentrer sur sa tâche en cours ; elle était beaucoup plus importante.

Passées ces réflexions, la mage arriva dans le grand hall du quatrième où Sérion et elle s’étaient trouvés quelques jours plus tôt. Elle constata une nouvelle fois l’étrange sureté de la zone. Contrairement à la fois précédente, elle prit le couloir qui la mènerait directement à la porte scellée. Ce trajet-ci fut court. Elle arriva enfin dans l’immense salle rectangulaire où les lignes d’énergie du sceau courant sur les murs et la porte du cinquième sous-sol, toujours fermée, luisaient faiblement de blanc.

Comme promis, Lua l’attendait devant celle-ci. Il faisait face à la porte, perdu dans une sorte de contemplation. Ce n’est qu’une fois qu’elle réalisa la moitié de la distance qui les séparait qu’il se retourna enfin dans sa direction. Elle le rejoint d’un bon pas et s’arrêta à deux mètres de lui. Ils se regardèrent en silence pendant quelques secondes jusqu’à ce que Lielandr’ath n’entame ses explications.

— Une fois la porte ouverte, tu devras continuer tout droit jusqu’à atteindre la salle où nous nous sommes parlé pour la première fois. Tu la repèreras vite. Les feux spectraux y sont toujours allumés.

— Très bien.

— Autre chose ? lui demanda-t-il, remarquant clairement le trouble dans son regard et dans sa voix.

— Je… (Elle soupira.) Non, rien. Faisons comme ça.

Aucun intérêt à lui demander, d’autant plus qu’il ne lui répondrait peut-être pas franchement. Et quand bien même il lui apporterait des réponses, quoi qu’il se passe réellement, que pourrait-elle bien faire, seule ?

En silence, Lielandr’ath finit par lever haut son bras droit et claqua des doigts. L’instant d’après, l’ensemble du sceau disparut dans une immense gerbe d’étincelles pâles. Les deux battants de la porte commencèrent alors à s’ouvrir lentement. Garance s’en étonna. Il avait donc le pouvoir d’agir ainsi depuis le début ? L’archonte baissa ensuite son bras et s’écarta du chemin de son invité en effectuant deux pas sur le côté. Ne la quittant pas des yeux, il s’inclina légèrement et tendit son bras en direction de la voie nouvellement ouverte. Il l’invitait à s’avancer.

Garance contempla pendant plusieurs secondes les ténèbres du couloir qui lui apparaissaient étrangement plus denses, plus profondes. Elle prit une profonde inspiration. Enfin, elle se décida à avancer. Les premiers pas furent hésitant puis la Mortis accéléra le rythme jusqu’à ce qu’enfin, elle pénètre dans le couloir d’une démarche plus assurée, plus confiante. Derrière, Liel se replaça au centre des lieux et claqua une nouvelle fois des doigts. Cette fois-ci, le processus inverse se produisit et la porte entama sa fermeture.

En l’observant s’éloigner, et tandis que les battants se rapprochaient lentement l’un de l’autre, Lielandr’ath ne put s'empêcher de se demander quel genre de monde il allait retrouver une fois sorti. Il abandonna bien vite cette pensée et soupira longuement. Sa curiosité lui ferait presque oublier la situation déplaisante dans laquelle il se trouvait. Seulement, une petite voix au plus profond de lui continuait d’espérer. Mais d’espérer quoi ? Que les Mortis valent encore quelque chose ? Que ce monde ait encore de l’intérêt ?

Encore maintenant, sa mémoire était si chamboulée qu’il ressentait parfois des émotions sans lien avec ses souvenirs, comme si elles témoignaient de choses qui furent sans preuves réelles de leur existence. Des doutes et encore des doutes. Il semblait à l’image des ruines de ce monde. Mais, l’était-il tant que ça, ruiné ? Peut-être… Et ces ennemis de toujours qui eux semblaient n’avoir rien oublié de lui, leur haine toujours aussi vivace.

Il n’avait pas plus de souvenirs précis de cette cité qui lui avait servi de prison ces six derniers siècles et la seule chose qui demeurait sûre était cette indifférence mêlée tantôt d’ennui, tantôt d’un profond agacement. Cet endroit n’avait eu jadis que peu d’intérêt à ses yeux. Encore aujourd’hui, qu’elle s’élève ou qu’elle chute définitivement lui importait peu. Et cette pensée s’étendait aussi à la ville qui la surplombait actuellement.

Qu’importe les ans, les cités des mortels étaient toutes vouées à la ruine. D’une façon ou d’une autre, le glas viendrait à sonner pour elles comme pour toutes celles qui les précédèrent par le passé. Même les Ashéens, aspirant à une forme de grandeur, avaient chu, oubliés de tous. Tout ce qu’il restait de leur héritage se résumait à des ruines et à des souvenirs, et à des histoires tant colportées d’êtres en êtres que l’on pouvait aujourd’hui douter de la véracité de leur contenu.

A la fin, sa seule certitude au travers des âges, c’était lui-même, changeant mais toujours présent. Et aussi diminué pouvait-il être, il n’était pas près de faire mentir cette réalité. Il ne le permettrait jamais. Et pourtant… Pourquoi avait-il cette impression désagréable d’avoir accepté son sort il y a six-cents ans ?

Enfin, la porte se clôt.

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