Chapitre 29

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Garance progressait d’un bon pas dans ce sombre et grand couloir depuis maintenant cinq minutes. Sans pour autant se précipiter, elle se demandait quand elle arriverait enfin jusqu’à la salle qui fut témoin de sa première rencontre avec Liel.

Bien que les lieux lui paraissent familiers, ils ne pouvaient l’empêcher de penser qu’il y avait quelque chose de légèrement différent. Du moins, suffisamment pour qu’elle en vienne à s’interroger. Le couloir semblait plus long que la première fois où elle l’avait parcouru. Mais n’était-ce qu’une impression ou véritablement la réalité ? Ses repères lui semblaient flous mais, considérant les circonstances dans lesquelles elle l’avait traversé, peut-être valait-il mieux mettre ces pensées de côté.

Tout autour d’elle, la stéréotomie se montrait particulièrement belle et élégante ; les bâtisseurs, dont elle ne connaissait pas les origines, semblaient avoir là montré tout le summum de leur art. Par son apparence et sa configuration, cette galerie apparaissait à Garance comme une voie d’accès principale ou du moins très importante. Les lieux montraient le même état de conservation que dans ses souvenirs ; les sculptures, les bas-reliefs et fresques semblaient à peine avoir souffert des siècles passant.

La mage en examina rapidement quelques-unes à son passage. De simple facture, les statues, dépeignant plusieurs variations de la même figure encapuchonnée et placées de part et d’autre de la galerie, semblaient avoir été faites pour servir de support aux torches ayant jadis éclairées les lieux. Les bas-reliefs et fresques, comme ailleurs dans les souterrains, représentaient, elles, des paysages et scènes de genre provenant de lieux multiples, parfois très éloignés de la région ou du continent, et issus des cultures humaines, naines et elfiques : le bourg d’un village de campagne de la pointe de Vacélion, une réception dans une riche demeure du reinaume de Valei, une forge des Traditionnalistes de Turhn Magdarn, une caravane des guildes marchandes du Valshtrath, une rue animée d’une cité-état du Lëthia et un conclave de druide dans un bosquet sacré des grands bois de Loën.

Même si les couleurs lui apparaissaient en noir et blanc, elle voyait plus que suffisamment de détails pour apprécier la beauté abandonnée des lieux. Dans les ténèbres, ces images conservaient encore une certaine vie et continuaient malgré tout d’inviter au voyage. Garance était rassurée de constater, qu’en dépit de l’importance du noir autour d’elle et de l’influence de l’Inconnu, son sort de nyctalopie restait intact.

Chose plus étrange, lorsqu’elle effleura l’un des murs, la Mortis sentit cette fois-ci bien plus nettement la magie qui y courrait encore, et de manière bien plus vive que dans le reste des souterrains, parcourant les murs en canaux stables et réguliers. Garance s’était toujours émerveillée de ce phénomène, dont les Ashéens, véritables bâtisseurs de cette cité, étaient à l’origine. Il continuait d’être observé dans d’autres villes et ruines de l’Alen datant de la fin de leur hégémonie. D’après les Grandes archives, sa fonction était purement structurelle et permettait une grande audace architecturale, comme en témoignaient les nombreux bâtiments monumentaux que les maîtres d’œuvres d’aujourd’hui jugeaient impossibles à construire avec des moyens conventionnels.

Poursuivant son chemin, elle finit par traverser deux grandes salles qui semblaient avoir servi de carrefour important étant donné la disposition des couloirs et passages qui les composaient. Et le fait qu’un sous-sol puisse être composé de plusieurs étages se trouvait être particulièrement vrai dans les profondeurs d’Agrisa, comme en témoignaient les balcons et fenêtres des façades et espaces alentours, actuellement traversés par Garance.

Au centre de la première place, la mage contourna une fontaine ornée d’une curieuse statue représentant un nain, un elfe et un humain. Ces trois personnages, vêtus d’une armure du style caractéristique de leur culture, apparaissaient victorieux, le visage éclairé par une joie immense. A sa base se trouvait inscrit en Alenois dans la pierre :


« Aux exilés victorieux »


Cette inscription rappela à Garance la légende autour de la fondation de cette ville, redécouverte puis conquise par des exilés et autres parias, cherchant à vivre leur vie tranquillement, loin des yeux du monde et en paix dans les ombres.

Au loin dans les ténèbres, passé la deuxième place, la Mortis finit enfin par apercevoir cette familière lueur vert pâle, émanant puissamment de la petite salle où elle avait rencontré Lua la première fois. Il ne lui fallut que peu de temps pour la rejoindre. Dans celle-ci, les gravats et le mobilier se trouvaient toujours aux mêmes endroits, à l’exception des cadavres des nains, dont l’absence ne manqua pas d’être remarquée par Garance.

Elle y fut de nouveau accueillie par Liel, assis sur le fauteuil au centre, les jambes croisées et le reste du corps dans une posture toujours aussi régalienne. Il lui tournait le dos et regardait sans rien dire les ténèbres du couloir où la mage s’enfoncerait très prochainement. L’origine de sa surprise ne lui avait d’ailleurs pas échappé mais il ne s’en souciait guère. Garance continua de s’approcher jusqu’à ce qu’elle s’arrête face à lui.

L’épaisse cape noire de l’Archonte, drapée sur ses épaules tel un manteau, ressortait élégamment de chaque côté et aux pieds de la chaise, comme si chacun des pans du vêtement avait été placé précisément à la bonne place dans le but d’être immortalisé dans un portrait. La moindre de ses apparitions se mêlaient toujours plus d’un mélange subtil de somptueux, d’élégance et de macabre. Enfin, après un long silence, Liel se leva et accueillit Garance. Le fin sourire sombre qui maculait ses lèvres peinait à masquer son impatience et la pointe d’anxiété qui l’accompagnaient.

Garance croisa ses bras en levant sa tête.

— Bon, comment veux-tu que l’on procède ?

Liel mit quelques secondes à lui répondre. Depuis ces treize dernières années, il avait eu tout son temps pour explorer la cité et savait donc où aller et quel chemin prendre. L’itinéraire était déjà tout tracé. Le tout étant simplement que Garance arrive jusqu’à lui avant Valion et Calderon. Pour le moment, ce duo avait une certaine avance mais avec la route qu’il avait l’intention de faire prendre à son invité, cela devrait aller. Finalement, ce serait elle qui passerait devant.

En quelques secondes, il leva son bras droit en fermant le poing puis effectua un léger mouvement circulaire du poignet avant de rouvrir sa main. L’instant où ses doigts se déplièrent, du creux de sa main sortit une petite boule de flammes violet sombre, semblable en apparence à un feu follet. Au même moment, les flammes spectrales alentours vacillèrent un instant comme perturbées par le sort qu’il avait lancé, puisque sa magie, aussi faible soit-elle à ce moment-là, interférait avec l’environnement alentour. Ici, l’Entre-deux dans lequel Liel se trouvait, était en interaction avec Athran, où se trouvait Garance, et plus elle se « rapprocherait » de lui et plus cette interaction serait forte. La Mortis remarqua cette légère perturbation mais garda ses « inquiétudes » pour elle-même.

— Cette flamme te guidera jusqu’au 6ème sous-sol. Plus précisément, jusqu’à un passage qui te mènera jusqu’au 6ème. Je t’expliquerai plus en détail une fois sur place.

— Quel genre de passage ?

— Un miroir.

— Un…miroir ?

— Oui. Sous l’influence de l’Inconnu, certains deviennent parfois des…portes.

Garance voulut lui demander vers où mais s’arrêta aussitôt, son intuition répondant à sa place. « Vers l’Inconnu » lui murmura-t-elle.

— Très bien. (Elle hésita un instant.) Et qu’en est-il de nos…amis ici-bas, finit-elle en indiquant de la tête le sol vide de la pièce autour d’eux.

Elle faisait là référence aux cadavres absents.

— Avec tous les…récents événements, l’énergie nécrotique déjà fortement présente dans les environs n’a fait qu’augmenter, expliqua Liel d’une voix plate, omettant volontairement de mentionner la lanterne fantôme. Sous cette influence grandissante, ils ont certainement dû finir par devenir des morts-vivants mais…n’aie crainte. Je doute fortement qu’ils constituent un quelconque problème pour nous et nos…projets.

Il fit preuve d’honnêteté sur ces derniers mots sachant ces morts errants dans le cinquième, dans un secteur éloigné du leur, et cherchant à rejoindre une surface qu’ils n’atteindraient jamais. Peut-être pourrait-il leur trouver une utilité.

— Je vois.

Garance s’arrêta là ; elle ne devait pas…elle ne devait plus penser à la surface. Cela ne ferait que la perturber.

Constatant qu’elle n’avait pour le moment plus rien à dire, Liel libéra la flamme qui commença seule son trajet. Elle s’arrêta à l’entrée du passage et semblait attendre que Garance la suive. Liel s’écarta une nouvelle fois du passage de la Mortis.

— Suis-là mais soit très prudente. Contrairement à ce que vous pensez, des abyssaux rôdent encore dans les profondeurs d’Agrisa.

Des Abyssaux ? Voilà qui confirmait une autre intuition. Mais…ne lui avait-il pas dit qu’il s’assurerait de l’absence de mauvaises rencontres ? Et si… Elle prit une profonde inspiration. Elle lui faisait confiance. Elle avait choisi de le faire comme sa mère avant elle.

— S’agit-il de ceux qui m’ont poursuivi ? demanda-t-elle tout en desserrant quelque peu ses poings.

— Oui. Ils sont pour le moment occupés ailleurs. Ne leur laisse donc pas le temps de s’occuper de toi.

Ironiquement, la mage ne put s’empêcher de se demander ce qui pouvait « occuper » un abyssal de bas-rang. Liel, lui, se tourna vers les ombres les plus épaisses de la pièce, prêt à disparaitre vers une destination connue de lui seul. Mais Garance avait néanmoins sa petite idée.

— Tu poursuis ton observation de ces indésirables ?

— Oui. Et l’un d’eux n’est nul autre que l’Immaculé qui a essayé de te tuer il y a quelques jours, conclut-il tout en disparaissant dans les ténèbres, sans laisser à Garance la possibilité de lui répondre.

A ces mots, la respiration de la mage s’accéléra, le triste rappel de cette sinistre nuit ne la réjouissant pas. Ce Valion était un adversaire redoutable et incroyablement dangereux. Sans parler de son oncle, dont elle ne connaissait rien hormis les possibles motivations qui l’avaient conduit ici-bas.

A nouveau seule, et une fois son cœur apaisé, Garance s’avança vers la luciole qui l’attendait tranquillement sur le pas de la porte. Celle-ci se mit à gigoter dans les airs puis entama sa route, programmée à l’avance par son créateur. Tranquillement, la flamme prit le chemin inverse à celui qu’elle avait emprunté lors de sa première visite. Garance perçut très vite des différences dans l’environnement.

Dès la première galerie, sur sa droite, elle retrouva le patio et sa végétation qui cette fois-ci ne lui apparut pas morte mais bien vivante. Les racines des arbres et les plantes grimpantes avaient envahi l’espace de la pièce et enserraient désormais les arches et les rambardes qui bordaient et délimitaient la galerie. Plus bas, de nombreux arbustes se voyaient parés de multiples fleurs similaires à celle de la surface. Garance s’était déjà étonnée de trouver des plantes si profondément sous terre mais le spectacle dont elle était là témoin la laissa pantoise. Reprenant ses esprits, elle dégaina son épée et continua de suivre son guide. Cet endroit ne lui ferait aucun cadeau.

La Mortis arriva vite à l’intersection puis bifurqua à droite avant de continuer sa route à travers la grande salle qui précédait l’escalier d’une trentaine de marches. Au bout de quelques minutes, et une salle plus loin, elle se retrouva dans le même hall circulaire que lors de sa venue précédente, celui-là même à partir duquel Lua l’avait guidé. Sur sa gauche s’ouvrait l’entrée de la galerie dans laquelle elle avait atterrit.

La flamme, elle, prit la direction du chemin qui se trouvait face à elle dont l’ouverture au fronton triangulaire, richement décoré de motifs végétaux, se trouvait flanqué de deux statues : celle de droite représentant un Sage et celle de gauche un Chevalier noir. Tout en talonnant son guide au plus près, elle chercha une troisième statue qui représenterait un Paladin d’Eril. Mais, étrangement, elle n’en trouva aucune.

Comme quoi… Ces terres n’ont pas toujours été sous le contrôle ou l’influence des Eriliens. Je me demande bien pourquoi ils ne leur faisaient pas confiance.

Des sons familiers interrompirent brusquement ses pensées. Au loin, les voix et murmures propres à l’influence de l’Inconnu se firent de nouveau entendre.

— Elle est de retour.

— De retour. De retour !

Elles apparurent malgré tout lointaine, comme si elles gardaient leur distance de la même manière que la dernière fois.

Peut-être grâce à la flamme…

En effet, son intuition était ici juste, ce fragment du pouvoir de Lielandr’ath se trouvant suffisamment puissant pour les tenir en respect. Mieux valait donc pour elle de ne pas s’en éloigner. Elle espérait simplement que cette capacité ne se dissiperait pas le temps passant.

Devant Garance, la flamme accéléra légèrement son allure. Cessant ses observations, elle activa alors à son tour le pas. A ses côtés, elle s’enfonça encore plus profondément dans les ténèbres.

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