3-Cours

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  Les flocons tombent sur le château du lac. Cet hiver est rude pour les habitant de la Contrée de Freh et chacun attend avec impatience l’arrivée des premières pousses. Il neige depuis plusieurs jours maintenant et un mois plut tôt il a neigé durant une semaine entière. Depuis les premières neiges, rien n’a fondu. Mais les habitants de la Contrée connaissent la dureté de l’hiver et savent se préparer. Depuis les moisson, les réserves s’entassent dans les granges et l’ont a abattu une partie du bétail pour conserver de la viande ainsi que faire des vêtements chaud.

Mais malgré le froid, Béryther n’est pas inanimé pour autant. Tous les jours le marché a lieu sur la grande place et dans les rues. Cette ville est très peuplée et s’est agrandie depuis l’invasion de Kali, mais beaucoup vivent encore dehors ou s’entassent dans les maisons pour se protéger du froid. Heureusement, le nouveau roi tente d’arranger la condition de son peuple depuis deux ans. Mais il n’empêche que les rues restent habitées par un bon nombre de personnes. Peut être pour contrer le froid et la tristesse de cette saison, les bérythois avivent l’ambiance des rues qui sont toujours animées, de jour comme de nuit. L’on chante, l’on danse, l’on se bat, l’on bois, l’on cri, l’on travaille, l’on vit…

Voilà ce que peut observer Félicia de loin, de très loin, dans la tour ouest du château du Lac salé dédiée aux enfants de la famille royale, derrière la vitre de sa salle de classe. Elle peut observer la vie de cette ville mais elle la connaît déjà. Elle sait ce qu’il se passe derrière les murs de la forteresse, à l’extérieur, après le Pont, sur la rive. Mais tout ceci lui paraît si loin de ce qu’elle vit. La jeune fille de presque seize ans a toujours vécu dans le confort du château, entourée de serviteurs, de nobles et de sa famille. De ce fait, elle ne sait pas si elle envie la vie dure que le peuple vit à l’extérieur, mais elle envie leur liberté. Eux sont dehors et peuvent aller où bon leur semble. Elle, elle n’a jamais franchit la grande porte. Si, une fois seulement où elle s’était enfuie alors qu’elle avait environ sept ans. Une envie soudaine lui avait prise de découvrir le monde et elle avait suivit en douce une servante allant au marché. Malheureusement elle avait eu la bêtise de laisser un mot à l’intention de sa famille où elle justifiait sa fugue et les gardes l’avaient retrouvés moins d’une heure après. Mais elle avait eu le temps de goûter à la liberté et ceci elle ne l’oubliera jamais. C’était au printemps et elle s’était étonné de la quantité de personne qui pouvait se réunir dans un même endroit. Elle qui a l’habitude des longs couloirs sombres et vides, la grande place à l’heure du marché l’a marqué à jamais. Toutes les couleurs, toutes les odeurs, tous les bruits, toutes ces personnes différentes… Ses sens étaient alors multipliés et elle se souvient de chaque détail. Puis les gardes l’ont ramenée au château, sa prison dorée. Comme elle se souvient de sa fugue, elle se souvient de la réaction de son père. Elle ne l’avait jamais vu autant en colère. Il l’a même giflé, chose qu’il ne s’était jamais permis avant. La mère de Félicia lui a dit par la suite que c’était parce qu’il avait eu peur pour elle, mais elle sais maintenant que c’est faux. Elle est la seule enfant royale à n’être jamais sortie au grand jour, et ce, dû à ses cheveux de couleur lilas. Elle sait que son père en a honte, et il a raison. Elle ne saura sûrement jamais pourquoi cette particularité tout à fait invraisemblable lui a été donné à la naissance, mais ce qu’elle sait c’est que ça lui gâche la vie. Elle pourrait simplement les cacher et cela réglerais le problème, mais son père a honte d’elle tout entière. Son caractère vient de la famille de sa mère elle en a conscience, et son père en a peur.

Tout ceci elle y a déjà pensé et repensé, néanmoins, à l’heure actuelle, elle est en pleine méditation. Elle aime bien faire ça pour se vider la tête. Avachie sur sa table, le dos courbé, la joue contre le bois, elle dessine sur sa feuille sans réfléchir aux mouvements de son fusain. Il virevolte sur le papier sans but précis. Ça crisse, ça frotte, ça gribouille, ça appuie, ça s’allège… Félicia n’a aucune idée de ce qu’elle fait.

Elle ne pense à rien. Dans un état second, elle ne voit ni le mouvement de sa main, ni la neige qui tombe derrière les carreaux, ni la personne avec elle dans la pièce. Toute son attention est plongée au fond d’elle même. Félicia sent son sang circuler dans ses veines et entend son cœur battre. Aucune idée, pensée, supposition n’atteint son cerveau car son esprit est concentré dans son ventre, où il n’y a pas de tout ça. Juste sa respiration.

Tout est calme.

Tout est calme, sauf cette voix qui vient la déranger.

–Mademoiselle Félicia, m’écoutez-vous ?

La jeune fille poussa un long soupire et se redressa, lâchant son crayon. C’était bien son professeur qui venait de la déranger.

–À vrai dire, pas le moins du monde.

Elle est complètement sortie de sa torpeur à présent. Un des avantage de ses méditations c’est qu’elle en ressort toujours avec l’esprit plus clair et plus vif, ainsi, elle fixe son interlocuteur avec intensité. Le professeur Arim est nouveau au château. En fait c’est le premier cours qu’elle fait avec lui. Félicia aurait pu profiter de cette nouvelle rencontre pour, comme à son habitude, observer la personne et déduire des choses sur elle, mais elle l’a déjà rencontré avant ce cours. Son père leur a présenté la veille, à elle, son frère et ses sœurs, leur nouveau professeur et un seul regard lui a suffit pour savoir à quoi s’attendre avec lui. Il est jeune et exerce depuis peu, ce qui annonce une certaine fragilité dans son assurance, mais malgré ça, elle décèle en lui une grande intelligence. Elle a alors décidé de le tester.

–Mais enfin mademoiselle, pouvez-vous me dire à quoi cela sert que je vous fasse cours si vous ne m’écoutez pas ?

–Non, c’est une très bonne question.

Le professeur Arim eu l’air de perdre ses moyens devant l’inflexibilité de son élève, mais surtout face au regard perçant qu’elle lui lançait. Cela fit sourire Félicia. Elle se tenait droite, avec aplomb face à son enseignant déconcerté. Elle apprécie cette inversion des rôles.

Arim se racla la gorge et se tourna vers la grande horloge.

–Bien, nous allons dire que le cours est fini pour aujourd’hui. Nous nous reverrons demain, vous pouvez partir.

Tournant le dos à Félicia, Arim commença à ranger ses affaires. C’était le dernier cours de la journée et il ressentait de la fatigue. Avant cette curieuse élève, il a donné cours aux jumeaux Gustave et Lilliane puis à l’aîné, Sophia. Les premières journées dans un nouveau milieu avec de nouveaux élèves sont toujours éprouvantes car il doit être vigilant à beaucoup de détails inconnus. Surtout qu’il a affaire aux enfants du Roi Heddrick et de la Reine Hortense. Et sa journée n’est pas encore fini car il a l’honneur d’être invité à la table de toute la famille réunie ce soir. D’ailleurs il ne sait pas encore ce qu’il va bien pouvoir se mettre. Il ne lui semble pas qu’il ai d’habit digne de ce genre de dîner.

Perdu dans ses pensées, il fini par rassembler ses papiers et les ranger dans sa sacoche. C’est alors qu’en se retournant, son cœur fit un bond. Félicia n’avait pas bougé d’un poil. Elle était toujours là à le regarder de ses yeux gris, bien droite sur sa chaise. La pensée qu’il aurait préféré qu’elle soit ainsi durant son cours et non après, le traversa. Il allait ouvrir la bouche mais la princesse en face de lui prit les devants.

–Je vous propose un marché.

Interloqué, Arim de su quoi répondre. Il n’en eu d’ailleurs pas le temps.

–Je viens ici parce que je suis obligée. On me l’ordonne et je n’ai pas le choix. Mais vous ne m’apprenez rien. Tout ce que vous pourrez me dire, je le sais déjà, et je m’ennuie à mourir. Et je vois bien que de votre côté non plus ça ne vous enchante pas de donner cours à quelqu’un qui ne vous écoute pas. C’est pour cela que je vous propose un marché.

Félicia marqua une pause. Elle parlait d’une voix claire et précise et Arim se dit que c’était la première fois qu’elle l’entendait composer plusieurs phrases à la suite. Voyant que son professeur ne disait rien, elle poursuivit.

–Je vous propose un marché qui nous sera avantageux à tous les deux. Je vous propose qu’au lieu de me faire cours et de perdre votre temps, vous me laissiez aller à la bibliothèque. Quant à vous, il faudrait que veniez ici pour ne pas que cela paraisse suspect, car oui, ce marché resterait entre nous. Si vous acceptez il ne faut pas que mes parents soient au courant. Et puis je suis sûre que vous aurez beaucoup à faire de votre temps libre ici.

Félicia avait réfléchis longuement à ce qu’elle allait lui dire. Ce marché lui paraissait plus que parfait. Elle qui aime tant s’instruire seule pourrait rester dans la bibliothèque privé du château à lire, lieu où elle passe la majorité de son temps de princesse oubliée. Bien qu’elle ai presque lu tous les livres qui l’intéressent, il en reste certains encore inconnus ou qu’elle aimerait relire. Et de plus elle donnait la possibilité à son professeur de profiter d’un temps pour vaguer à ses occupations. Maintenant il ne restait plus qu’à le convaincre car en tant que professeur officiel des enfants de la famille royale de l’Est, cela serait compliqué pour lui de mentir à son souverain.

Arim resta confus et la regarda, perplexe. Cela faisait longtemps qu’un élève ne l’avait pas pris de court comme elle venait de le faire. Un marché ? Tiens dont. Au moins elle a le sens de l’imagination et c’est un bon point qu’il peut noter. Mais dans ce marché, beaucoup d’élément ne conviennent pas à une proposition honnête. Il se gratta l’arrière de la nuque. Déjà elle lui demande l’impensable : mentir au roi, ainsi qu’une autre chose encore moins impensable qui serait de renoncer à sa fonction de professeur pour elle. Bien qu’elle affirme aller à la bibliothèque à l’heure du cours, rien ne lui prouve qu’elle irait bien, ou de ce qu’elle y lirait. Non, ce n’était pas bien pensé de sa part. Et de plus elle lui demande de rester ici ? Durant tout le temps d’un cours mais sans faire cours ? Qu’en sait-elle de s’il en a envie et de s’il a vraiment de quoi s’occuper durant deux heures ? Il sourit.

Seulement une minute environ lui a suffit pour réfléchir à tout ça et Félicia attendait toujours en le fixant de ses yeux clairs. En écoutant son élève puis durant le silence qui avait suivit, Arim était debout contre son bureau, face à elle. Il ne bougea pas et prit enfin la parole.

–Je vous trouve réellement courageuse de proposer un marché de ce genre, mais je me dois de refuser.

Il guetta une réaction chez son élève mais il ne trouva que de la méfiance dans son regard. Elle attendait. Il poursuivit.

–Dans votre proposition vous m’exposez que je devrais venir à l’heure du cours ici, mais que je ne vous y retrouverais pas, que je passerais deux heures ici seul, et qu’en plus de cela je devrais dire à votre père que les cours se passent bien ?

–C’est cela.

–Et que feriez vous durant ce temps ?

–Je vous l’ai dis, j’irais à la bibliothèque.

–Et qu’y liriez vous ?

–Cela ne vous regarde pas.

–Alors je le répète, je refuse ce marché.

Félicia semblait commencer à s’irriter et cela amusa Arim qui se remit à sourire.

–En quoi cela vous gêne de ne pas savoir ce que j’y lirai ? s’agaça-t-elle. Je suis sûre que vous ne connaissez pas beaucoup d’enfant qui souhaite s’instruire seule dans une bibliothèque.

–Alors c’est pour cela…

Félicia avait touché juste, un grand nombre d’élève qu’il avait eu avaient beaucoup de mal à apprécier la lecture, et c’est d’ailleurs lui qui leur donnait cette envie. Or il venait de comprendre qu’il n’aurait pas a faire ce travail avec cette jeune fille. Encore faudrait-il qu’il soit sûr qu’elle dise la vérité. Il eu alors une idée.

Il se décolla de son grand bureau et s’avança vers elle. Il prit appui de ses main sur sa table et se pencha vers elle. Elle eu à peine un mouvement de recul.

–Je vais vous proposer à mon tour un marché. En fait je veux bien accepter le votre, mais à une condition, une contrepartie.

La princesse semblait dubitative. Il enchaîna.

–Je veux bien vous croire. Je veux bien croire que vous aimez étudier seule et lire tranquillement sans qu’on vous dérange. Et je veux bien croire que mes cours ne vous intéressent pas étant donné que vous les connaissez déjà. Mais j’aimerais que vous me le prouviez.

–Je n’ai rien à prouver à personne.

–Je ne suis pas personne, je suis votre professeur.

–Ça, ce n’est seulement le rang que vous donne mon père.

–Non, c’est mon métier.

–Et le mien n’est pas d’être élève.

Arim soupira. Lui tournant le dos il repartit vers son bureau et tout en prenant son sac il fit mine de s’en aller.

–C’est dommage parce que ma proposition vous aurait sûrement intéressé…

Alors qu’il allait tourner la poignez, Félicia s’écria.

–Attendez !

Se retournant il la vit debout. Un voile d’inquiétude était passé sur son visage mais elle redevint vite stoïque, reprenant l’image de la princesse assurée qu’elle souhaiter donner. Il leva les sourcil, l’invitant à continuer.

–Je veux bien écouter votre proposition.

Arim sourit et alla se repositionner derrière son bureau. Il sait que ça a coûté à Félicia de lui exprimer ça.

–Bien. Comme je le disait il faudrait que vous me prouviez que vous avez les connaissances requises pour que je ne vous fasse pas cours, alors je vous suggère de vous donnez chaque jours les devoirs et exercices que je souhaitais vous donner après le cours. Donc je ne vous ferais pas cours mais vous viendrez ici à l’heure convenue les chercher et vous serrez libre de les faire quand bon vous semble, avant le cours du lendemain. Cela vous convient-il ?

Félicia déteste prouver sa valeur aux autres. Petite, elle a voulu montrer à ses parents qu’elle était digne d’être leur fille. Mais elle a vite compris que c’était peine perdue. Alors elle s’est plongée dans les livres. Elle a confiance en elle, elle sait qu’elle est capable de grandes choses, mais elle attendra que ça arrive pour le montrer aux autres. À présent elle veut seulement qu’on la laisse tranquille comme on a toujours fait avec elle. Sauf que ce professeur en a décidé autrement. Elle l’a peut être un peut cherché en proposant un marché qui ne tiens pas la route, elle le reconnais, mais il aurait pu simplement refuser. Ou accepter. Au moins son test a marché car elle sait à présent que l’homme mal à l’aise et mal assuré qu’elle a rencontré n’était qu’une simple apparence.

Puis un détail lui vint en tête qu’elle ne pouvait négliger.

–Dans votre suggestion, le fait que vous disiez rien à mon père tien toujours ?

–Non. Je lui partagerais ce qu’on aura convenu car le marché est tout à fait honnête.

Un sentiment serra soudain le cœur de Félicia. Elle le connais bien mais cela faisait un moment qu’il ne lui était pas revenu. Un poids venait d’apparaître sur sa poitrine, qui lui emprisonnait ses poumons et elle sentait que si elle ne le gérait pas, sa respiration allait s’accélérer. Plusieurs fois elle était tombé dans les pommes car elle était suroxygéné. Elle doit quitter cette salle. Sans un regard pour son professeur, elle traversa la pièce, prit sa cape d’intérieur et sortie en claquant la porte.

Arim fut surpris par la réaction de son élève mais compris le fil de sa pensée. Ce n’est pas compliqué à cerner les tension familiales ici, et il ne prit pas mal ce départ inopportun. Reprenant une seconde fois sa sacoche il se dirigea vers la porte, mais alors qu’il balayait des yeux la pièce avant de sortir, une chose attira son regard. Il avait évidement remarqué l’inattention de Félicia durant son cours ainsi que ses gribouillages incertains alors qu’elle était perdue dans ses pensées et la feuille qu’il vient d’apercevoir posé sur sa table en est la trace. Posant sa sacoche près de la porte il alla découvrir ce que la princesse avait laissé.

Ce qu’il vit le laissa sans voix. Le dessin n’a rien a voir avec ce qu’il a imaginé de quelque chose fait sans réfléchir, mais au contraire, est étrangement réaliste. Les traits de fusains représentent un tigre à l’air cruel, la gueule grande ouverte laissant apercevoir des canines pointues et coupantes, avec au fond de sa gorge une araignée projetant sa toile à l’extérieur. Tout est si finement réalisé qu’on pourrait croire que la toile sort du dessin pour nous attraper et permettre au tigre de nous dévorer… Quelque chose d’encore plus singulier : un hortensia, dans sa grande splendeur avec ses pétales couverts de rosée, contrastant avec le côté sombre des animaux. Mais la fleur est prise dans la toile et l’on ne peut qu’imaginer ce qu’il se passera ensuite. Arim fut véritablement surpris de ce que le dessin dégage et de l’impression d’inquiétude qu’il ressent. Il eu du mal à se détacher de la contemplation mais finalement il plia la feuille et alla le fourrer dans sa sacoche. Il y réfléchira plus tard, pour l’heure il doit se préparer pour un dîner avec la famille royale. Mais cette sensation étrange lui resta longtemps encore après la vision du croquis.

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