Etoileuh des neigeuh

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Quelques temps après mon affaire avec Jean-Claude, je me suis décidé à partir au ski. Oui, mais cette fois-ci, sans personne. Au moins, je ne risquerais pas de porter la guigne à qui que ce soit. C’était donc « sports d’hiver tout seul ». Seul dans ma voiture, seul dans mon appartement, tout seul sur les pistes. Je me suis donc appliqué à louer une chambre isolée des autres.

La patronne de l’hôtel m’avait fait les gros yeux, quand j’avais réservé ma location. On était au téléphone mais je l’ai bien entendu, qu’elle me faisait les gros yeux. Elle aurait pu continuer à les arrondir, ses yeux, je n’aurais pas lâché le morceau pour autant :

- Ecoutez, je veux une chambre qui ne soit attenante à aucune autre !

- Mais c’est impossible ! Elles le sont toutes !

- Alors celle qui est le moins attenante !

- Comment ça ?

- Au bout d’un couloir, au dernier étage ?

- Oui, je peux le faire, il m’en reste une comme ça, une chambre libre, au dernier étage, au bout du couloir, la 510.

- Je la prends et il y a donc une chambre à côté ? Est-elle libre également ?

- Oui, la 508 est libre.

- Je la prends aussi !

- ….

- Il y en a une en dessous aussi, je suppose, vu que c’est au dernier étage ? Elle est libre ?

- Oui, la 410 non plus n’est pas réservée

- Celle-ci aussi !

- Vous prenez trois chambres alors ?

- Oui, j’aime être au calme

- Bon, comme vous voulez, tant que c’est vous qui payez…

C’est comme ça que je me suis retrouvé à payer trois chambres pour moi tout seul. Elles commençaient à me coûter un petit peu cher ces vacances au ski.

Pour louer le matériel, ça a été pareil. J’ai fait preuve d’une inventivité dont je ne m’imaginais pas capable. Je me suis garé tout au fond du parking, le plus loin possible de tout le monde et j’ai observé le magasin avec mes jumelles. Celui-ci fermait à dix-neuf heures, c’est ce que j’avais vu noté sur la porte. Il n’y avait pas l’air d’y avoir du monde. Et si par malchance, il fermait plus tôt ? Est-ce que je tentais d’y aller plusieurs dizaines de minutes avant la fermeture, au risque qu’un autre client se pointe quand j’étais dans le magasin ? Ou j’attendais le dernier moment, avec la possibilité qu’il ferme avant que je ne puisse louer ? Pas simple… En fin de compte, j’ai pu avoir mes skis sans rencontrer personne d’autre que le vendeur qui m’a laissé me débrouiller quasiment tout seul.

Une fois sur les pistes, j’ai fait bien attention à ne croiser personne de près. C’était un peu astreignant à la longue, surtout que, de temps en temps, il y avait de jolies femmes que j’aurais voulu aborder. Systématiquement, à ce moment-là, je revoyais les corps sans vie de mes deux amis et j’oubliais vite cette idée. Je n’envisageais pas de passer mon existence à semer des cadavres autour de moi. Déjà que je n’avais pas beaucoup de vrais potes, dont deux de moins désormais… Je n'allais pas prendre de risques inutiles. D’un autre côté, si je voulais me créer d’autres amitiés, j’allais devoir aborder des inconnus. Contradictoire, vous avez dit ?



Pris dans mes réflexions, je n’ai pas vu le piquet de balisage de limite de la piste et me le suis pris direct, en pleine face… Et pas que la figure… Plus bas aussi. Autant vous dire qu’à cet endroit, c’est autrement plus douloureux, même si j’ai quand même eu l’impression que mon nez s’était brisé en deux. En fait, pour le visage, heureusement que je portais un casque. La vache, je n’aurais jamais imaginé que j’aurais dû m’équiper d’une coquille pour faire du ski. Complètement sonné, je me suis assis – je suis tombé en fait – dans la neige pour récupérer un peu mon souffle, ainsi que mon aptitude à tenir debout sur mes deux jambes.

Au bout de quinze bonnes minutes, je me suis senti un peu mieux et enfin apte à remonter sur les planches. J’ai donc poursuivi lentement ma descente en faisant gaffe, cette fois, à tous les piquets, pour arriver en bas du remonte–pente. Toujours prudent, je ne prenais que des tire-fesses, aucun risque d’y croiser qui que ce soit. Toute la journée, je me suis vraiment éclaté. La neige était bonne et il n’y avait pas trop de monde sur les pistes.

Cependant, au bout d’un moment, à force de faire toujours les mêmes, j’ai eu envie de changer un peu. Au sommet du tire-fesses, contrairement aux fois précédentes, j’ai pris à gauche au lieu de prendre à droite. La piste rouge était géniale, la neige pas trop gelée et les limites bien balisées. Il y avait même quelques bosses sur lesquelles je suis passé avec plaisir. Pour couronner le tout, il n’y avait quasiment plus personne sur la piste. Quand je suis arrivé en bas, j’étais en nage mais aux anges. Quelle belle descente !



J’ai toutefois bien déchanté quand j’ai compris qu’il n’y avait qu’un télésiège deux places pour remonter la piste. Mince, je n’avais pas vu… J’ai bien songé à remonter à pied mais, impossible, c’était beaucoup trop haut. Je n’avais pas le choix, ce télésiège était la seule solution. Hasard ou chance, la zone d’attente était déserte, aucun pisteur en vue. Pas de problème, je serai donc seul, ce qui était un sacré soulagement.

J’étais arrivé dans le goulet d’étranglement, là où ça se réduit à deux skieurs de front, quand j’ai entendu un bruit de chute derrière moi. Je me suis retourné et me suis retrouvé tout éclaboussé de neige. Quelqu’un venait de se vautrer à mes pieds.

Sans attendre, je me suis déchaussé pour l’aider à se relever. Il rigolait, totalement couvert de poudreuse. Manifestement, il ne semblait pas s’être blessé ou fait trop mal. Il avait juste explosé ses lunettes dont j’ai ramassé quelques morceaux épars. Je lui ai tendu les résidus, et, une fois remis sur pieds, il m’a regardé avec un sourire jusqu’aux oreilles :

- Merci, Monsieur, vous êtes bien aimable, me dit-il. Bon Dieu, quelle gamelle !!

- Vous auriez pu vous faire mal, vous avez eu de la chance.

- Oui, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai beaucoup de chance depuis plusieurs mois. Vous montez avec moi, je vous paye un verre de vin chaud à la buvette en haut ?

- Avec plaisir !

Juste après avoir accepté, je me suis rendu compte que j’allais monter avec quelqu’un, sur la banquette, ce que j’essayais à tout prix d’éviter depuis le début de la journée. Bah, après tout, il se disait chanceux depuis quelques temps… Bon, maintenant que j'avais accepté, difficile de revenir sur ma parole sans passer pour un dingue avec mes suspicions. D'ailleurs, je l'étais sans doute un peu, dingue, pour penser que je pouvais porter malheur à quelqu'un. Je décidais donc de l’accompagner, moyennement rassuré néanmoins.



Il s’est rechaussé, moi aussi. Nous nous sommes avancés côte à côte pour prendre ce télésiège tout en discutant et faisant connaissance. Il m’a présenté gentiment un paquet de M&M’s déjà ouvert, sorti de sa poche pour que je pioche dedans. Malgré la chute, ce dernier n’était pas trop en miettes, ça allait. Il parlait vraiment sans arrêt, me laissant à peine la possibilité de lui répondre.

Quelques minutes plus tard, ça y est, nous étions assis. Comme à chaque fois que je posais mes fesses sur ce vieux plastique humide et trop bas, j’ai ressenti un petit pincement sous les genoux. Vous aussi vous le ressentez ? C’est vrai, franchement, pourquoi ils sont toujours trop bas, ces machins ?

Le siège a décollé, il était temps de mettre la barre de sécurité devant nous et de mettre nos skis sur le reposoir. J’ai attrapé le bout de ferraille au-dessus de ma tête, m’attendant à ce que mon voisin en fasse de même. Mais non, il m’a laissé faire et d’ailleurs, je le trouvais plutôt silencieux, lui qui, jusqu’alors, parlait comme une pipelette. J’ai même fini par réaliser qu’il ne disait plus un mot depuis qu’on s’était installés.

J’ai regardé dans sa direction, un peu inquiet. Oh, Non ! Putain de merde !



Son regard vitreux ne trompait pas, d’autant plus qu’il n’avait plus ses lunettes réfléchissantes pour masquer ses yeux. Il était mort, lui aussi. Je l’ai secoué, lui ai tapé sur les joues, mais rien à faire, il était bien décédé. Et ce con de télésiège qui continuait à monter !

Comment réussirais-je à expliquer ça, moi, à la réception ? Pire, comment pourrais-je descendre d’un télésiège avec un cadavre ? En plus, j’allais probablement me prendre une gamelle monumentale en haut. Cette pensée m’obsédait et me rendait malade. Encore un mort. Qu’est-ce que les gens allaient penser de moi ? Que c’était moi qui les attirais ? Ou alors que j’avais un fluide maléfique qui faisait tomber mes voisins comme des mouches ? À moins que…

J’ai jeté rapidement un coup d’œil autour de moi, puis sous moi. On n’était plus au-dessus de la piste. Notre siège passait entre des sapins, dans une zone non damée. Les autres devant et derrière moi étaient vides. Tout compte fait, il semblait bien qu’on était les seuls assis là. Sous une impulsion soudaine, j’ai ouvert la barrière de sécurité et, sans réfléchir, j’ai poussé mon voisin. Il est tombé comme une masse avant de disparaître dans l’épaisseur de neige non tassée… On voyait juste une pointe de ski qui dépassait. Ni vu ni connu, j’ai remis la barrière de sécurité et, l’air de rien, me suis réinstallé confortablement au fond du siège.

Arrivé en haut, je suis descendu en faisant un signe de la main au pisteur présent avant de filer jusqu’au bas de la station puis à mon appartement pour récupérer mes affaires et me barrer en vitesse. J’ai à peine pris le temps de laisser un mot à la réceptionniste, invoquant une urgence familiale pour justifier mon départ précipité. Deux heures après ce tragique incident, je quittai les lieux sans me retourner.



Décidément, le ski non plus, ce n’est pas fait pour moi.

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