Au pied du mur
Vouloir écrire la première ligne d’un roman, c’est un peu comme vouloir raconter ses vacances en commençant par la fin, il y a toujours un arrière goût de nostalgie même dans l’anticipation, un sentiment de fatigue au regard de la distance qui reste à parcourir, volonté naïve qui n’est pas sans similitude avec l’exercice juvénile de la rédaction ouvrant l’année scolaire par le récit désabusé d’une période de liberté révolue, livrée comme une confession au jugement d’une personne inconnue et qui ressemblait, pour moi, à ce qu’il y a de plus proche de l’exercice de la censure : dire sans rien dire, découper un récit à son état minimal, conter par exemple l’ouverture d’une boite de tomate ou de haricot rouge ─ et oui, c’est aussi ça les vacances ─ avant de célébrer le retour de la cantine et du pain à volonté, ces rédactions laissaient sur leur faim des professeurs désabusés, persuadés qu’il n’y avait rien à sauver, me laissant digérer tranquillement par la suite un an de scolarité sur trois trimestres, de la même manière mon histoire commence péniblement, seulement un peu plus tard, un dimanche d’automne sous la pluie, par une balade aux champignons, ou juste pour sortir le chien, on prend tout de même la voiture, c’est un début de roman ─ pas un conte ou une nouvelle, il y a de la route à parcourir avant la dernière page ! ─ et très vite au premier carrefour on s’embourbe dans l’ornière du premier chapitre, si on est chanceux un peu plus loin, ou parfois, on tombe en panne avant même d’avoir pu sortir du garage, dès la première phrase, l’histoire est là pourtant, dans le silence des pages à venir, tapie sur plusieurs tomes, une saga entière d’attente et d’ennui, une pierre jetée sur le mur de la littérature ─ sans l’avoir fait bouger d’une once ─ une vacance dans le brouhaha des idées partagées, c’est aussi ça écrire, ne garder de tout ce qui fait la vie que ce qui ne veut rien dire et ne rentre nulle part, ne va nulle part et échappe à la plupart même à leur auteur.
Annotations
Versions