Chapitre 1 : « La mort frappe à la porte »
De fines gouttes transperçaient l'obscurité de la nuit puis s'écrasaient sur la vitre du train en continu. Depuis que j’étais monté dans ce train, ces gouttes frappaient la vitre avec une force surpuissante. Le roulis du train me berçait, la tête collée contre la vitre ; d'un air rêveur, je regardais le paysage : des prairies, des vaches, mais tout ça avec un drap noir qui les recouvrait. Je ne sais même pas vraiment si c’étaient des vaches ou des chevaux, tout ça à cause de la nuit qui tombe tôt en hiver. Mais mes narines se resserrent ; une odeur épouvantable me monte au nez. C'est celle de l'urine du mastiff anglais qui est en face de moi. Un coulis de bave tombe de sa bouche et atterrit sur le fauteuil. Sa maîtresse lui ressemblait un peu, elle avait des joues qui lui tombaient jusqu’à son double menton, des poils qui y poussaient, des cheveux bruns pleins de pellicules, et l’avant de son front dégarnis. Elle était même habillée d'une vieille robe à fleurs, trop grande pour elle, qui aurait pu être cousue dans les rideaux de ma grand-mère ou dans le tissu des sièges du train. Elle sortit de son sac un os, et le chien se précipita dessus. Il essaya de l’enlever des mains de sa maîtresse qui tenait bon. Sans prévenir, elle le lança sur le sol, près de la porte. Le chien courut le chercher puis revint vers sa maîtresse qui lança cette fois l’os sur moi. Quand il arriva sur mes jambes, il fit comme si de rien n’était, mit son nez dans son sac, et en sortit un journal qu’elle se mit à lire. J’allais prendre l’os et le rendre à la dame, quand le chien me sauta dessus et m’arracha l’os des mains. Ses dents glissèrent sur ma main et je me mis à saigner. Quel foutu bestiau !
Une dame – bien plus jeune – qui était assise à côté de moi se leva, alla voir la dame et lui dit d’un air sérieux et strict :
« Quel est votre but de lancer ce jouet sur cet enfant ? Et s'il avait peur des chiens, vous imaginez, choquer un enfant d’à peine quinze ans ? Les conséquences que ça pourrait avoir sur lui plus tard ? » La vieille dame répondit d’une voix rauque et d’un air assez ironique :
« Bah, s'il a quinze ans, ça va alors. On ne va pas en faire tout un fromage. »
— Madame, vu votre âge et les rides qui vous tombent, je ne sais pas comment vous faites votre fromage. Mais je vous propose une recette : arrêtez de faire suer le monde. » Je restai bouche bée devant cette répartie, mais la vieille dame ne tarda pas à répondre :
« Je vois qu’on vous a bien affiné durant ce début de vie, mais je vous conseille de ne pas regarder les rides ou l’âge des gens, mais plutôt de vous concentrer sur le fait de ne pas finir comme un camembert, avec un manque de maturité. »
Comment la femme qui m’avait défendu pouvait-elle répondre à cela ?
« Vu l'odeur que vous dégagez, je dirais que votre fromage a déjà bien vieilli. Peut-être qu’avant de critiquer les autres, il faudrait penser à rafraîchir un peu le vôtre. »
Le train se mit à ralentir, le quai se rapprochait. Les portes s’ouvrirent, la vieille dame descendit et nous regarda mal, puis prit son chien d’une main et un cabas qui était caché derrière sa silhouette. La jeune dame, quand elle vit que la grognasse était bien éloignée, sortit elle aussi. Quand elle descendit les marches du train, elle se retourna, me sourit et partit. Le chef de gare siffla le départ du train. Il me restait une demi-heure de trajet, seul, dans la nuit.
Je dus m'assoupir car c’était un des passagers avec qui j’étais qui me réveilla. La tête dans les étoiles, je finis le trajet dans le métro jusqu’à arriver dans l’Est End. Je devais aller chez ma tante, mais l'envie que j'avais de la revoir était à son paroxysme (c'est de l'ironie). Je ne l’aimais vraiment pas, Tante Léontine était horrible, mais je devais y aller pour “le bien de la famille”. C'était la sœur de ma mère, mais elles ne s’entendaient pas du tout à cause d’une dispute.
Un soir de Noël, toute la famille était assise autour d'une grande table soigneusement décorée par mes grands-parents. Sous l'arche de la salle à manger, l'oncle Oscar avait accroché un brin de gui. Tante Léontine et lui s'étaient arrêtés dessous et s'embrassèrent comme deux jeunes tourtereaux. Tout était fait pour que l'on passe le plus beau Noël de notre vie. Quand le coucou sortit sa tête pour sonner vingt heures, tout le monde se mit à table. Grand-mère apporta le foie gras, les huîtres, tous les délicieux mets de Noël. Quand on finit de déguster l'entrée, ma mère s’échappa de table ; personne ne l’avait remarquée, tout le monde était occupé à discuter de potins familiaux. Mais l'oncle Oscar s'écarta aussi, et ils rentrèrent tous deux dans une chambre. Tante Léontine posa sa main sur l'endroit où devait être celle de son fiancé, mais ses doigts effleurèrent la nappe.
Où est passé mon mari ? Il était là il y a deux secondes. Oh, il y a une autre chaise vide... mais c'est celle de ma sœur ! Où sont-ils passés tous les deux ? Elle se retourna et vit la porte de la chambre mal fermée, une lumière s’y échappait. Elle se leva et y alla, elle était entièrement seule, dans sa bulle, les discussions se transformaient en brouhaha dans ses oreilles.
« Qu'est-ce que tu fais, chérie ? » cria sa mère.
« Tu pars ? » enchaîna son père.
Mais elle ne répondit pas, elle ne les écoutait pas. Elle avança, traversa l'arche et arriva devant la porte. Elle essaya d'entendre ce qu'ils se disaient, mais elle n'entendait rien ; son cœur, qui s'était pour l'instant figé, recommença à battre. Elle entrouvrit la porte et vit les jambes de son fiancé sur le lit. Son cœur s’accéléra. Elle ouvrit complètement la porte et entra précipitamment dans la chambre. Elle fit deux ou trois pas et se retrouva devant le lit. Mais ils n’étaient que tous les deux, l’un en face de l’autre, en discutant. Toutes les suppositions qu’elle avait s’envolèrent. Elle se sentit toute bête.
« Qu'est-ce que tu fais là ? » dit Oscar.
– Je... Elle se mit à bégayer. Je te cherchais.
– Ne t'inquiète pas, je n'avais pas disparu.
– Qu'étiez-vous... en train de faire ?
– Ah euh... on parlait.
– Et de quoi ?
– Euh... »
Ma mère continua la phrase :
« On parlait... d’une surprise que l’on voulait te faire. »
Les suppositions qu’elle avait étaient-elles vraies ? C’est en tout cas ce qu’elle pensait ; elle se mit à crier :
« Est-ce pour ça que tu avais enlevé ton pull ? »
– Bah, j'avais chaud. Si tu regardais la température… dit-elle d’un ton hypocrite.
– Oui, c'est ça ! »
Elle sortit de la pièce et claqua la porte. Tout le monde qui était assis à table regarda la scène. Elle prit son manteau et claqua la porte d'entrée. Elle descendit les marches de l'immeuble, le son de ses chaussures claquant sur les marches en béton de la vieille bâtisse. Après cette dispute, elle coupa tous les ponts avec nous – jusqu’il y a trois ans.
Cette année-là, un soir de réveillon (encore), elle prit son téléphone et composa le numéro de ma mère. Pourquoi avait-elle fait cela ? On n’en a aucune idée, mais elle le fit. Elle souhaita un joyeux Noël, puis elles discutèrent longuement. Quand l'appel fut fini, ma mère m'expliqua que j'irai fêter le Nouvel An chez elle. Ce ne fut pas du tout un incroyable Nouvel An, car l’ambiance n'était pas au rendez-vous ; il faisait froid, sombre et on n'était que toutes les deux. Ma mère continua de parler quelques fois avec Tante Léontine, même si elles restaient toutes les deux froides l'une envers l'autre. L'oncle Oscar partit refaire sa vie avec une autre femme. Pourquoi ce malentendu avait-il eu lieu ? Ou était-ce juste ma mère qui m’avait raconté une fausse histoire pour cacher la terrible vérité ?
Quand je sors du métro, la pluie, qui était de fines gouttes jusqu'alors, se métamorphosa en une pluie torrentielle. Mes habits allaient être trempés, mais mieux valait-il pas ça que d'aller chez elle ? En fin de compte, je préfère regagner l’appartement. Quand j’arrive au bout de la rue, la masse sombre de son immeuble s’abat sur moi. J’ouvris la porte d’entrée – qui est en haut de trois pauvres marches délabrées – au fond de l’entrée, dans le coin plus sombre encore que dehors, montait un escalier ; si on se mettait dessous pour essayer de voir le haut, on n'apercevait même pas le premier étage. Une fois arrivée devant sa porte, j’entrouvre celle-ci et me laisse glisser dans son antre. Toutes les lumières sont éteintes, il fait sombre. Je dois me mettre à toucher dans le vide pour essayer de trouver l’interrupteur, je touche quelque chose de dur, il a une forme carrée, ça doit être l’interrupteur, j’appuie dessus et les lumières s'allument. Les murs étaient d’un blanc sale, presque jaune. L’ampoule qui éclaire légèrement la pièce est recouverte d’un papier jaune qui doit sûrement tamiser la lumière, les fils qui retenaient celle-ci étaient dénudés et faisaient risquer de faire tomber l’ampoule à tout instant. Quand je me retourne, de l’autre côté se trouve une grande pièce, une table doit sûrement y être entreposée. Le tapis du début du siècle recouvrait le sol en lattes de bois scindées en plusieurs morceaux par le temps, mais si le but de Tante Léontine était de cacher cela, les trous du tapis en laissaient entrevoir une grande partie. J’avance dans un couloir qui est en face de la porte, sur les côtés se trouvent de grandes armoires. Au fond, une étagère avec des vieux livres mangés par les rats, une photo était posée sur le dessus, c’était ma Tante et ma mère quand elles étaient jeunes. Elle n’était peut-être pas si terrible défaites. À chaque extrémité de la bibliothèque qui n’est pas plus haute que mon coude, se trouve une porte. Je me dirige naturellement vers celle de gauche, car c’est de ce côté qu'appartient ma main dominante. J’entends des gouttes d'eau tomber, cela devait être la salle de bain.
J’ouvre la porte et je me vois frappé par une odeur atroce. On aurait dit un poisson en putréfaction. Devant moi se dresse un meuble contenant un lavabo sale et des placards installés juste au-dessus. Sur une des portes, je vois mon reflet. C’est peut-être des placards miroir mais, vu la saleté qui s'était déposée dessus, on pourrait se poser la question. Avec un dégoût profond, je prends le manche de mon sweat et le nettoie. Ma tête apparaît mais aussi une autre qui est allongée dans la baignoire. Je n'aurais pas pu voir la personne avant, car elle était cachée derrière le rideau de la baignoire. Mais maintenant que je regarde mieux, cette personne n’est pas tout à fait normale. Une partie de sa tête est cachée. Je me recule brusquement, elle n'était pas cachée, elle n'était plus là. Non, ce n'est pas possible ! Je décide d'écarter le rideau pour vérifier. Il lui manquait bien la moitié de son visage. Mais un de ses seins avait aussi disparu. Sur son ventre, s'il en reste vraiment un bout, était posée une bouteille de vodka. Ses intestins étaient enroulés autour et son utérus avait disparu. Le corps recommençait à être entier à partir des genoux. Mais de longues et profondes lacérations lui recouvraient les chevilles et les pieds. Sur ses ongles de pieds peints en rouge-marron se trouvaient des lettres écrites à la main - une sur chaque orteil. Par le choc et la remontée acide de mon estomac, je partis en courant de la pièce. J’ouvre une porte au hasard et vomis, est-ce que c’était les toilettes ? Aucune idée, mais j’ai rejeté tout ce que j’avais dans l’estomac. Mais certainement pas ce que je venais de voir.
Je pris une grande respiration et retournai sur mes pas. Même si je n'aimais pas ma tante, je n'étais pas sociopathe ; je ressentais donc une grande déchirure à travers moi, et je me demandais si je pourrais me remettre de ces images qui tournaient dans ma tête. Le téléphone était posé sur la table ; je le pris et composai le numéro des secours. Après une légère attente, une dame décrocha.
« Bonjour, quel est votre type d'urgence ? » Elle dit ces mots tellement naturellement qu'elle a sûrement dû les apprendre par cœur.
« Pour un meurtre, » répondis-je.
« Peux-tu me décrire la scène ? Est-elle de ta famille ? Êtes-vous chez vos parents ? » Elle comprit que j’étais un enfant.
« Je prenais le train pour aller chez ma tante et quand je suis rentré chez elle, il y avait la lumière allumée dans sa salle de bain. Je suis donc allé voir et elle était dans la baignoire, nue et avec plein de coupures partout.
– Tu as quel âge ?
– Quinze ans.
– Et comment t'appelles-tu ?
– Isa.
– C'est un très beau prénom, Isa ! J'ai localisé grâce au téléphone, les secours arrivent dans cinq minutes environ. Je vais te demander de rester en ligne avec moi. »
Je réussis à sortir un « oui » presque inaudible et tombai en larmes. La dame essaya de me consoler, mais en vain ; on resta en appel jusqu'à ce que les secours arrivent. Tout le monde débarqua, l'immeuble fut bouclé d'un tour de sac. Ils trouvèrent juste une veste rouge qui n’appartenait pas à ma tante. Pourquoi portait-il une couleur aussi visible s'il voulait la tuer ?
Voici la suite de la correction du texte :
...légiste. Nous sommes au pénultième jour avant le début de mon contrat dans l’institut de médecine légale de Londres. Je finis de profiter de mes vacances avant ma rentrée. Je ne sais absolument pas quel va être le premier patient que je vais ausculter (oui, je parle bien d’un cadavre comme s'il était encore parmi nous ! On m'a appris que l'on devait traiter une charogne comme un véritable patient).
Le téléphone sonne, me tirant de mes pensées. Un appel d’un numéro inconnu. Mon cœur s’emballe légèrement, mais je décroche.
"Bonjour, Isa ? C'est moi, Oscar." Sa voix me serre la gorge. Je n'avais plus entendu ce nom depuis des années, et surtout pas depuis ce terrible réveillon.
"Que me voulez-vous ?" réponds-je d’une voix cassée.
"J'ai besoin de parler. Je sais que ce que je vais dire ne changera rien, mais je suis vraiment désolé pour ce qui s'est passé. Je voulais te dire que j’ai... J’ai essayé de réparer ce qui a été brisé. Tu sais, cette nuit-là, tout a dérapé. Je n'ai jamais voulu que ça arrive, jamais."
Je sens la bile monter dans ma gorge. Les images du corps de ma tante, ce qu'elle avait enduré, sont toujours là, dans ma tête. La conversation continue, mais je ne l’écoute plus vraiment. Mon esprit est ailleurs, plongé dans un tourbillon de souvenirs, de regrets, de rage et de peur.
"Isa, je sais que je ne mérite pas ton pardon, mais je voulais te dire une dernière chose, avant que tu partes travailler à Londres. Il y a des choses que tu dois savoir... sur ma tante, sur cette nuit-là, sur ce qui s’est réellement passé."
Mon cœur bat plus fort. "Que voulez-vous dire ?" Je n'avais aucune idée de ce qu'il allait me révéler. Mais je savais qu'il était trop tard pour revenir en arrière.
Je serre le téléphone contre mon oreille, le bruit de ma respiration brisée me semblant soudainement trop fort dans le silence de ma pièce.
"Je n’ai jamais voulu te faire de mal, Isa. Mais il y a des choses que j’ai cachées, des vérités que j’ai enfouies si profondément que je ne pouvais même plus les voir moi-même. Je ne voulais pas que tu sois impliquée, que tu saches ce que ta tante faisait, ce qu’elle m’avait forcé à faire, ce qu’on a fait ensemble... Mais c’était trop tard. Quand elle a commencé à changer, à devenir... différente, je n’ai plus rien vu de la femme que j’avais connue."
Il fait une pause, et je sens son souffle trembler de l’autre côté du fil. Je n’ose pas le couper, mais chaque mot qu’il prononce me brise un peu plus.
"Ce qu’elle faisait dans cette chambre... Elle voulait que je participe, qu’on cache tout cela aux yeux des autres, qu’on fasse comme si tout allait bien. Elle m’a manipulé, Isa. Je n’étais qu’un pion dans son jeu... et je n’ai rien vu, rien compris avant qu’il soit trop tard. Je suis désolé, profondément désolé, pour tout ce que tu as vu ce jour-là."
Ses mots résonnent dans ma tête comme un écho funeste. J’essaie de garder mon calme, de ne pas me laisser submerger, mais c’est comme si tout ce que j’avais enterré refaisait surface, se frayant un chemin douloureux à travers mes souvenirs.
"Et la nuit où tu es arrivée chez elle... Ce n’était pas ce que tu croyais, Isa. Tout ce que tu as vu dans la salle de bain, ce n’était pas ce que ta tante méritait. Ce n’était pas un accident. C’était la fin de tout ça. La fin de ses manipulations, de ses abus. Je n’aurais jamais dû la laisser aller aussi loin. Mais il était trop tard."
Je me sens soudainement prise dans une mer d'émotions contradictoires. La douleur, la rage, le soulagement, la confusion... tout se mélange dans un tourbillon.
"Et toi, Oscar ?" Ma voix tremble, mais je tente de la rendre ferme. "Et toi, que faisais-tu pendant tout ce temps ? Pourquoi n’as-tu pas agi avant ? Pourquoi n’as-tu pas arrêté tout ça quand tu l’as vu commencer à sombrer dans ses dérives ?"
"Je... je n’étais qu’un idiot. J’étais trop aveuglé par ma propre lâcheté pour voir la vérité. Et maintenant, il est trop tard pour réparer quoi que ce soit. Mais si je pouvais revenir en arrière, je t’assure que je ferais tout différemment."
Je sens mes mains trembler, et mes genoux deviennent faibles. Tout cela fait trop mal. Trop de révélations en trop peu de temps. Trop de vérités effrayantes sur les personnes que je croyais connaître.
"Et la veste rouge ? Pourquoi l’as-tu laissée là-bas, sur le sol ?" Ma voix se fait plus forte, une dernière question qui me brûle les lèvres.
Oscar soupire, un long souffle lourd. "La veste… Je l’avais oubliée. Je ne pensais plus à rien, Isa. Tout s’était effondré. Je t’assure, je ne voulais pas que ça se termine ainsi. Mais... tu sais, parfois les choses échappent à notre contrôle. Et après, tout est devenu flou. Je suis allé chercher de l’aide, mais elle était déjà..."
Il n’ose pas finir sa phrase, mais je sais ce qu’il veut dire. Il n’y a pas besoin de mots pour comprendre. La vérité est bien plus sinistre que je ne l'avais imaginée.
Je reste un moment sans parler, absorbant tout ce qu’il vient de dire. Puis, dans un souffle presque inaudible, je lui réponds :
"Je n’ai pas besoin de ta pitié, Oscar. Je n’ai pas besoin de tes excuses. Ce qui est fait est fait, et rien ne changera jamais ça."
Il reste silencieux pendant un moment, et je peux presque entendre son souffle se couper, comme s’il réalisait enfin qu'il avait perdu tout espoir de réparer ce qui était irrémédiablement brisé.
"Je comprends, Isa. Je comprends..." Sa voix est brisée, mais il n’ajoute rien d’autre.
Je raccroche sans un mot de plus, laissant l’écho de ses paroles flotter dans l’air. Je ferme les yeux et laisse une larme solitaire glisser sur ma joue, mais je ne fais rien pour l’arrêter. Après tout ce temps, je réalise enfin que la vérité, aussi douloureuse soit-elle, m’a libérée d’un poids que je ne savais même pas porter.
Je n’ai pas besoin de plus de réponses, pas besoin de chercher plus loin. Ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu, fait de moi ce que je suis maintenant. Et ce n’est pas cette histoire, ni cette famille, qui me définiront.
Je suis prête à avancer. Prête à laisser tout ça derrière moi.
Demain commence une nouvelle étape. Une nouvelle vie. Une vie où je me construis, enfin, à partir de ce que je suis vraiment. Une vie sans les fantômes du passé, sans la douleur du souvenir. Une vie où je choisis mon propre chemin.
Je me lève, regarde une dernière fois le téléphone, et le pose sur la table.
Le passé est derrière moi. À partir de maintenant, c’est à moi d’écrire ma propre histoire.
Annotations
Versions