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C’est un matin comme celui de l’an passé, printanier et ensoleillé. Personne dans les rues, le calme, c’est si rare. Dès que j’aperçois sa silhouette, je comprends que ce n’est plus la même chose. La maladie sans doute ! Nous nous serrons l’un contre l’autre. Sa chaleur m’envahit. Il me fait toujours le même effet de plénitude. Je sens que son étreinte est moins forte que celles que j’ai connues. Son sourire n’est plus aussi radieux. Non, je me mens ! Il n’a plus son sourire radieux, celui qui n’était destiné qu’à moi. Je ravale mon angoisse et ma douleur. Nous avons une journée pour nous expliquer.

Pendant que je conduis, je lui demande comment il va, de me parler de sa maladie. C’est encore pire que ce que je pouvais imaginer. Cette faiblesse extrême, cette impossibilité de lutter contre la suffocation. Cette tentation de se laisser glisser. La lente, très lente remontée, en dents de scie, avec des rechutes de fatigue, l’incapacité à se concentrer. Lui, le bouillonnant, me dit avoir vieilli de cinquante ans ! Je le laisse causer lentement. Bien sûr que je veux savoir tout ça, mais je veux surtout savoir pour nous !

Nous sommes presque arrivés quand j’ose enfin

— Et avec Clarisse ?

— Ça va ! Elle s’est calmée. Je ne sais pas bien ce que tu lui as fait cette nuit-là, mais cela l’a traumatisée. Elle te hait à un point inimaginable.

— Je lui ai fait connaitre nos pratiques, celles qui nous donnent du plaisir !

— Mais c’est une femme !

— Et alors ? Tu sais, elle a ressenti comme nous, autant que nous ! C’est cela qui l’a effrayée, jouir absolument !

— Je me souviens de notre première nuit… Il faut accepter ! Moi, j’étais en dévotion devant toi…

— Tu ne l’es plus ?

— Usem, c’est difficile ! Je t’aime énormément, absolument ! Mais dans mon milieu, on ne peut pas vivre ça !

— Bien sûr que si ! Il y a autant de gays partout ! Juste, dans « votre milieu », ils sont refoulés ! Toi, tu as franchi le premier pas, tu n’as pas eu peur ! Souviens-toi de la scène de la pharmacie !

Il sourit ! enfin ! Mon cœur repart.

— Et comment vont vos… relations…

Il comprend.

— Nos rapports sont redevenus comme avant ! Elle ne veut plus me… Pourtant… Surtout, maintenant, il y a du nouveau. Elle me contrôle !

— Comment cela ?

— C’est elle qui contrôle mes envies sexuelles et qui décide quand et comment je peux jouir.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— C’est vrai, et cela me simplifie la vie. Je suis plus calme. Tu vois, je t’aime, mais je n’ai plus envie de coucher avec toi !

J’avale ma salive. Je ne comprends pas. Elle l’a castré chimiquement ? ce qu’il me dit est horrible !

— C’est pour ça qu’elle m'a autorisé à partir aujourd’hui avec toi, car elle sait qu’il ne se passera rien.

— Ça, ce n’est pas dit !

— Mais c’est juste impossible, Usem !

Il prend ma main et la pose sur son sexe. Je sens des tiges de métal sous mes doigts.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Une cage de chasteté. Cela m’enserre le pénis et je ne peux plus avoir d’érection. Cela fait mal et les stoppe immédiatement.

— Tu n’as qu’à la retirer ! moi, je vais te faire…

— Impossible ! Il y a une clé et c’est Clarisse qui l’a !

— C’est quoi ce délire ? Je n’ai jamais vu ça !

— Usem, c’est une bonne solution. C’est vrai, elle a raison. Je suis plus calme et je ne pense plus à toi.

— Car c’est mal de penser à moi ?

— Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Tu es le mec le plus admirable que je connaisse, mais être amants n’est pas bien !

Quel démon ! Quelle horreur ! C’est une vraie castration, sexuelle et morale. J’ai perdu mon soleil. Il n’est plus que sa poussière. Ma colère monte.

— Je peux quand même te prendre, tu peux quand même me sucer…

— Non ! Elle a dit qu’elle contrôlera les traces. Si cela se produit, elle me mettra un modèle qui bloque aussi l’anus. Et si j’ai une excitation avec toi, j’arrêterai vite, car cela fait mal. Ça aide vraiment à contrôler ses pulsions. C’est bien pour moi !

S’en est trop ! Je sors de la voiture en claquant la portière. Je n’ai qu’une envie, tuer cette femelle et récupérer la clé de mon amour, de ma vie. Soudain, une immense compassion m’envahit. Je m’approche de Pierri, qui semble désemparé. Je le prends dans mes bras, le couvre de baisers et de caresses, en murmurant son nom. Cela me fait tellement mal de la voir dans cet état, brisé anéantit. Il voulait tellement trouver autre chose, vivre l’aventure, exploser de vie et de joie. Le voilà tenu en laisse. Que ça fait mal !

Il se laisse dorloter. Je ressens un mélange d’émotions et de soumission. Il se recule.

— Usem, arrêtons ! C’est agréable, mais je ne sais plus. J’ai envie de te rejoindre, mais je n’ose pas me laisser aller. La cage ne sert à rien, car cela ne me fait pas d’effet.

Je baisse les bras. C’est impossible ! Tout ce que nous avons vécu ! Tout cela est en train de s’effacer, peut-être déjà mort. Je le connais à peine, finalement, mais ce que j’ai ressenti, c’est qu’il va se laisser aller. Il a perdu la vie !

Je le reprends, je l’embrasse avec une fougue sans limites. Il résiste, mais j’arrive à introduire ma langue. Mes mains malaxent ses fesses, comme je sais qu’il adore. Qu’il adorait ? Oui, il vient, il se relâche et je sens la sève remonter en lui. Il cherche à s’écarter, je le retiens, accentuant la force de mon désir, voulant lui faire passer un contre-pouvoir. Il lâche, il revient. Je sens que c’est trop dur pour lui. Il se libère. Il a le visage en larmes. Je lui tends la main, il relève la tête. Je lis et je comprends ce qu’il ressent. Lors de ce weekend spécial, j’ai ressenti la même chose, l’appel de l’abandon, de s’en remettre entièrement à une volonté extérieure, pour tout. La liberté et la sérénité…

Des voitures arrivent pour se garer, apparemment un groupe de randonneurs. Nous nous enfuyons vers l’arrière de la maison forestière sur notre station qui ronronne sereinement. Nous sommes dissimulés aux regards. Mais cette rupture a cassé le fil renoué. Il est redevenu le zombie et fuit mes rapprochements.

— Pierri, je suis là, je serai toujours là ! Tu ne peux pas briser ou oublier ce que nous avons vécu. Une pensée, un appel et je viens te sauver !

— Je n’ai pas besoin d’être sauvé ! Tout va bien !

Je n’arrive même pas à lui mettre la main sur l’épaule. Nous rentrons dans le silence.

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