Arizona se hissa à la force du poignet sur les derniers mètres. "Ne regarde pas en bas, pépère... Surtout ne regarde pas en bas..." Il prit pied sur l'ultime plateau rocheux qui couronnait son parcours du combattant au terme duquel il avait dû effectuer cette ascension vertigineuse. Derrière lui, une longue piste sablonneuse se perdait au loin dans la lumière incertaine provenant d'une multitude de braseros. L'explorateur distinguait encore le lacis erratique de sa course. Vue d'ici, ça ressemblait plutôt au déplacement d'un pilier de comptoir qui tirait des bords avec quatre grammes d'alcool dans le sang. "Faut vraiment être tordu pour aller placer des pièges à la con comme ça... Et je ne sais pas comment fait le type qui entretient les braseros tous les jours pour ne pas finir lui-même empalé, noyé, décapité, aplati ou brûlé. J'espère qu'il est bien payé." Après un haussement d'épaules, Arizona Jones se détourna. Devant lui s'étendaient les derniers renfoncements de la caverne. Au centre, éclairée par un rayon de soleil qui tombait du plafond percé, sur une modeste colonne minérale, trônait - "Tatatiiiinn" - la Lampe Rutilante, objet de tous ses désirs.

 Recouvert de sable fin, le sol pouvait également receler quantité de pièges, aussi l'aventurier prit-il le temps de détecter d'éventuels mécanismes. "S'agit pas de finir avec un thermomètre enfoncé d'un mètre là où le soleil ne brille pas, juste avant de toucher au sacré... La version musclée d'une coloscopie, pas pour moi... Pas après quinze années de recherches acharnées." Rassuré par ses investigations, Arizona s'approcha de la lampe et souffla sur le dessus du support. La rainure d'un cercle apparut sous la lampe, ce qui laissait supposer la présence d'une joyeuseté à contre-poids. "Faudra refaire le coup du sac de sable si je veux emmener la lampe avec moi. Ils ne se renouvellent pas trop, quand même... Le réel problème, en réalité, c'est toujours l'estimation, à vingt grammes près."

 Après mûre réflexion, la lampe resterait là. Trois vœux suffisaient à son bonheur. Pas besoin de bouger le bousin. Les véritables difficultés commençaient maintenant.

 Arizona sortit un chiffon à lunettes et entreprit de frotter la lampe avec douceur en retenant son souffle. Il transpirait à grosses gouttes. La pire partie de Mikado de sa vie. Lorsqu'il vit les premières volutes de fumée violette s'échapper du bec, il suspendit son geste. "Je le crois pas... Ça marche !"

 La Lampe Rutilante dégorgea un flot violacé qui se mua bientôt en une silhouette caractéristique et démesurée qui emplissait l'espace. Seule la partie supérieure du corps était visible. Bras croisés sur un torse musculeux, le dernier génie en état de fonctionnement planait au-dessus de sa lampe. Mayoukou Tombolé toisait l'explorateur. Sa voix de stentor résonna sous la voûte rocheuse : "Tu m'as libéré de cette prison dans laquelle j'étais enfermé depuis... Pffffiou... Et je t'en sais gré.

• Salut à toi, ô grand Mayoukou Tombolé."

 Arizona n'était pas sûr de respecter l'étiquette qui sied à ce genre de situation mais il considérait que pommader le génie ne pouvait pas nuire.

"Formule tes trois vœux, je t'écoute."

 Toute sa vie, ce petit-fils d'explorateur, fils d'explorateur et explorateur lui-même, s'était pris à rêver de ce moment. Après de longues méditations sur la question, il en était venu à synthétiser les choses ainsi :

Pack de vœux numéro 1 "Tout pour ma pomme" = riche-beau-célèbre. Cette combinaison incluait les filles.

Pack de vœux numéro 2 "Tout pour le monde" = famine-guerre-pollution. Celui-là pouvait inclure les filles, avec peut-être un taux de bombasses en-dessous des normales saisonnières.

Pack de vœux numéro 3 "Tout pour le fun" = Tapis volant-Super héros-Vie illimitée. Le troisième, à coup sûr, garantissait la perle : Monica Belluci avec l'intelligence de Yourcenar mêlée à celle d'Einstein, et le dévouement de Mère Térésa. Fallait juste ne pas se tromper dans la répartition pour éviter d'épouser une Mère Térésa dotée de la chevelure d'Einstein et qui parlerait avec une belle voix grave à l'accent italien.

Pack de vœux numéro 4 "Pack mystère" = je deviens un dieu et on n'en parle plus.

L'inconnue de l'équation était ce que pouvait faire ou ne pas faire le génie.

"Hé bien j'hésite un peu, ô grand Mayoukou Tombolé... Je peux te poser quelques questions avant de me lancer?

• Je t'en prie...
• Tu pourrais me donner un vrai tapis volant, me transformer en super-héros immortel ? Me rendre beau, riche, célèbre ? Faire en sorte que guerres, famines et pollution disparaissent ? Faire de moi un dieu, carrément ?
• Oui, je le peux, répondit le génial génie d'un ton assuré.
• Vraiment ?
• Vraiment. Je peux tout faire.
• Mince alors ! murmura Arizona, bien embêté. Quel pack choisir, du coup ?
• Attention cependant, ajouta le génie. Tu devras justifier de tes choix, et cela en trois parties, avec thèse, antithèse et synthèse, et bien sûr une introduction et une conclusion qui se termine par une question ouverte."

 Arizona se massa les tempes. Il sentait venir la migraine. Après avoir recherché la Lampe Rutilante aux quatre coins du monde une bonne partie de sa vie, déchiffré des parchemins illisibles rédigés par des moines qui écrivaient comme des pieds et évité des pièges construits par des pervers, il allait devoir maintenant rédiger une dissertation ? Quinze ans de travail acharné pour en arriver là, avec une épreuve que Chat GPT aurait pu régler en cinq minutes si seulement il avait du réseau ?

Devant son embarras, Mayoukou Tombolé s'adoucit : "Pour faire de toi un dieu, je peux peut-être me contenter de te demander pourquoi tu voudrais devenir un démiurge.

• Oh ben ça, c'est facile ! s'exclama Arizona Jones. Si je deviens un dieu, j'aurai tout ce que je désire et je pourrai arranger tous les problèmes sur Terre.
• Tu es sûr d'être à la hauteur de la tâche?
• Tranquille, ô grand Mayoukou Tombolé ! assura l'aventurier.
• Alors, soit ! conclut l'occupant de la lampe.

 Dans un petit "pop", le génie disparut. La Lampe Rutilante également, de même que la caverne et tout le reste autour. Arizona se retrouva dans une pièce vaguement ovale moquettée de rouge et décorée de tentures, sans porte ni fenêtre. Un éclairage diffus venant d'on ne sait où baignait les lieux. Quelques couches confortables étaient disséminées un peu partout. Des corbeilles de fruits frais et des verseuses à thé sur des tables basses achevaient de compléter la décoration. Posé sur l'une d'elle, un immense écran de télévision dardait son voyant rouge, œil de cyclope, sur l'explorateur abasourdi. La voix lointaine et réjouie de Mayoukou Tombolé lui parvint : "Te voilà à ma place maintenant, à l'intérieur de la lampe. Tu t'ennuieras peut-être au bout d'un moment mais en attendant, tu peux demander tous les films que tu veux à la télé, et suivre tous les programmes dont tu as envie. Moi, perso, je te recommande quand même de voir ou revoir Bruce tout-puissant, avec Jim Carrey et Morgan Freeman... Chouette film, vraiment."

 À ses pieds, Arizona ramassa une antique lampe tout à fait semblable à celle devant laquelle il se trouvait une minute plus tôt. Il la retourna pour l'examiner et découvrit alors une vielle étiquette jaunie en dessous. Made in Hell, déchiffra-t-il à travers ses larmes.