Chapitre 10 - Samedi 21 mars

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Planifications

J’ai ressorti la chimie du tiroir, seul moyen de trouver un sommeil précaire. Il faut dire que j’avais toutes les raisons du monde pour me retourner sans cesse dans mon lit. Une machine à laver ou à salir. Tous les scenarii se bousculent, et aucun n’est parfait. Il va falloir improviser.

A mon réveil, c’est toujours le désordre. Aucun éclair de génie, la chimie a ses limites. J’ai juste décoché la case du dimanche. Pas assez de monde sur les routes. Autant partir avec des guirlandes clignotantes sur la tronche et une belle inscription sur la voiture : « Arrêtez-nous, on se barre ». Ce sera lundi. Espérons que d’ici là, Nora ne change pas d’avis.

Pour l’instant non. On s’appelle. Elle a mal dormi. Moi aussi. Elle continue de négocier avec son fils. Ça va lui coûter un bras, mais l’argent est le nerf de la guerre. On entre dans les détails. Pour lundi on est d’accord.

Les bagages ? On va la jouer modeste et éviter le coffre de toit.

L’itinéraire ? Pas de périphérique et rejoindre l’A6 après le péage de Fleury.

Courses ? De quoi tenir trois ou quatre jours.

En cas de contrôle ? Ça se complique. C’est ici notre Everest.

Pour aller chez elle, j’ai mon plan en béton. Un certificat de travail qu’un ami peut m’envoyer sans problème. Après, avec une femme et deux enfants à l’arrière ça fonctionne moyennement. Et à mesure que nous nous éloignons de Paris, l’Ausweis s’autodétruit.

Trois possibilités : la chance, le carnet de chèque ou le pire. Mais ce n’est pas nous qui devons cocher cette case.

Je raccroche et file à la banque pour retirer du liquide. Le compte en banque est aussi souriant que le ciel d’aujourd’hui. Gris.

Je laisse une partie à celle qui ne m’aime plus. Malgré sa partie acharnée de Candy Crush, elle lève les yeux vers moi et me demande quand je pars. Je lui annonce lundi. Ça semble convenir à elle et aux bonbons.

Je monte voir ma fille. Elle est dans son lit en train de travailler. Je lui demande comment elle va.

- Bien et toi ?

Je lui demande si elle veut partir avec moi. Nous avons déjà eu cette conversation. Elle serait partie si elle pouvait emmener une amie. Le confinement a enlevé les si.

- Tu ne m’en veux pas que je parte sans vous ?

- Bien sûr que non. On est grand, ça va aller. On comprend, ne t’inquiète pas.

Je lui parle de Nora, mais inutile de le dire à sa mère. Un jour oui, mais pas maintenant. Elle s’en doutait et me sourit.
Ce soir, le repas a le goût de la mélancolie. Sucré et puis en fin de compte on n’en retient que l’amertume. Je la regarde comme on regarde un tableau qu’on a trop regardé. Je m’apprête à la décrocher du mur. Il sera bien sur les murs blancs de son appartement. Ici il prend trop de place. Nora met une touche finale à cette journée. Elle a de la fièvre et des courbatures. Tout s’écroule, tout se vide et rien à ramasser.

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