Chapitre 13 - Mardi 24 mars

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On dirait le Sud

J’ai toujours bien dormi à la campagne. La fatigue est différente ici et le sommeil vient naturellement. Tout ça s’est vérifié hier soir. J’ai fermé les yeux et je me suis réveillé. Comme par magie, mes insomnies ont pris l’air.

Autre vertu de la campagne, on s’y ennuie à mourir. Les jours sont plus longs et les nuits plus courtes, mais globalement on a nos vingt-quatre heures comme tout le monde.

La campagne a dévoré la ville en un rien de temps. Juste retour des choses. Ce virus a fait baisser les stores. Les villes et les banlieues ont l’allure de nos villages assassinés et désertés.

Autant de bonnes raisons pour ne pas trop s’éterniser ici.

Nora arrive dans la cuisine où je suis installé depuis deux heures. Elle entre un peu timidement comme un chat sur ses gardes et s’installe à la table. Je pense qu’elle a dû se recoiffer un peu. Ou alors elle dort debout. Il reste du café au chaud, mais elle boit du thé.

J’en prends bonne note pour demain et fais chauffer l’eau dans la bouilloire.

Éva entre à son tour et choisit le chemin le plus court pour se réfugier dans les bras de sa mère. Séance de câlinothérapie. J’ai le droit à un mignon petit bonjour.

Le petit-déj est avalé, il est temps de ranger et de terminer notre périple. Robin prendra son repas dans la voiture en compagnie de ses écouteurs.

Je ferme les volets, coupe eau et chaudière. En voiture Simone !

Direction Mâcon. Je ralentis trois cents mètres avant le péage, au point de mettre les warnings. Rien à l’horizon, cap au sud. Arrêt rapide à une station en libre-service pour éviter les contacts. Stop and go.

Nous passons Lyon vers dix heures, et Fourvière n’est même plus un tunnel tant la circulation est fluide. À cette allure nous devrions arriver vers quatorze heures.

Nora essaye de travailler tant bien que mal. Le télétravail en voiture est un exercice d’équilibriste. Le fil est trop fin, nous nous arrêtons une demi-heure sur une aire d’autoroute le temps qu’elle téléphone au calme. Nous sortons avec les enfants, il n’y a qu’un camion garé, le chauffeur doit dormir. Mieux vaut ne pas s’éterniser.

Passé Montélimar, le paysage change. Le Sud se met en place peu à peu, et les pins se font plus nombreux à mesure que le temps passe.

Aix-en-Provence. Nora y a vécu quelques années. Les souvenirs lui reviennent, elle m’en parle, mais sans trop de détails. Nous passons et laissons le passé une fois de plus derrière nous.

Je retiens mon souffle à mesure que nous nous approchons de notre point d’arrivée. Je prends l’option de traverser le massif des Maures plutôt que de sortir au Muy. C’est plus long, mais moins fréquenté. Choix payant,pas de gendarmes à l’horizon.

Ça tourne beaucoup et Éva prend une couleur qui annonce le retour des gâteaux sous une forme moins solide. Un arrêt s’impose. Dehors, je retrouve l’odeur de mon enfance.

Les pins cuivrés et ridés m’invitent à pisser contre eux. J’accepte bien volontiers et nous repartons enivrés par l’odeur du Massif. Éva va mieux. « Regarde maman, c’est la mer ». J’aimerais dire la même chose.

Quatorze heures trente. J’arrête la voiture à hauteur de la grille et défais la chaîne qui ceint le portail. La voiture avance doucement et les aiguilles craquent sous les roues.

Nous y sommes, là où tout peut commencer ou finir. Je voudrais lui prendre la main jusqu’à la porte. Je me contente d’un «Bienvenue chez vous ».

Nora sourit à Éva qui court dans le jardin. Robin ne bouge pas.

Il est temps de rentrer.

La maison a le même âge que moi, mais a moins subi l’outrage du temps. Elle est calme et solide. Elle a des allures d’octobre. On sent l’humidité des maisons de vacances. Les fenêtres ouvertes et le soleil évacuent rapidement cette sensation. Dans deux jours elle ressemblera à une maison habitée.

Nora est à l’étage et moi au rez-de-chaussée. Robin s’installe dans la chambre qui donne derrière, au plus près de la 4G, en espérant que son portable l’atteigne sur le rebord de la fenêtre. Nora prend la chambre rose face à la vigne.

La colline en face n’est plus tout à fait celle de mon enfance. Des villas l’ont abîmée, cependant ses courbes sensuelles sont toujours là pour vous caresser les yeux. Éva dormira dans la plus petite pièce près du grenier. J’y installe une petite table et une lampe pour la faire ressembler à une chambre de petite fille.

Pour ma part, je reste au rez-de-chaussée. C’est un choix dicté par la raison plus que par l’envie. La chambre rose est ma préférée bien sûr, mais en bas mes réveils matinaux se feront plus discrets. Il faut juste que je planque la machine à café dans un endroit plus isolé, car la maison vibre au moindre bruit. Nous y avons trop crié et joué étant enfants, les murs résonnent encore de nos rires insouciants.

Je passe rapidement un coup de balai sur la terrasse qui donne sur le salon. Je sors tables, chaises, salon de jardin et même le parasol. Ça lui donne une sacrée gueule d’été.

Le salon est vite transformé en bureau. Nora pose son ordinateur sur la table et c’est fait. Le mien est resté dans la chambre, il prend l’air le matin. Nous remplissons le frigo de la contenance de la glacière. Le plein attendra demain.

Chacun prend ses marques, nous ne sommes pas près de revoir Robin. Éva fait connaissance avec le jardin et les herbes hautes près du ru qui coule en contrebas. Il y a un vélo rouillé qui fera l’affaire et mille et un jouets dans le garage, mais au vu du bordel, il faudra du temps pour les sortir un par un.

Dix-huit heures, le soleil est déjà bas. Plus bas qu’à Paris. J’appelle pour prendre des nouvelles. Les enfants vont bien, elle va bien, tout va bien. Inutile d’en dire plus, je raccroche et il ne fait pas encore nuit.

Dix-neuf heures et les volets se ferment, sauf ceux qui donnent sur la terrasse. Je tends un verre à Nora qui travaille encore sur son ordinateur. Elle me sourit et termine son mail. Éva est devant la télé, jamais trop loin de sa mère. Dehors, je recrache la fumée blanchâtre comme un indien en manque de lettres. Ce soir, c’est ravioli. Beurk.

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