Chapitre 20 – Mardi 31 mars

3 minutes de lecture

C’est juste le froid qui nous fait rentrer à la maison.

Nora n’a pas bien dormi. Elle a la tête des mauvaises nuits et des cauchemars. Je l’ai vu dès le premier regard. Ses yeux ne mentent jamais, ils regardent ailleurs. Il n’y a pas grand-chose à voir dans cette cuisine, on en fait le tour en deux minutes. Des murs jaunis et des portes marron. Sa vision se perd bien au-delà, vers d’autres murs écaillés et des placards aux ventres mous. Malgré tout, elle arrive à me sourire. Elle est belle. Toujours. Quels que soient les heures et les murs. Éva est collée à sa mère, elle ressent aussi ce genre de chose.

Nous prenons le petit-déjeuner un peu plus silencieusement. C’est tout.

J’allume la radio sur une station musicale bon marché et la musique suggère une tout autre journée, plus légère et insouciante. Ça fonctionne, le rose revient sur ses joues et Éva rigole de mes grimaces.

Puisque la musique adoucit les mœurs, pas question d’éteindre la radio. Nous sommes dans le salon et un petit filet de son nous parvient. Pas assez fort pour perturber Nora dans son boulot, mais suffisamment pour la faire chantonner entre deux coups de fil. Éva est sur la terrasse en visioconférence avec une copine de classe. La mère et la fille télétravaillent chacune dans leur coin. Moi, désœuvré, je profite de mon chômage pour entourer mes bras autour du cou de Nora. Elle caresse cette écharpe cutanée et y dépose un baiser. Mes doigts s’aventurent un peu plus bas et sa respiration chuchote à mon oreille que ce mail peut bien attendre. Nos lèvres ont quelque chose à se dire en secret qui ne regarde absolument pas nos mains, qui du reste s’en foutent pas mal. Le seul que ça dérange, c’est un connard à huit cents kilomètres d’ici. Le téléphone sonne, Nora décroche et me voici à nouveau au chômage.

Sûrement un type de la DRH.

Dehors, Éva dans le transat n’a pas terminé sa conf-call avec sa meilleure amie. Ça papote dure sur des sujets que je ne maîtrise pas plus que ceux de Nora. N’ayant aucune plus-value à faire valoir, je décide à mon tour de joindre Paris. J’appelle ma fille qui travaille dans sa chambre, elle a plus de temps à m’accorder. Là-bas tout va bien. Maman est occupée par la mise en place de sa boutique en ligne, Clément et Hugo par leurs devoirs et leurs amis en ligne. Rien n’a vraiment changé à part le foot avec Hugo. Ça me manque à moi aussi. Je l’appellerai plus tard.

- Et toi ça va ?

- Ça va très bien, ma chérie.

Elle a compris. Elle est heureuse pour moi. Je l’embrasse très fort et raccroche un peu triste. La maison est grande ici. Elle a été conçue pour des gamins plein les jambes et du bordel organisé. J’en demande un peu trop et le mois d’août est pour bientôt.

Cet après-midi, les filles et moi partons faire un tour dans le domaine. Quelques villas sont occupées par des exilés privilégiés comme nous. Chacun a des raisons de fuir et l’argent en est une bonne. Je n’en ai pas vraiment, mais j’ai les clés de la villa. À l’arrivée, c’est la même chose.

Nous évitons la plage et continuons de longer la côte sur une centaine de mètres.

Une trouée dans la végétation nous permet d’accéder à un petit carré de sable entouré de rochers. Nous sommes à peu près à l’abri de la route côtière. Une serviette de plage pour trois fait l’affaire. Il reste deux mètres carrés de sable, pas plus. Toujours aucun bateau à l’horizon. Ça donne un air d’Atlantique à la mer, mais sans les vagues. Ni la marée ni les grandes étendues de sable. Ok, ça n’a rien à voir, mais il n’y a quand même aucun bateau, et c’est vraiment inhabituel. Voilà tout.

Éva triture le sable quelques instants puis s’aventure audacieuse au plus près du rivage sur des rochers ridés. Le ressac des vagues l’éclabousse et sa mère prend des photos. Il ne fait pas très chaud, mieux vaut faire vite avant la vague fatidique. Éva revient vers nous avec quelques cheveux collés sur le visage et du sel sur les joues, mais rien de bien méchant. Elle regarde les photos. Ça lui plaît. Fière, elle les envoie à ses copines. Deux minutes plus tard, ça bip. « T’a tro la chance ! ». Et c’est reparti. WhatsApp fait de l’ombre à la plage, on a perdu Éva.

Je glisse ma main dans le dos de Nora, elle me caresse discrètement la jambe du bout de ses pieds. Nous discutons au balcon d’un joli appartement. C’est juste le froid qui nous fait rentrer à la maison.

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