Chapitre 32 - Dimanche 12 avril

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Pâques

Jamais je n’aurais imaginé planquer des œufs de Pâques pour d’autres enfants que les miens. Ce virus a fait de nos certitudes des dominos bien alignés, un coup de pichenette a fait le reste. Nous voici tous à quatre pattes, cherchant l’avenir à tâtons. C’est pratique pour cacher les œufs.

J’ai circonscrit la carte aux trésors à une petite partie du jardin, sinon Éva y sera encore pour des semaines. Son frère compte sur ses dons de pangolin pour ramener le chocolat à bon port. Il l’aide de loin. Loin, c’est son credo. Il n’a pas tort, Éva est douée. Elle renifle aussi bien le chocolat que les fourmis, le panier se remplit rapidement. Tout compte fait, j’aurais pu en nicher tout au fond du terrain. Heureusement, il reste le dernier. C’est toujours le plus difficile, d’autant que je ne sais absolument plus où je l’ai mis.

Elle cherche par cercles concentriques, parcelle après parcelle. Elle regarde, fouille, renifle et semble même écouter. On ne sait jamais, un « cot-cot » ou un son de cloche pourrait s’échapper d’une bouche cacaotée.

Nora profite des mouvements lents de sa fille pour la prendre en photo, je fais de même, mais de plus loin, pour avoir le pangolin et l’éléphant dans mon champ de vision. On dirait une fable de La Fontaine.

Au bout de vingt minutes, toujours aucune trace de vie du dernier survivant. Éva est prête à abandonner. L’idée de laisser une part du butin à ses copines formicidés ne lui semble pas incongrue. Robin sort sur la terrasse, un verre de coca à la main. Il ramasse la première chaise qui passe et s’assoit dessus. Il pond un œuf.

- Je crois que je l’ai trouvé, dit-il amusé.

Tout le monde rigole, sauf l’œuf qui n’en est plus un. Une omelette au chocolat sur un lit d’aluminium. Il est temps de passer à table.

Je découpe le gigot dans la cuisine et j’entends des rires dans le salon. Cette histoire d’œuf pondu par Robin a des répercussions sur l’ambiance générale de la petite famille de Nora. Elle parle à son fils, bénie soit la poule. Ils en profitent pour se remémorer d’autres anecdotes, d’autres moments où le rire avait droit de cité. Ils sont heureux, je le suis aussi à ma façon. J’ai d’autres souvenirs, mais personne pour les entendre, les voir rire me suffit.

Au dessert, j’ouvre une bouteille de mousseux qui trainait dans le garage. Les bulles prolongent leur complicité, elles pétillent dans les yeux de Nora. Il faut qu’elle en profite, car le verre de Robin est vite descendu et il ne va pas tarder à s’évanouir dans les vapeurs de sa chambre. Arrive le café qu’il est déjà parti, sa sœur avec lui. Ils continuent de discuter dans l’escalier. Nora étire ses bras, fatiguée, mais heureuse. Je suis dans son dos et me penche sur son cou épicé. Encore un merci dans mon oreille et des bonbons dans mes mains. Je crois que nous débarrasserons plus tard.

Nous abandonnons nos corps, le temps que nos yeux s’habituent à la pénombre. Dieu que la lumière est belle. Sa peau zébrée ondule comme le clapotis de la mer endormie. Elle met de l’huile sur chaque carré de ma peau écaillée, je mets de l’eau sur son épiderme brûlant. Des mains, il y en a mille. Des nœuds de serpents gluants dans un joli panier d’osier. Des bouches gourmandes aux pieds appétissants, la route est longue. Il faut bien se reposer, prendre la pose et repartir à l’assaut des collines et châteaux. Elle murmure des bouquets de voyelles à chaque fois que les archers décochent leurs flèches maladroites. Je dépose les armes à ses pieds.

- Tu as gagné. Je débarrasse.

- Reste un peu, j’ai mal au dos.

Plus masseur que plongeur, j’obtempère.

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