Épilogue

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Ça commence par une lumière blanche. Pénétrante, absolue. Elle est là depuis toujours, l’étincelle du premier instant de l’Univers. C’est elle qui jaillit à chaque naissance, la main qui vous saisit et vous offre le premier cri. Dans ce coton de vie, je ne sais pas trop où je suis. Le salon probablement. Je devine quelques coussins, mes mains se promènent sur le cuir du canapé.

Et puis tout à coup, la lumière disparaît. Comme ça, sans prévenir. Le salon est devenu noir en un instant. Je crois que les plombs ont sauté. Je me lève péniblement, et traîne mes jambes meurtries jusqu’à l’interrupteur.

Non ! La lumière fonctionne et puis il fait jour depuis longtemps. Un orage ? Je sors sur le perron. Il y a un camion garé devant la maison. Il est si gros, si haut qu’il cache le soleil tout entier. Plus rien ne passe. Au pied du bahut, il y a une petite fille de dix ans qui me sourit à travers la grille. Elle crie un prénom. Je crois bien que c’est le mien. À côté, il y a un jeune homme aux frêles épaules. Il ne dit rien, mais il fait un signe de la main. Derrière eux arrive une femme, elle porte une chemise qui ressemble à l’envie. Elle a de magnifiques cheveux noirs et des yeux d’amandes. Elle est belle comme une plage. Je prends les clés restées sur la porte d’entrée, je descends les marches en grimaçant de douleur et j’ouvre le portail. La petite fille me saute au cou. C’est un collier de fleurs. Le chien aboie, chouette de la visite ! La petite fille court le voir.

- Regarde, c’est son chien. Il est gentil. Il est trop beau.

Le jeune homme s’arrête devant moi. Il me check.

- J’espère que tu as la fibre me glisse-t-il sur un ton amusé.

- Euh... Oui. Enfin, c’est prévu.

Puis il part voir l’ours qui aboie et la petite fille qui crie.

La femme avance timidement. Je croyais que c’était le camion qui cachait la lumière. Pas du tout. C’est elle qui capte la lumière. Entièrement, totalement. J’aimerais lui dire qu’elle est plus belle qu’avant tout ça, comme la lune. Il y en a des milliards de lunes, mais celle-ci, elle vaut vraiment le coup.

J’ai mal aux yeux. Et plus elle avance, plus mon cœur sort de ma poitrine. Elle me sourit sans dire un mot. Ses lèvres avancent également. Lentement, gentiment. Elles alunissent. Point d’impact dans trois, deux, une secondes. Pas de boum, juste un baiser. Le premier de ma vie. Ses lèvres restent collées aux miennes si longtemps que j’ai largement le temps de descendre l’échelle et de faire des bonds de géants sur l’astre satellite. Je ne sais pas quoi faire du module lunaire avec mes mains maladroites. Les cheveux, la tête, le dos, les hanches, les fesses. Elle continue d’avancer, à moins qu’on ne s’envole. Il n’y a plus de pesanteur. Je flotte dans l’entrée, je vais me cogner au plafond. Le chien aboie, la ville entière aboie, ça klaxonne à tout-va.

On retombe doucement sur un sol un peu mou. Du sable probablement. Elle me regarde avec ses yeux de falaises.

- Je t’aime. Alors si tu veux de nous, il faut que tu m’aides à décharger la camionnette. Je dois la rendre à dix-neuf heures.

Il est dix heures et le gros camion n’en est pas un, il n’est pas si gros que ça.

Elle me regarde intensément, il n’y a rien de plus beau que le regard d’un éléphant. Elle se tient le ventre d’une demi-lune. Je connais ce geste, c’est le même à chaque fois. Elle m’aspire une dernière fois au bord du monde. Je suis heureux.

Avec un peu de chance, je crois que jamais plus vous n’entendrez parler de moi.

J’ai tant besoin de me reposer.

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