Je voudrais voir dans ton visage la joie des nouveaux jours
Vers onze heures et demie, je prends le porridge que j'ai préparé pour mon voisin ainsi que ma trousse de secours et je me rends à la villa. Il n'y a que quelques mètres qui sépare ma maison de la leur, pourtant je presse le pas. J'ai peur qu'il soit resté seul longtemps. Je ne sais pas pourquoi je suis aussi inquiète pour ce garçon que je ne connais pas depuis deux semaines. Il doit y avoir quelque chose qui ne tourne pas rond chez moi. Comme prévu, le portail est ouvert. Je sonne à la porte plusieurs fois, sans succès. Je me demande s'il n'est pas endormi. J'hésite brièvement avant d'actionner la poignée. L'image de mon père souffrant me revient en tête. Il y a quelques années, si je n'étais pas rentrée plus tôt de l'école, papa ne serait probablement plus là. Il avait une forte fièvre depuis plusieurs jours déjà et son état s'était aggravé. En repensant à ce moment, j'en oublie la politesse. Je passe la porte et prenant à peine le temps de la refermer, je traverse le couloir pour rejoindre le salon.
Je ne fais pas attention à la maison, mon attention est focalisée sur la personne malade. Chin est allongé sur le canapé, endormi. Il n'a même pas entendu la sonnette. En posant ma main sur son front, je me rends compte qu'il est vraiment très chaud. Je prépare donc une serviette humide ainsi qu'un verre d'eau accompagné d'un cachet. Heureusement que j'ai tout ce qu'il faut dans ma mallette. Je ne me permettrais pas de fouiller dans cette maison. Tout en m'occupant de mon patient, je jette un œil à la pièce. Elle doit faire la taille de ma maison. Lumineuse, elle est aussi incroyablement aménagée. Une immense statue se dresse dans toute sa splendeur, juste devant la baie vitrée. La pièce est plutôt épurée : rien de superflu. Un téléviseur démesuré accompagné d'une impressionnante collection de films et de figurines en tout genre. La cuisine ouverte est tout aussi spacieuse. Je me dis que ce serait parfait pour moi, vu que j'aime m'étaler.
Je suis vraiment inquiète. Cela fait un moment que je suis arrivée et il n'a toujours pas ouvert un œil. J'espère que son état n'est pas aussi grave que celui de papa à l'époque. Je crois que je serais prise de panique. Je tiens mon téléphone dans la main, prête à appeler les secours. Je suis de nature à m'inquiéter pour les autres mais je ne sais pas pourquoi ce garçon inconscient me donne autant de soucis. Je ne peux m'empêcher de me demander à quoi ressemble son vrai visage. Est-il plutôt pâle ou rouge à cet instant ? Est-il tendu apaiser ? Quelle est la véritable couleur de ses yeux ?
Dans ma main, mon portable vibre. Je décroche à moitié consciente de mon geste. Je ne peux m'empêcher de le fixer tout en me demandant ce que je pourrais faire de plus.
- Comment vas-tu ma chérie ? Je suis déçue que tu n'aie pas pu venir nous voir aujourd'hui.
- J'ai eu une urgence, maman.
- Tu es sûre que tout va bien ? Ta voix est bizarre.
- Moi je vais bien mais mon voisin est malade. Il ne s'est toujours pas réveillé et je ne sais pas quoi faire.
- Paniquer serait la pire des solutions. Sa fièvre a-t-elle baissé ?
- Pas beaucoup.
- Il devrait se réveiller proprogressivement. Tu pourrais lui préparer une tisane au thym avec du miel.
- Je ne suis pas chez moi...
- Je ne pense pas qu'il t'en voudra. Et si tu as pris ta mallette que je t'ai préparé, tu auras ce qu'il faut.
- Comment sais-tu que je l'ai prise ?
- Tu es ma fille et tu te préoccupe toujours des autres. D'ailleurs qui est ce voisin pour qu'il retienne autant ton attention ?
- Maman... je ne le connais pas vraiment. C'est juste que ses colocataires se faisaient du souci et ils ne voulaient pas le laisser seul.
- Je vois... Il me semble que tu es bien entourée, cela me rassure un peu. N'hésite pas à demander de l'aide.. s'il t'arrive quelque chose, ton père et moi serions très affectés.
- Il ne va rien m'arriver. J'ai déménagé, tout va bien.
- N'oublie pas de faire une fête avec tes amis.
Je raccroche et pose une nouvelle fois ma main sur le front Chin. La fièvre semble avoir baissé à nouveau. Soulagée, je décide de lire un webtbtoon en attendant qu'il reprenne ses esprits. Ensuite je ferais réchauffer porridge et lui préparerai une tisane. Assise en tailleur, près du canapé, je me concentre sur le drama que j'ai commencé la veille. Un drame romantique sur une femme qui décide de changer son destin alors que la vie lui accorde une seconde chance. Je me demande ce que je ferais si je pouvais changer mon passé. Probablement que je ne me laisserais pas avoir par ces personnes en qui je croyais. Je ne pense pas que je me vengerais. Cela ne m'apaisera , je crois. Je me contenterai simplement de les éviter. Je ferais en sorte de ne jamais croiser leur route.
Après un momoment, je reporte mon attention sur mon patient. Celui-ci me regarde attentattentivement. Je ne m'étais pas rendu compte qu'il était réveillé. J'ai un mouvement de recul, et me cogne contre la table basse. Pourquoi faut-il que son regard brumeux soit aussi puissant ? Prise de panique, je tente de me relever mais percute la mallette. Tout son contenu s'étale sur le sol dans un fracas épouvantable. Je suis prise de frissons. Comment est-ce possible ?
Ses pupilles marrons foncées brillent telles deux néons dans la nuit. Malgré fièvre son teint pâle est étrangeétrangement lumineux. Il se dégage une certaine douceur de son visage. Ses lèvres fines sont délicates alors même qu'elles sont fermement closes. Il me dévisage, intrigué. Je cligne des yeux plusieurs fois, incapable de croire en ce que je vois. Je dois être entrain de rêver. C'est cela. J'imagine ce visage tel que j'aimerais qu'il soit. Je souhaitais tellement voir son visage que je l'ai inventé. Je voulais simplement voir si il allait mieux, m'assurer qu'il n'était pas dans un état critique. Je voulais tellement m'assurer qu'il n'avait pas le même teint que mon père lorsqu'il était mourant que j'ai laissé mon esprit dessiner son visage.
Je me force à fermer les yeux une fois de plus avant de les ouvrir à nouveau. Il n'y a plus de masque argenté. Le visage de Chin est toujours là. Légèrement allongé, il semble avoir été modelé pour incarner la bonté. Je suis fascinée par ce qu'il dégage. Même si je n'ai toujours pas l'impression que tout ceci est réel, je ne peux m'empêcher de le regarder. Cela fait bientôt deux ans que je suis incapable de voir les visages. Que les gens ne sont pour moi plus que des masques effrayants. Deux ans que je ne reconnais personne. Que j'ai dû apprendre à voir d'autres différences comme leur style vestimentaire, leur voix ou encore leur façon de parler. Deux ans que je suis enfermée dans une bulle bien trop épaisse pour pouvoir discerner ce qu'il y a à l'extérieur.
- J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas pendant que je dormais ?
- Non... Dis, tu as les yeux marrons ?
- Hum... oui.
- Et des lèvres fines, un nez plutôt droit et le visage fin ...
- Tu es sûre que ça va ? On dirait que c'est la première fois que tu me vois. Ne me dis pas que tu m'as enfin reconnu et que tu es sous le choc ?
- Je pense surtout que je ne pourrais plus ne pas te reconnaître. Enfin, en tout cas je l'espère.
- Hein ?
- Je suis tellement soulagée que tu n'es pas une tête affreuse.
- C'est censé être un compliment ?
- Non... J'avais simplement peur que tu ne sois gravement malade vu que tu ne te réveillais pas et je ne parvenais pas à voir les signes sur ton visage. Alors je ne savais pas quoi faire, je voulais seulement vérifier que tu n'avais pas le teint gris...
- Ce que tu dis n'a aucun sens.
- Je sais même moi j'ai dû mal à comprendre. Pourquoi est-ce que je vois ton visage ?
- Parce que tu es en face de moi.
- Non... ce n'est pas possible. Je dois l'avoir imaginer.
- Dis.. est-ce que tu es sûre d'être dans ton état normal ?
- J'ai fait du porridge et il faut que tu prenne un cachet avec de l'eau. Je te laisse un sachet de thé. Il faut le faire avec du miel.
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