Chapitre 7 - 1/2

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Les jours passant, nous apprenions à nous connaître. Mojag m’entrainait fréquemment en forêt, où en plus du gibier nous trouvions fruits et baies en quantité. Ce que nous ne mangions pas, nous le faisions sécher ou fumer pour compléter nos réserves de nourriture pour l’hiver.

J’avais définitivement abandonné le port de la coiffe. Passées les premières réticences, je dus me rendre à l’évidence : j’entendais bien mieux sans elle, ce qui me rendait service dans la forêt, et la chaleur était plus supportable. Je tressais mes cheveux comme Tehya, à la sauvage ; cela plaisait à Mojag.

Il ne m’avait toujours pas touchée. A ses côtés, je goûtais une liberté dont je n’aurais jamais osé rêver. La vie avec lui semblait si simple, et pourtant je ne m’ennuyais pas le moins du monde. Chaque jour, il avait quelque chose de nouveau à me montrer, à m’apprendre, à moi, la petite citadine fraichement arrivée dans la forêt de ses ancêtres…

« Léonie, cesse de remuer ainsi, tu m’empêches de dormir… » grommela-t-il une nuit où je me débattais contre les attaques incessantes des insectes.

« Mais ces moustiques sont tellement voraces, ils n’arrêtent pas de me piquer ! Pas toi ?

_ Non. » l’entendis-je rire. « Si tu m’avais laissé faire tout à l’heure, ils te laisseraient en paix toi aussi. » précisa-t-il.

Je l’entendis, dans le noir, se lever et marcher à tâtons jusqu’à la cheminée, puis revenir avec la lampe qu’il avait allumée à une braise encore rouge, et un petit pot d’une sorte de graisse qui sentait très fort, et dont il s’était enduit le corps et le visage, plus tôt dans la soirée. Il m’en avait proposé, mais n’avait pas insisté à mon refus, riant de me voir froncer le nez.

Je me mis une claque pour tenter de tuer l’énorme insecte qui me piquait le cou.

« Lève-toi, viens. »

Je le rejoignis, et il commença à me tartiner le visage de cette pommade malodorante, m’encourageant à m’en passer sur les bras et le reste du corps.

« Les maringouins sont terribles. Il n’y a que les Visages-Pâles pour refuser de s’en protéger… » Son sourire était un peu moqueur.

« Mais ça sent mauvais !

_ Tu t’y habitueras, tu verras… » me promit-il en passant dans mon dos pour m’enduire la nuque et les épaules. Il agissait doucement, et le contact de ses mains douces et tièdes sur ma peau nue, malgré la pommade qui poissait un peu, m’émut. J’avais chaud, tout à coup, et je cessai de me tartiner les bras pour me laisser faire par Mojag.

Je ne sais s’il s’en aperçut, mais ses gestes ralentirent encore, et il accentua son massage. C’était la première fois qu’on me touchait ainsi, et c’était très agréable de sentir ses doigts malaxer mes épaules et ma nuque, faisant rouler la peau et les chairs. Je fermai les yeux pour mieux profiter, et gémis de déception en sentant ses mains quitter mon épiderme.

« Là. Tu devrais être bien protégée, maintenant. » dit-il simplement. Je fis comme lui et me recouchai, mais ne parvins pas à m’endormir.

Cette fois les maringouins, comme il les appelait, n’étaient pas en cause. Certes, sa pommade puait, mais elle était efficace ! C’était toujours ça de pris… Non, ce qui m’empêchait de trouver le sommeil était beaucoup plus troublant. J’avais chaud de l’intérieur, et un étrange fourmillement s’était emparé de mon ventre.

Le lendemain matin, Mojag me demanda :

« Les maringouins t’ont-ils encore ennuyée, cette nuit ?

_ Non.

_ Alors pourquoi donc as-tu mis autant de temps à t’endormir ?

_ Je suis désolée de t’avoir réveillé, je…

_ Ne t’excuse pas, Léonie, mais j’aimerais vraiment savoir ce qui t’empêchait de trouver le sommeil.

_ Je ne sais… j’avais chaud, je crois. »

Il me regardait avec attention, et je me demandai pourquoi il voulait à tout prix connaître ma réponse. Son regard me troublait, et je me souvins de cette sensation éprouvée pendant la nuit, qui me reprit aussitôt. Me sentant rougir, je me dirigeai vers la table sous laquelle nous conservions un seau d’eau, et y plongeai mes mains pour m’asperger le visage et la nuque.

Je ne comprenais pas ce qui m’arrivais, je n’avais pourtant pas de fièvre.

Je tentai de me reprendre, et préparai le premier repas de la journée. Au lever, Mojag ranimait le feu et faisait bouillir de l’eau dans laquelle il ajoutait des plantes. Avec cette infusion, nous mangions des galettes à base de farine de maïs. Puis j’aérais notre literie tandis qu’il se rendait à la rivière. Il y faisait ses ablutions, et moi les miennes à la maison, dans ce qui restait dans le seau.

Petit à petit, nous avions pris nos habitudes. Lorsqu’il revenait, je finissais en général de lisser les couvertures sur notre lit. Ce jour-là ne fit pas exception. Il plaça sous la table le seau d’eau fraiche, et alla vider l’autre dehors. A son second retour, je finissais de tresser mes cheveux. J’avais pris le tour de main, et j’y parvenais à présent sans son aide. Il avait montré une grande patience pour m’apprendre à me coiffer.

« Nous avons de la visite ! »

J’entendis son appel avant de le voir entrer dans la maison, suivi de Rose et François.

« Léonie ! Mon frère est en train de faire de toi une véritable Sauvage ! » sourit mon amie en me prenant dans ses bras. Puis elle me tourna autour, détaillant ma tenue.

« Je ne m’étais pas trompée, cette robe te va très bien. »

Tandis que François accompagnait Mojag en forêt, Rose et moi sommes restées ensemble à la maison, et elle m’a aidée. Frottant et tapant le linge, agenouillées au bord de la rivière, puis dans la maison tandis qu’elle m’enseignait comment coudre des vêtements et mocassins dans les peaux des prises de chasse de Mojag, nous avons parlé, parlé, parlé.

Elle rayonnait de bonheur en m’annonçant qu’elle pensait attendre un heureux événement.

« Et toi, Léonie, dis-moi ? Es-tu heureuse avec mon frère ? »

Je rougis un peu et baissai le nez pour répondre : « Oui, je crois.

_ Tu le crois seulement ? » me taquina-t-elle.

« Je suis heureuse. » admis-je en souriant franchement.

« Ce mariage est plus réussi que le premier, alors ! Et j’imagine qu’il est plus doux que Grandjean, hein ? »

Sa franchise me laissait toujours songeuse, mais là ce fut le summum. Je restai ébahie, trop étonnée qu’elle ose aborder un sujet aussi personnel pour lui répondre.

« Allons, dis-moi… Avec François, c’est merveilleux. » confia-t-elle, les yeux rêveurs.

Il me fallut beaucoup de courage pour lui avouer que son frère ne m’avait encore pas touchée.

« Mais pourquoi ? As-tu si peur de lui ?

_ Non ! Mais il m’a dit qu’il refusait de me forcer, et… il n’en a plus jamais reparlé. Peut-être que je ne lui plais pas ? » hasardai-je d’une voix faible.

Elle se mit à rire comme si j’avais dit quelque chose de drôle.

« Léonie… ne comprends-tu pas qu’il attend que tu fasses le premier pas ? Que tu lui dises que tu es prête et que tu n’as pas peur ?

_ Mais… mais, je n’oserais jamais…

_ Vous dormez dans le même lit, tout de même, rassure-moi ?

_ Oui, bien sûr.

_ Bon, alors il n’y a rien de plus simple : tu te colles un peu à lui, tu poses la main sur son épaule ou sur son bras, et le reste suivra.

_ Tu crois ? »

Son sourire me rassura.

Nos maris ne sont rentrés que fort tard de leur course en forêt, chargés de gibier, et nous nous sommes séparés peu avant le souper ; ils regagnèrent leur maison, porteurs de la moitié de la viande et de nos amitiés à leur famille. Quant à nous, après avoir mis à sécher le produit de la chasse du jour, nous avons dîné.

Après le repas, comme souvent, nous nous sommes installés sur le banc devant la maison pour regarder le soleil se coucher. Rassemblant tout mon courage, j’ai osé poser ma main sur celle de Mojag, qu’il tenait sur sa cuisse. Son sourire, heureux, me réchauffa le cœur, et nous sommes restés main dans la main le restant de la soirée. Au moment de nous lever pour rentrer, il refusa de me lâcher, et me retint près de lui.

Levant le regard, je me noyai dans ses yeux noirs. Cela me donnait toujours un peu le tournis, mais en plus je ressentis une nouvelle fois ce trouble de la nuit précédente. Je fermai les yeux quelques secondes pour reprendre contenance.

« Léotie ? »

Il se tenait tout près, le visage penché vers moi, et avait murmuré ce mot dans sa langue. Ce mot qui ressemblait tant à mon nom. Je levai la tête, et le vis s’approcher plus encore.

Baissant à nouveau les paupières, tremblant un peu, je m’accrochai à sa main et cherchai la seconde qu’il me donna avant de poser légèrement ses lèvres sur les miennes.

Ce baiser, le premier que je recevais de si doux et délicat, augmenta encore la fièvre qui me tenait. Je sentais les lèvres de Mojag caresser les miennes, et même sa langue. J’avais chaud. Terriblement chaud. La tête me tournait, de curieuses sensations m’assaillaient de partout, et pour rien au monde je n’aurais voulu que cela s’arrête. Pourtant, Mojag s’écarta légèrement, se redressa. Je levai la main pour toucher son visage. C’était la première fois, si l’on oublie les jours où, blessé, il avait eu besoin de mes soins.

Je laissai mes doigts glisser le long de ses joues, effleurer sa bouche, son nez. Il avait cessé de bouger et, immobile comme une statue, ne me quittait pas des yeux. Il surveillait le moindre de mes gestes de son regard noir et profond. Je levai un peu plus le bras, jusqu’à toucher son front, effleurer la crête que formaient ses cheveux, et la peau lisse de son crâne, de chaque côté. Puis, laissant mes doigts sur sa nuque, je posai l’autre main sur son épaule et l’attirai vers moi. Il se pencha et je lui tendis mes lèvres, tremblante. Cette fois encore je me sentis fondre au contact de sa langue qui caressait mes lèvres et s’insinuait entre elles, forçant en douceur la barrière de mes dents pour caresser ma propre langue. Jamais je n’aurais imaginé qu’on puisse ressentir autant de choses à la fois. Son baiser si doux et si profond, ses mains posées légèrement sur ma taille, son souffle brulant sur mon visage… tout me faisait perdre la tête. Pourtant Mojag se redressa, s’écarta doucement sans lâcher mes hanches. Et comme je voulais protester, il posa simplement son front contre le mien, nos nez se touchaient.

« Il faut rentrer, Léonie, la nuit tombe. » murmura-t-il.

Lâchant à regret ses épaules, je fis les quelques pas qui me séparaient de la porte, et il me suivit à l’intérieur. Alors que je l’attendais, indécise, au centre de la pièce, il se dirigea sans hésiter vers le lit.

« Tu ne te couches pas ?

_ Si, bien sûr. »

J’étais à la fois pressée et angoissée, tremblante et fébrile. J’ôtai ma robe pour enfiler ma tenue de nuit, tandis que Mojag fouillait dans sa musette pendue au mur, sans me regarder. Je m’assis dans notre couche et attendis qu’il me rejoigne. Quand enfin il laissa son sac en paix, il retira rapidement ses vêtements et se glissa sans attendre sous la couverture, sans me jeter un regard dans la pénombre, puis il souffla la lampe.

Les larmes me montèrent aux yeux, je ne comprenais pas pourquoi il me fuyait ainsi. Trop peu sure de ma voix pour lui demander, je me couchai à mon tour, et mis en application le conseil de Rose. Je me tournai vers lui. Puis, lentement, je tendis la main, jusqu’à toucher son bras. Comme il ne bougeait pas, je m’enhardis à effleurer son épaule, et j’aurais continué ma progression s’il n’avait pas posé sa main sur la mienne, fermement, dans l’intention de m’empêcher de bouger.

« Chhhh… dors, Léonie.

_ Mmmmmais… Mojag…

_ Qu’y a-t-il ? »

Je le devinai dans le noir, il venait de bouger, se relevant sur un coude. Je ne répondis pas. Il effleura ma joue du bout des doigts, finissant sa caresse sur mes lèvres, et m’embrassa brièvement sur le front. Je l’empêchai de s’écarter, de ma main derrière sa nuque, et lui tendis ma bouche. Il y posa un instant la sienne, avant de me souhaiter bonne nuit et de se recoucher.

Le sommeil eut du mal à venir. Je ne comprenais pas.

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