Chapitre 9 - 2/2

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C’est donc bien chargés que nous nous sommes mis en chemin, la veille de Noël, au milieu du jour, pour aller réveillonner chez nos voisins. Chaussés de raquettes pour marcher dans la neige sans s’y enfoncer, nous cheminions sans parler. Mojag écoutait le silence, dans lequel il entendait toujours quelque chose d’intéressant : passage d’animaux, chute de branches dans le bois, appels d’hommes qui travaillaient dehors… alors que moi je n’entendais rien… Je me contentais de le suivre, mettant mes raquettes dans les traces qu’il laissait. Il était plus grand que moi, et je devais faire de grandes enjambées, pour retomber dans ses traces, ce qui me fatiguait. Quand je pense qu’une grosse année plus tôt, il avait fait ce chemin en me portant, inanimée, dans ses bras ! Ou sur son dos… je ne savais pas trop à dire vrai, n’ayant pas osé poser la question les premiers temps. Et ensuite, lorsque j’étais assez à l’aise pour m’enquérir de ce détail, cela n’avait plus guère d’importance…

Le repas de Noël fut gai, bien plus joyeux que l’année précédente. Une belle assemblée, réunie autour de la table du sieur Roussel, qui sortit sa Bible et nous en lut plusieurs passages, puisque, encore une fois, aller à l’église était impossible. Au fond, je commençais à m’y faire : c’était trop loin, personne ne faisait tant de chemin pour une messe, surtout en plein cœur de l’hiver ! Et puis, pour tout dire, je n’appréciais pas beaucoup le curé du village, je gardais tout de même un mauvais souvenir de la façon dont il m’avait présenté mon mariage avec Mojag. Quoique le mariage en lui-même me convienne tout à fait…

Rose soupirait : son ventre était si gros qu’elle se comparait à une vache prête à vêler.

« J’ai hâte qu’il sorte, ce petit ! » répétait-elle fréquemment, avant de me regarder en coin : « Et toi, Léonie ? Toujours pas ? »

Elle m’avait bien expliqué tous les signes qui ne trompaient pas pour annoncer une naissance, et… non. Toujours pas.

Mojag et moi avons passé la nuit chez les Roussel, dormant dans la soupente qui était la sienne l’année précédente. La maison de pierre était bien calfeutrée, chauffée par la cheminée, et nous étions bien, sous le toit, emmitouflés dans nos fourrures. Je me pelotonnai contre Mojag, appréciant ses bras autour de moi, son odeur, son souffle dans mes cheveux. Aurions-nous été seuls, j’aurais suggéré de fêter Noël d’une façon sans doute pas tellement approuvée par le curé. Mais là, avec Rose, sa famille et la mère de Mojag à quelques mètres de nous… je me contentai de me serrer contre lui.

Le lendemain, après les soins aux bêtes à l’étable – Mojag est allé aider François, en souvenir du bon vieux temps disait-il – nous avons échangé quelques cadeaux. Rose déclara adorer son châle, et Tehya nous fit l’un de ses rares sourires, d’autant plus précieux. Elle semblait froide, mais Mojag m’assurait, à chaque fois que nous parlions d’elle, que sa mère ne montrait pas ses émotions, comme beaucoup des siens. Mais que cela ne l’empêchait pas d’être heureuse de nous voir, touchée de l’attention dont nous avions fait preuve à son égard en lui offrant du miel, même si pour elle Noël ne signifiait pas grand-chose d’autre qu’un bon repas entourée des gens qui lui étaient chers.

Mojag, quant à lui, ne cacha pas sa joie en découvrant les mocassins que j’avais cousus et brodés pour lui. François et Jean, le père de Rose, comparaient les lames de leurs coutelas, que Mojag avait troqués contre de la viande fumée et des fourrures.

Quand vint l’heure de rentrer chez nous, c’est avec un peu de mélancolie que je quittai cette maison chaleureuse et animée. Mojag, une fois dans notre maisonnette, se hâta de ranimer le feu dans l’âtre pour nous donner chaleur et lumière, et comme nous n’avions pas encore assez faim pour nous mettre à table, il me proposa de nous mettre au chaud dans notre lit, le temps que le feu réchauffe la maison.

Je me défis de mes vêtements, robe de cuir, jambières, mocassins fourrés, veste doublée de fourrure, et me coulai sous nos couvertures, où Mojag me rejoignit aussitôt. Là, serrés l’un contre l’autre, nous avons commencé à nous caresser doucement, nous réchauffant de baisers, murmurant des mots d’amours que nous n’osions pas prononcer dans la journée, hors de notre couche. Ses doigts doux allumaient un brasier ardent sur leur passage, réveillant mon corps qui n’attendait que cela pour lui répondre. J’étais moins malhabile qu’aux débuts de notre mariage, à présent, et je savais comment lui rendre la pareille, je connaissais le corps de Mojag, ses points sensibles, je reconnaissais ses réactions, je savais ce qu’il aimait… Et je n’aimais rien tant que les petits grognements étouffés qu’il laissait échapper lorsque mes doigts s’enroulaient autour de son sexe pour le cajoler. Il n’était pas en reste, et ses mains parcouraient tout mon corps, surtout les endroits sensibles, ma peau douce sous ses mains rendues calleuses par le travail à l’extérieur, la chasse, le manche de la cognée…

Il savait y faire, Mojag, pour faire naitre en moi des sensations que je redécouvrais à chaque fois comme si c’était la première, toujours émerveillée par la réponse de mon corps à l’appel du sien, par le plaisir qui s’emparait de moi, par le plaisir que je lui donnais, aussi…

Après le souper, j’ai rangé la maison, puis étalé sur la table les fourrures que Mojag m’avait offertes. Elles étaient magnifiques, douces au toucher, et promettaient d’être particulièrement chaudes lorsque j’en aurais cousu un vêtement. Une cape, sans doute, il y en avait en suffisance. Il s’agissait d’un lot de peaux de renards d’hiver, blanches. Mojag les avait soigneusement mises de côté lorsqu’il avait fait le tri des peaux à vendre ou à troquer, quelques mois plus tôt, déclarant qu’elles étaient magnifiques et qu’il en tirerait un bon prix. Je savais à présent qu’il avait demandé à François de les garder pour moi, pour m’en faire la surprise.

« Elles sont si belles, Mojag… » murmurai-je en les caressant, encore et encore. « Mais est-ce raisonnable de les garder pour nous ? Nous pourrions en tirer un bon prix, tu l’as dit toi-même… n’avons-nous pas besoin de cet argent ? » Cette cape blanche me faisait très envie, mais une brune me tiendrait tout aussi chaud…

« Nous avons à manger, du bois pour nous chauffer, des couteaux et des aiguilles plus qu’il n’en faut… Je pouvais te faire ce plaisir, Léonie. Je vois que tu les aimes, ces fourrures. J’ai hâte de voir cette cape, et surtout de te voir drapée dedans. » m’assura mon époux d’une voix douce. Il se tenait derrière moi, et je ne voyais pas son visage, mais j’entendais son sourire, sa tendresse, son amour.

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