Colle Extraforte

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 Pour ses six ans, Cléopâtra Extraforte abandonna sa fille aux portes d’un lugubre bâtiment blanc. Uhu, son père, s’était, quant à lui, tout bonnement volatilisé le jour de sa sortie de la maternité. Sa mère avait accusé le coup en détruisant rageusement photographies et vêtements de son compagnon d'origines sioux, parti sans laisser aucun message de fumée. Seule, elle avait élevé sa fille dans un sinistre meublé. Le petit pot de Colle - comme elle l'appelait - avait grandi dans la misère, tout en arborant - été comme hiver - gaieté et santé de fer. Tout le monde s'en étonnait sauf la distante reine mère. Cette dernière, fascinée par l’Egypte antique, était tombée sous le charme de Patafyx Rus, un expert en pyramides. Très vite, elle s’était débarrassée de tout ce qui l’encombrait - fille y compris - pour vivre, avec l’érudit des momies, son idylle sur le Nil. En déposant Colle devant l’imposante bâtisse, elle lui avait murmuré de ne pas s’inquiéter : une gentille dame finirait tôt ou tard par passer. Sans le savoir, elle avait dit vrai. Attache Parisienne, la directrice de l’orphelinat, devant lequel avait été laissée la fillette, arriva quelques minutes à peine après l’abominable acte maternel. Elle qui ne pouvait pas avoir d’enfant s’attacha aussitôt à Colle Extraforte qui sentait bon la pomme. Après l’avoir adoptée, elle arrêta de travailler pendant toute une année - elle avait pu se le permettre, car elle ne prenait jamais de congés. Célibataire, elle n'en voyait pas l'intérêt et préférait de loin se consacrer aux orphelins. Elle avait tant d’amour à donner que c’était assurément le destin qui avait placé Colle sur son chemin. Celle-ci était heureuse avec sa nouvelle maman. Partout où elle allait, elle semait des petits paquets colorés remplis de bonne humeur. Ensemble, Attache et Colle débordaient de bonheur.

 Le matin de ses huit ans, Colle demanda à sa maman de l’accompagner au parc. Elle avait grand-hâte d’essayer ses jolies balles de jonglage. Attache, qui adorait faire plaisir à sa fille, accepta volontiers. Par le plus grand des hasards, elles firent la connaissance ce jour-là de Ruban Adhésif et de Rouleau, son chien, sauvé in extremis d’une fin tragique. Ses anciens maîtres ne cessaient de le maltraiter. Un soir, Rouleau avait réussi à leur échapper. Après avoir erré pendant des heures, il s'était écroulé, à bout de forces, au pied d’un grand escalier. Ruban l’empruntait chaque jour pour aller travailler. En revenant chez lui, il le découvrit. Famélique, ensanglanté, respirant à grand-peine. Sans hésiter, il l'avait conduit dans une clinique vétérinaire. Lorsque ses jours ne furent plus comptés, Ruban le ramena dans son appartement. Depuis, ils ne s’étaient plus quittés. Les sorties au parc faisaient partie de leurs plaisirs quotidiens. Ruban prenait la laisse, mais ne l’utilisait jamais. Il n’avait nul besoin de donner d’ordres à son chien. Celui-ci marchait à ses côtés sans céder à ses primitifs instincts l’incitant à poursuivre pigeons, chats ou chiens. Un lien invisible les unissait. Le jour de la rencontre, Ruban promenait Rouleau comme à l’accoutumée ou était-ce l’inverse ? Personne ne le saurait jamais. Surpris par une averse, mère et fille, maître et chien s’étaient réfugiés à toute vitesse sous le parapluie gigantesque, faisant office d’ombrelle, les jours de grand soleil. Depuis qu'elle avait été installée, cette sculpture contemporaine était fort pratique pour parer aux facéties climatiques. Rouleau fut attiré aussitôt par Colle et ses fascinantes balles. Il espérait que l’une d’elles finisse par quitter les airs pour se retrouver à terre. Patient, il avait tout son temps. Ruban, lui, était scotché par la timide Attache - plus rouge que le charmant coquelicot accroché à la boutonnière de son manteau. Abracadabri. Abracadabra. Sans bruit ni fracas, la foudre tomba. Le joyeux petit monde trempé échangea rapidement mots, caresses, sourires et rires aux éclats. C'était comme s'ils se connaissaient depuis des années et venaient subitement de se retrouver. Profitant d’une accalmie, Attache partit au bras de Rouleau. Colle, elle, marchait entre, d’un côté, le gentil colley qui fixait la besace contenant les tentantes petites sphères, et, de l’autre, le grand monsieur souriant qui allait devenir sous peu un papa merveilleux.

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