Le portrait

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La s'maine dernière, Lucas est rentré de l’école en pleurs avec une punition et, pour sa mère et moi, une convocation.

— Holà ! que j’ lui ai fait. Viens m' raconter ce qui s’est passé.

Lucas, c’est un bon p’tit gars. Pas du genre à chercher des noises. Sérieux comme Odile. C’est sûr, il ira loin. C’est pas un Nobel, pour rien !

— La maîtresse s’est fâchée à cause de mon devoir. Pourtant j’ai fait tout comme elle a dit, qu’il m’a répondu en reniflant.

— Ramène ton cahier, on va r’garder.

Il est revenu avec, puis l’a ouvert en me le donnant. J’ai vu tout de suite le problème. ‘ Y avait plein de rouge partout, malgré les majuscules, les points et tout. Le dernier mot avait été tellement entouré que ça faisait comme une soucoupe volante prête à décoller.

— Ta maîtresse, elle aurait pas un nouvel amoureux ?

— Si, qu’il a marmonné en haussant les épaules. Même qu’il l’attend parfois à la sortie de l’école.

— Cherche pas ! Il a dû oublier son anniv'. Elle était super énervée, quand elle a corrigé ton cahier. On va l’appeler. T’inquiète, mon grand, papa va tout arranger.

— On n’attend pas maman ?

Trop tard, la maîtresse avait déjà décroché.

— Allô ! qui est à l’appareil ?

— C’est le papa de Lucas.

  • Bonsoir, monsieur Nobel.
  • Le p’tit pleure à cause de la punition que vous lui avez donnée.

— Vous avez lu son devoir ?

— Non, pa'ce que j'ai aut'e chose à faire et que j’suis pas payé pour lire les poésies et z' aut'es conn’ries des mômes, sauf vot’e respect, m'dame, que j’ lui ai balancé.

Odile dit qu’il faut toujours être poli ,et aussi que j’ suis un modèle pour Lulu. Alors, j’ fais super gaffe pour pas faire de gaffes.

L’instit a tiqué. Elle devait être drôlement impressionnée. J’ai du vocabulaire, même si j’en ai pas l’air, vu qu' j’ai plié mes gaules de l’école, à la fin du collège.

— Lisez-le, et je vous attends demain soir, avec votre épouse, à dix-neuf heures. Bonne soirée, Monsieur Nobel.

Gloups, ai-je fait intérieurement. Ça allait barder pour mon matricule dans pas très longtemps.

À peine le temps de m' retourner qu’Odile est rentrée du boulot. Elle a vu tout de suite qu’ y avait un truc qui clochait. Je lui ai tout raconté. Énervée, elle a empoigné le cahier et a lu à voix haute :

« Fais le portrait d’un copain, d’une copine ou d’une grande personne.

Pour t’aider, tu peux écrire : « Il est… comme… », « Elle a des… comme… »

Attention, ne révèle son identité qu’à la fin. »

— Ça y est ! j'ai crié. Il a fait celui de Marco. Il a dû l' comparer à un morceau de frometon de son pays, pa'ce qu'au foot, on fait que d' répéter : " Marco, c'est un bon gars, mais il est plus coulant que du gorgonzola ! " La maîtresse, ça doit pas être une rigolote. Elle est pas du genre à plaisanter avec les nationalités. Ou elle est p't-être intolérante au lactose. Qui sait ?

Je voulais ajouter quelque chose, mais Didile m'a coupé en disant qu’elle allait lire le texte plutôt que de jouer aux devinettes.

« Elle est très grande comme la vieille armoire de mamie qui grince.

Elle est toute maigre comme une frite au Mcdo.

Elle a des grands bras et des grandes jambes comme des branches d’arbres qui ont perdu leurs feuilles.

Ses cheveux ont une drôle de couleur comme la voiture de tonton Marco après son accident et qu’il l’a repeinte avec une bombe de peinture qui n’était pas comme la vraie couleur et que Papa a dit que ça fait bizarre maintenant. »

— Ah, bah, non ! C’est pas Marco. S’il ajoute qu’elle est coincée et chante comme une casserole, pas de doute, c’est ta sœur, lui dis-je la bouche en cœur, avant de la boucler, car Didile est gentille, mais faut pas la chercher. Quand c’est sérieux, c’est sérieux.

Didile a continué :

« Il y a plein de vagues sur son visage comme la mer, mais sans les coquillages.

Ses pieds sont grands comme des valises qu’on a posées sur le sol.

Ses yeux sont tout petits et marron comme un cochon et regardent dans toutes les directions. Des fois, ça fout les jetons.

Elle sent pas très bon comme la soupe de l’hôpital qu’on est obligés de manger même si après on est encore plus malade.

Son ventre gargouille tout le temps et ça nous fait bien rigoler.

Son nez est très long, et quand elle rouspète, ses narines, ça fait comme les narines du dragon, mais y a pas de flammes qui sortent. C’est bête sinon on pourrait faire griller des Chamallows avec.

C’est… »

— L’instit ! j'ai hurlé.

J’ai embrassé Lucas et l'ai félicité pour son beau travail.

Odile m'a fusillé du regard et a déclaré qu’elle irait seule le lendemain au rendez-vous.

— Tu lui diras quoi à la maîtresse, quand elle va te demander pourquoi j’ suis pas là ?

— Je suis sûre qu’elle ne me posera pas la question. Elle va probablement même me remercier de l'avoir épargnée en te laissant à la maison, a conclu ma femme, qui porte, à c’ qui paraît, mieux mon nom que moi. Allez savoir pourquoi.

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