Chapitre unique d'une tragédie.
Le Guetteur, se tient en haut de la falaise surplombant la vallée. Le vent fouette la lourde peau de mammouth. Le frottement des coutures produit un sifflement bas et continu. La chaleur est étouffante, mais le poids s'efface par l'habitude.
Son regard plonge. Il ne voit pas les étendues vertes, il observe les quelques peaux d'habitation, basses et sombres, qui sont lestées sur les toits, signe d'une installation fragile. Des formes ocre et rouge, les couleurs vives de leur identité peinte, s'y déplacent. Parmi elles, le cri se distingue. C'est le nouveau-né, arrivé quelques jours plus tôt. Sa naissance fut célébrée comme le miracle qu'elle est.
Le Guetteur retrouve l'autre enfant. La fillette, seule enfant déjà debout, court sans souci dans l'herbe. Elle est l'autre chance, le fragile maillon qui relie le nouveau-né à la poignée d'adultes dispersés. Au centre, près des flammes rousses, Le Guide est assis en tailleur. Sa tunique de mammouth est nette. Il donne des instructions aux chasseurs, sa gestuelle est précise. Son autorité est calme et constante.
L'Homme ignore le sifflement du vent. Son regard remonte. Il traverse l’immensité bleue. L’Homme des Signes cherche le vide du ciel, le lieu où l’abstrait prend forme.
Il s’ancre. Sous ses mains, l’omoplate de mammouth est chaude. Elle est son seul véritable rempart contre le monde. Le Guetteur soulève le burin de silex, sa pointe aiguisée prête à mordre l’os. Il n’y a plus de tribu, plus de vent, plus de danger. Il n’y a que le Code. Il se penche.
L'Homme grave. Le silex siffle légèrement contre l'os, un son sec que le vent peine à emporter. Il ne grave pas une nouvelle révélation, mais un fragment de correction. Le point qui décrit l'inclinaison de l'étoile du Chasseur lors de la dernière lune ne correspond plus. La perfection est son seul maître. Il travaille ainsi. Les muscles de son cou sont durs, son dos est raide, ses yeux fixés sur les lignes minuscules.
Il ne voit pas l'ombre qui s'approche de lui, montant péniblement le chemin de roche. C'est l'un des jeunes porteurs, ses marques d'ocre sont d'un rouge moins intense que celles du Guide, ses yeux sont inquiets. Le jeune homme dépose deux choses au sol : une portion de viande séchée et une gourde en peau de renne pleine d'eau fraîche. Le Guetteur est à peine dérangé. Il hoche la tête, un geste détaché, sans lever les yeux. L'Homme prend la nourriture et la dépose à côté du burin, puis repousse du pied la gourde, sans la regarder.
Il pioche la viande du bout des doigts et la mâche. Le goût du sel et de la graisse n'atteint pas son esprit. La mâchoire travaille seule. Soudain, la raideur du corps entier est trop forte. Le Solitaire se redresse brusquement pour délier son bassin, un mouvement sec pour soulager les vertèbres endolories. Son pied heurte la gourde. Le cri est silencieux : le liquide s'étale et disparaît dans la terre sèche. Il fixe l'eau perdue. Il fixe le soleil, désormais haut et violent. La tunique de mammouth, son bouclier, devient une fournaise. Une soif violente le frappe, elle monte de sa gorge.
L'instinct de survie est plus fort que les promesses du ciel. Il n'y a pas d'eau. Il n'y a pas d'ombre. Le Guetteur doit s'éloigner des lignes de garde, ne serait-ce que pour quelques souffles, pour trouver un abri ou une source. L'Homme se lève. Il quitte l'Omoplate.
******
Il revient vite. Les muscles de ses cuisses protestent, mais l'urgence l'emporte. Il n'a pas trouvé l'ombre ou l'eau, mais le manque d'air dans sa gorge le contraint à revenir à son poste. Il se maudit d'avoir dû quitter le Code pour une chose si futile.
Il atteint le bord de la falaise.
Un silence lourd s'est abattu sur la vallée. Le vent siffle, mais le bruit du camp a cessé. Plus de cris de la fillette qui courait dans l'herbe. Plus d'instructions calmes du Guide. La fumée des feux est dispersée, les formes ocre et rouge sont figées, disloquées.
Le Solitaire sent la chaleur de la tunique s'éteindre, remplacée par le froid du pressentiment.
Il descend la pente, ses pieds trouvent la terre meuble. Le sol est piétiné. Les traces du combat sont claires : ici, le grand fauve a heurté les peaux. Plus loin, le sang, encore vif, s'est mêlé aux poussières.
Il trouve la fillette. Elle ne court plus.
L'Homme des Signes cherche le Chef. Le Guide n'est pas au centre, il est plus loin. Il est courbé sur un homme blessé, assis en tailleur, le flanc ensanglanté. Les marques d'ocre du guerrier sont maculées de noir et de boue.
Le regard du Solitaire s'accroche au sol. Aux pieds de l'homme blessé gît une chose : un lambeau de fourrure sombre et de muscle. C'est la Patte Avant Gauche du monstre. Le trophée que son peuple a payé par la vie de l'enfant.
Le Guide se redresse. Il n'y a pas de parole, pas de cri. Son regard s'ancre dans celui du Guetteur.
La Loi se dessine en trois mouvements.
Le Guide pointe l'œil vers le Guetteur. L'Accusation est faite.
Il lève la main vers le ciel et les vastes lignes abstraites. Le Sarcasme est amer.
Il abaisse la main vers la fillette et les hommes blessés. La Preuve est irréfutable.
Puis, Le Guide tourne le dos. Il n'y a plus rien à dire. L'Exilé ramasse l'Omoplate de mammouth, son unique richesse, et quitte le camp. La peine est consommée.
*****
Il marche. Le temps de quelques enjambées dénuées d’énergie, L'Exilé s'éloigne au-delà de la vallée. La tristesse, l'amertume, le désespoir. Il ne sent rien. Il n'y a que la masse muette de l'Omoplate de mammouth dans sa sacoche qui pèse. Elle est son seul fardeau, sa seule richesse.
Le soleil tape fort au dessus de sa tête, comme une moquerie du beau temps en un jour funeste. La Mort a frappé, vive et silencieuse. L’échange d’une patte contre une vie. Un troc injuste. L’espoir de la tribu s’est amoindri ; une trace du futur s’est effacée. Seule une Autre reste, auprès des adultes, dont les chasseurs blessés. L’avenir s’est assombri, malgré le bleu du ciel.
Pour la première fois depuis longtemps, les yeux de l’Exilé ne sont pas pointés vers le haut. Son regard cherche la terre.
Il trouve la marque.
L’avant gauche est déséquilibrée. Au lieu de quatre empreintes profondes, il n’y en a que trois. La patte laissée au camp est bien celle de l’Ombre Silencieuse.
Sa tristesse se transforme en concentration. Son amertume se mue en détermination. Le désespoir devient rage.
Le poids de l’omoplate regagne en légèreté. Le Banni n’est plus l’homme maudit. Il est le Traqueur. Le Chasseur devient la Proie.
*****
Le Traqueur ne dort pas. Le soleil décline, le vent glacé du plateau remonte, la soif a asséché sa bouche depuis longtemps ; mais il n'a pas droit au repos. Il marche. L'Omoplate de mammouth, son fardeau, frappe son dos au rythme de sa course.
La Trace à Trois Marques est parfois claire dans la boue sèche, parfois invisible sur la roche. Il la cherche, il la lit comme un nouveau Code Céleste, plus réel que l'ancien.
Les heures glissent. La gorge brûle. Le manque d'eau se fait insupportable. Les marques d'ocre sur ses joues, déjà négligées, s'écaillent. Le monde extérieur s'estompe. Le Traqueur se mue en une machine de rage et de soif.
Il naît une confusion. Le sol danse. Il glisse sur un amas de roches.
Un cri de surprise lui échappe lorsque sa jambe droite s’encastre dans une fissure terrestre. Sa position l’incommode. Il tire, il tire, mais ne parvient pas à se libérer. Plus le temps passe à épuiser son énergie en vain, plus la peur s’installe dans son âme. La nuit approche, et les ennuis suivent.
Un grondement. Son sang se glace. Est-ce la Bête revenue à la charge ? Le Géant des Crocs a-t-il senti sa présence et décidé d’en finir ?
Non. Ce n’est pas lui. Mais le soulagement est de courte durée. Des hyènes. Des charognards. La situation ne semble pas mieux, tout compte fait. Leur présence est une moquerie silencieuse. Le Traqueur n’a plus la force pour crier.
Une ombre vive fend le crépuscule. Elle n'est pas celle d'une bête. Elle porte les marques noires et blanches, des barres et des points serrés, le signe des rivaux. C'est un Inconnu de la Tribu du Charbon.
L'Inconnu n'hésite pas. Il émet un cri bref et tranchant, ramasse une pierre et la lance avec une violence sèche. Les charognards se dispersent, hurlant leur faim. Il se penche vers le Traqueur immobilisé.
L'Exilé le regarde. Il ne voit pas l'ennemi juré, il ne voit que l'acte.
L'Inconnu travaille vite. Il utilise un coin de bois pour forcer la roche. Un craquement, puis la jambe du Traqueur se libère. Le Chasseur s'écroule, libre, vivant.
La Dette est contractée. La vie du Traqueur est sauvée par un étranger. La Tribu Rivale vient de lui offrir le don le plus précieux.
L'Inconnu ne demande rien. Il regarde le Traqueur. Puis sa jambe blessée. Il allume un petit feu sans fumée. Il partage une racine et de l'eau contenue dans une poche de cuir.
Le Traqueur boit, mange, et sent sa conscience revenir. L'Inconnu se penche, et ses doigts noirs et blancs appliquent de la boue froide sur la cheville blessée. C'est l'Amitié qui se tisse, née du danger et du geste muet.
Le silence règne, lourd, mais non hostile. L'Inconnu regarde le dos du Traqueur, devinant le poids de la sacoche en peau qui frappe toujours son échine. Il ne voit pas l'Omoplate, mais il comprend l'attachement à cet objet invisible.
Il se tourne, cherche les environs. Son œil trouve la Trace à Trois Marques dans la terre meuble, à quelques pas de la crevasse.
L'Inconnu revient vers Le Traqueur. Il ne pointe pas l'Omoplate, ni la sacoche. Il porte sa main à sa propre cuisse, fait le geste de la patte, puis montre la Trace au sol.
Le message est clair : la Bête, le Chasseur, la Traque.
Le Traqueur hoche la tête. Il n'a plus besoin de parole. L'étranger le comprend. Il n'est pas seul dans son obsession. Le Pacte est scellé.
*****
L'Inconnu n'insiste pas. Il laisse Le Traqueur se reposer. La nuit tombe, lourde et froide. Le Guetteur en lui s'éveille. Le Code réclame son dû. Il a un jour de plus à ajouter à ses lignes, une trace à trois marques à consigner. La nécessité de la perfection le ronge plus que la faim ou la douleur de sa cheville.
Il chasse le sommeil.
L'Exilé se tourne vers sa sacoche. Il en tire l’Omoplate de Mammouth. Le mouvement est lent, quasi rituel. La surface de l'os est pâle sous la faible lumière du feu, et les lignes gravées sont des ombres sombres. Il sait qu'il fait l'impensable : révéler son fardeau, la preuve de sa faute.
Il sent le regard de l'Inconnu.
Le Traqueur lève les yeux. L’Étranger, qui faisait le guet sans un bruit, a tourné la tête. Ses yeux, barrés de noir et de blanc, sont fixés sur l'os. Il n'y a pas d'hostilité, mais une lecture froide et totale.
Le Chasseur attend l'hostilité, la moquerie, le jugement que Le Guide lui a déjà servi. Il attend le rejet de son sauveur.
L'Inconnu revient au feu. Il ne pose aucune question. Il ne fait aucun geste de moquerie. Il se contente de lui tendre de la graisse animale, fraîchement chauffée, pour lubrifier le burin et assouplir la zone de gravure.
L'Exilé comprend, sans un mot. L'Inconnu a vu l'Omoplate. Il a vu la folie. Et, par ce geste de chasseur envers son outil, il a validé l'obsession de son débiteur. La Dette est totale et le Pacte scellé.
Le Chasseur grave. Il utilise la graisse chaude, le silex glisse sur l'os. Il n'inscrit pas seulement la Trace à Trois Marques, il grave l'échec, le sang, et le visage silencieux du Guide. L'Inconnu est là, présent, un témoin muet qui ne détourne pas le regard.
Au matin, la cheville du Traqueur est raide, mais l'urgence est plus forte que la douleur. Il se lève. L'Allié n’est plus là. Pire encore : l’omoplate disparaît.
Le cri est silencieux, mais la rage est totale. Le Banni est trahi. L'Omoplate de Mammouth, sa seule richesse, la preuve de son devoir et de sa faute, disparaît. L'Inconnu n'était pas un Allié, mais un voleur, un profanateur de Code.
Le Traqueur panique. Son cœur est un tambour de peau. Il ne voit plus la Trace à Trois Marques. Il ne voit plus que la Trace de l'homme, le voleur. Sa cheville blessée ne le retient plus. L'Obsédé est né de nouveau.
Il cherche. La fureur le porte. Il le trouve non loin du bivouac, assis contre un rocher, absorbé.
L'Allié tient l'Omoplate dans ses mains, l'examinant à la lumière naissante, les yeux baissés sur les lignes minuscules. Il ne la caresse pas comme un trophée, il la lit.
Le Chasseur se rue sur lui. Il ne réfléchit pas. Il voit un traître, un profanateur qui se moque de son fardeau. L'Allié lève les yeux. Son visage barré de noir et de blanc s'ouvre sur un sourire amical. Sa main s'étend vers sa propre sacoche, peut-être pour montrer quelque chose.
Le geste est trop tard.
Le Traqueur est déjà sur lui. Il frappe le torse de L'Allié, le choc de la surprise est suffisant pour le déséquilibrer. L'Allié s'écroule en arrière.
La tête de l'Inconnu heurte le rocher avec un son sec et mat que l'écho n'emporte pas. Il meurt sur le coup, le sourire figé sur le visage. La surprise est son seul adieu.
Le Traqueur reste là, haletant au-dessus du corps. Le vide revient, plus vaste et plus froid que celui du Code Céleste. Il n'y a plus de rage. Il n'y a que la confusion, puis l'horreur. Il est doublement maudit.
C'est alors que son regard s'accroche au sol. Quelque chose tombe de la sacoche de l'Allié. Une pierre ronde, lisse, présente des gravures nettes et complexes. Ce n'est pas le Code, mais c'est un travail similaire, celui d'un autre Homme des Signes de la Tribu du Charbon.
L'Allié n'était pas un voleur. Il était un semblable qui ne cherchait qu'à établir un lien, à partager la solitude de l'obsession.
La Dette est totale. Sa vie est sauvée, sa seule réponse fut la mort.
Le Traqueur lâche le silex ensanglanté. Il s'apprête à se lever, à fuir l'horreur, quand une ombre s'approche.
Ce n'est pas la Bête.
C'est un enfant. Un garçon aux joues peintes des mêmes barres noires et blanches que L'Allié. Il est petit et il porte un petit sac sur l'épaule, peut-être pour ravitailler l'homme qu'il a suivi.
L'enfant ne crie pas. Il s'arrête net, à la lisière des rochers. Il voit l'Omoplate à côté du corps. Il voit la pierre gravée de son peuple. Il voit le sang qui mêle l'ocre au noir.
L'enfant est le seul témoin. Le regard du garçon n'est pas hostile. Il est totalement vide.
Le Traqueur est pétrifié. Il ne peut plus fuir le jugement. Le Code Céleste a un nouveau juge.
Le garçon fuit, hurlant. Le Chasseur ne le poursuit pas. Il a besoin de temps pour comprendre ce qui vient de se passer. Mais bientôt, la confusion laisse place à la rage. Cette Bête ! Cette maudite créature assoiffée de sang ! Tout ça, c’est de la faute de la Bête !
Le Solitaire se remet en chasse, plus déterminé que jamais. Sa jambe le lance encore, mais la fureur est plus forte. Il traque, il observe, il lit le message du sol. Le Traqueur sait que sa proie n’est plus très loin. Les traces ne mentent pas. La vérité finit par se dévoiler. Derrière un buisson, une présence se terre.
D’un bond, accompagné d’un cri mêlant toutes ses émotions récentes, le Chasseur bondit, une pierre en main. Puis il se fige. Devant lui, allongé sur le flanc, se trouve un tigre à dents de sabre. Une de ses pattes manque, le moignon rongé par la maladie. Sa respiration est rauque, tandis que son regard capture celui de l’homme.
Un animal. Ce n’est qu’un animal. Pas une créature cauchemardesque. Pas une bête enragée. Juste un animal, s’accrochant à ses dernières forces. Le combat est rapide. Le Traqueur ne fait pas un seul mouvement, tandis que la vie quitte les yeux épuisés de son ennemi juré.
Non. La réalisation l’atteint comme un coup violent. La Bête n’était pas celle qu’il croyait. Le Tueur, il songe avec hantise, c’est lui.
S’il avait traité les offrandes de son compagnon de tribu avec plus de respect et d’urgence, la fillette serait encore en vie. S’il avait pris le temps de communiquer correctement avec son sauveur, son allié serait encore en vie.
Le Tueur s'agenouille au-dessus de l’animal. Il ne prend pas de trophée. Il coupe une simple mèche de fourrure, grise et sale, comme un souvenir de l'illusion. La vengeance elle-même lui est refusée, elle s'est éteinte avec la vie du tigre.
*****
Désormais, il ne lui reste que quelques tâches à accomplir. Car l’énergie revient en son corps, à la pensée qui l’assaillit soudain : le témoin a vu ses marques tribales, et son acte écœurant. Sa tribu doit être prévenue du danger qui les guette. L’Exilé se hâte de rejoindre son ancien camp, luttant contre la douleur que sa jambe lui inflige. Après un temps interminable, il arrive enfin à destination. Lorsque ses pas le conduisent à travers l’entrée de la vallée, il aperçoit ses anciens compagnons, affairés à leur propre besogne.
Ses bras s’agitent dans tous les sens, pour tenter de faire comprendre la terrible situation qu’il a engendrée, mais personne ne semble vouloir suivre son récit. Des regards froids, colériques, le fixent en silence. Le Guide approche, le visage noirci par la fureur. Le coup part. L’Exilé comprend son erreur. Revenir après un bannissement est d’une stupidité sans nom.
Avant qu’un autre geste violent ne soit abattu sur lui, il fuit. Personne ne suit. Le Paria n’intéresse plus. Il court sur une petite distance, avant de s’arrêter pour reprendre son souffle, et calmer ses émotions. Il ferme les yeux.
Une inspiration. Puis une expiration. Puis une inspiration. Il rouvre les yeux. La marche à suivre est claire, son esprit a chassé les ombres qui le tenaillaient. D’un mouvement répété maintes fois auparavant, l’Homme des Signes sort son Code de sa sacoche. Il prend son burin et se met au travail. Un vent frais caresse son visage, comme pour chasser les derniers vestiges de sa folie.
Lorsque son travail est accompli, il observe le résultat. Près du Code des Constellations, sur lequel il avait travaillé pendant si longtemps, se trouvent désormais deux additions. La première narre sa quête née de la précipitation, et du rejet de la responsabilité qui l’incombait dans le drame de la tribu. Une mèche grise et sale y est ajoutée. La seconde explique son rôle dans une guerre de tribus qui a probablement déjà éclaté, les incluant malgré leur ignorance totale.
L’Homme des Signes dépose l’œuvre de sa vie à l’entrée du passage vers la vallée. Il regarde un moment l’omoplate. C’était sensé être un outil qui permettrait aux siens de comprendre les astres, lire les étoiles, pour optimiser leurs périodes de chasse. Au lieu de ça, c’était devenu l’outil d’une tragédie, de son bannissement, et d’une autre mort injuste.
Il se lève lentement, la marche à suivre claire dans son esprit. Ses pas le mènent loin de son ancienne tribu. La longue marche le fait passer par l’endroit de son second pêché, où le corps a disparu mais une trace de sang demeure sur un rocher, comme une condamnation silencieuse.
Le Solitaire avance, malgré la douleur de sa jambe, aussi bien physique, que mentale. Il sent encore la boue utilisée par son allié de circonstance pour le soigner. Un autre élément qui accentue sa honte et son sentiment de culpabilité.
Enfin, il arrive à destination. Devant lui, une tribu aux marques blanches observe ses mouvements. Le Coupable marche lentement vers celui qu’il comprend être leur Chef. Ancrant ses yeux dans ceux de l’homme, il passe ses mains le long de ses marques tribales d’ocre, exposées sur son visage, ses bras, et ses jambes. Le signe de son ancienne vie s’efface sous son geste lent.
Le message est passé : je suis un exilé. Ma tribu n’y est pour rien.
Prenant une dernière grande inspiration, le Pénitent s’agenouille devant le Chef, tête baissée. Quelques secondes passent avant qu’un coup violent martèle son crâne. Sa vie le quitte, et le néant le capture. Le reste n’est plus entre ses mains.

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