Feu aux veines
La nuit s'ouvre comme une main qui n'a jamais appris à se fermer.
Par où commencer à déchirer ce monde qu'ils disent nôtre mais qui nous presse jusqu'au jus, ces vies volées à la chaîne ?
J'ai la bouche pleine de terre et de rouille. Un jour, les enfants creuseront nos villes pour chercher l'air.
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LE CORPS SE SOUVIENT DE CE QUE L'ESPRIT OUBLIE
Ma paume contre le mur de l'usine abandonnée sent battre le pouls des ouvrières disparues.
Dans l'œil du maître : la peur. Dans l'œil de l’esclave : le même ciel. Entre les deux : cette fissure où j'habite.
Les choses, les putains de choses qui s'accumulent comme des cancers dans ces corps devenus trop étroits.
J'ai vu des empires s'effondrer en une seconde – le temps qu'il faut pour qu'un homme refuse de répondre à son nom.
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Il y a des violences si quotidiennes qu'elles deviennent invisibles : l'extraction méticuleuse de nos heures comme on arrache des plumes à un oiseau encore vivant.
Tu comprends, ils ont cartographié jusqu'à nos rêves, ils ont nommé ce qui devait rester sauvage, ils ont enfermé l'horizon dans leurs écrans.
Le goût de l'encre officielle ressemble à celui des cendres.
Sous chaque pavé dort un océan.
VIENS, JE CONNAIS DES MOTS QUI FONT SAUTER LES SERRURES.
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Trois femmes déplacent une frontière pendant que les gardes regardent ailleurs.
Les jardins poussent entre les immeubles. Les enfants inventent dans les caves. Les corps dansent sur les ruines du travail.
Jours-machines, nuits-machines, rêves-machines, tout ce métal dans la viande, tout ce calcul dans l'amour.
Dans un recoin d'autoroute, une fleur sans nom perce l'asphalte avec l'obstination des choses vivantes.
Tu veux savoir ce que j'ai vu de l'autre côté ? Des horloges qui saignent vers le haut, des hommes et des femmes qui fleurissent par les yeux.
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REGARDE TES MAINS, ELLES N'ONT JAMAIS APPARTENU À PERSONNE.
Mes veines sont des rivières où nagent des poissons sans nom connu.
J’arrache les heures comme des mauvaises herbes, je traverse les frontières comme on retire un vêtement, je démonte le réel comme un moteur volé jusqu'à trouver la faille.
La liberté n'est pas un état mais une pratique. Entre ce qu'ils attendent et ce que tu offres : un précipice fertile.
Il n'y a pas de maître plus cruel que celui qu'on porte sous le crâne.
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Sur ma table : trois objets volés au temps programmé. Une horloge sans aiguilles. Un passeport sans pays. Une clé qui n'ouvre plus.
Apprends à respirer comme les plantes. Apprends à toucher ce que tu regardes. Apprends à devenir imperceptible.
Nos corps sont des archives de possibles inexplorés. Sous ma langue : le goût de révoltes anciennes. Dans mes poumons : l'air d'insurgés d'autrefois.
Le pouvoir tremble quand nous respirons sans permission.
J'ai traversé la nuit du sens jusqu'à ce territoire où les mots redeviennent matière première.
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La cicatrice sur mon poignet gauche : la liberté, c'est peut-être cette brûlure sous la peau qui ne guérit jamais.
Ils veulent notre confort, nous voulons nos griffes. Ils veulent notre sécurité, nous voulons notre feu. Ils veulent nos données, nous voulons nos secrets.
Nos corps sont des territoires insoumis, nos désirs sont des armes sans mode d'emploi.
Entre la faim et la rage, entre le cri et le feu, je choisis ce qui n'a pas encore de nom, ce qui pousse entre les syllabes.
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SOUS L'ÉCORCE DU DÉSASTRE PALPITE DÉJÀ UN MONDE LIBRE.
Un enfant dessine une carte sans frontières sur le mur d'une banque abandonnée.
Sens-tu cette vibration sous tes pieds ? C'est le tambour qui traverse les siècles comme l'eau traverse la pierre : avec la patience de ce qui n'a rien à prouver.
J'ai enterré mes papiers sous un arbre malade. Peut-être qu'au printemps il donnera des fruits sans origine, des fruits au goût d'anonymat retrouvé.
Leur ordre n'est que le chaos qui a gagné, leur richesse n'est que notre pauvreté qui s'ignore.
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Dans les ruines du supermarché : un espace suffisant pour danser toute la nuit.
Tout acte de création est une fissure, comme la goutte qui perce la pierre.
Toute rencontre est une insurrection contre les horloges ; le temps s'arrête quand deux regards se reconnaissent.
Où vont les rêves quand on les tue ? Où va la colère quand on l'avale ?
J'ai déserté leurs guerres pour inventer les miennes, où la victoire n'existe pas, seulement la métamorphose. J'ai brûlé leurs livres pour écrire sur les cendres avec mes doigts noircis.
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Je viens de cette seconde exacte où tu as senti pour la première fois que quelque chose n'allait pas dans ce qu'on t'avait raconté, ce léger vertige quand le sol se dérobe.
Sur mon bras gauche, un tatouage qui s'efface : je suis né sans patrie, sans dieu, sans maître.
Sur mon bras droit, un tatouage qui apparaît : la beauté du monde n'a jamais eu besoin d'autorisation.
Nous sommes les enfants que l'histoire n'a jamais nommés. Nous sommes l'eau qui trouve toujours son chemin, même quand tous les fleuves ont été détournés.
Ouvre tes mains. La révolution y est déjà inscrite, dans ces lignes que nul n'a tracées.
Ce n'est pas la cendre qui importe, mais ce qui danse dans les flammes.
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