Tous les matins, l'alarme sonnait et la voix nous ordonnait de nous laver, nous habiller et de nous tenir prêts devant la porte trente minutes plus tard. Cette voix était celle d'une femme, monocorde et insipide. Le message était un enregistrement répété inlassablement tous les jours, un message parmi tant d'autres.

Je vivais dans cette chambre exiguë, murs blancs sans aucune décoration, un lit couchette encastré dans le mur, et une douche sommaire qui servait aussi de sanitaire. La seule distraction autorisée était les livres de la bibliothèque. On pouvait en prendre un par semaine mais je le dévorais souvent en une nuit. La plupart des livres étaient de la littérature érotique pour nous stimuler.

Et nous stimuler, il le fallait car toutes les semaines nous devions récolter notre semence et la fournir lors de la cérémonie de l'Analyse. Chacun, l'un après l'autre, déposions notre flacon dans le réceptacle à cet effet. Une cavité s'ouvrait, notre dépôt entrait dans la machine et le hayon se refermait. On pouvait entendre le vrombissement de l'analyse et le résultat s'affichait sur l'écran avec un smiley coloré.

Quand c'était vert, la quantité et la qualité étaient au rendez-vous. Orange, l'un ou l'autre était à ajuster et pouvait nous envoyer à l'infirmerie ou au service psychiatrie pour approfondir l'origine et corriger les soucis. Rouge par contre était inquiétant, cela signifiait que notre éjaculat ou sa valeur n'étaient pas aux conditions requises.

Je n'ai plus jamais revu mes connaissances qui ont eu trois smileys rouges. Que devenaient-ils ? Je n'en ai pas la moindre idée !

J'ai toujours vécu en ces lieux et ne sais pas vraiment l'âge que j'ai. Plus jeune, nous vivions dans de grandes salles communes avec des lits superposés, que des garçons. Le matin était voué à l'apprentissage de la lecture, l'après-midi au sport avec d'après mes souvenirs, des scores à atteindre en kilojoule. Le soir après le dîner, certaines soirées étaient dédiées à des documentaires sur la sexualité et sur la reproduction.

Quand mes premiers poils de barbe apparurent, on eut le droit à des travaux pratiques avec des femmes d'un certain âge, qui d'après ce que j'avais retenu des documentaires, ne pouvaient plus procréer. Les exercices étaient intéressants et j'étais plein d'engouement, peut-être trop, car on m'avait envoyé ici par la suite. Certains de mes amis allèrent ailleurs, mais je n'ai jamais su où non plus.Ce matin, en tout cas, je me tenais là devant cette porte après m'être lavé, rasé, mon flacon à la main.

C'était le jour de l'Analyse. La porte s'ouvrit et comme chaque jour, chacun sortait et pivotait d'un quart de tour pour se mettre les uns à la suite des autres. Il y avait vingt chambres dans ma section, dont une s'était libérée la semaine dernière, celle de mon ami Léon qui n'avait pas la langue dans sa poche.

La procession démarra et chacun put faire analyser sa semence. J'étais le septième de la section G, et tout le monde m'appelait G7 à la place de mon prénom Eusèbe qui m'avait été attribué par celle qui m'avait enfanté mais que je ne connaissais pas. Quatre de mes prédécesseurs obtinrent un sourire vert, et deux, un orange. Je commençais à stresser car j'avais eu un orange la semaine précédente qui m'avait conduit à l'infirmerie.

J'y avais d'ailleurs rencontré Hasna, une jolie infirmière à la peau d'ébène et aux grands yeux noirs. Elle avait d'ailleurs habité nombre de mes rêves cette semaine mais je me retenais de me masturber tant que je le pouvais pour ne pas être à court de substrat séminal.

J'étais partagé entre l'envie d'avoir un vert et la récompense qui va avec, une marche de dix kilomètres en extérieur, ou un orange pour pouvoir la revoir. J'avais cependant peur du rouge et de ses conséquences inconnues que je n'imaginais pas réjouissantes.

C'était mon tour, je glissa donc mon flacon et attendit. La machine émit son bourdonnement habituel et l'attente du résultat parût durer une éternité. Le smiley s'afficha et il fût orange comme la semaine passée. J'allais revoir Hasna, à ma plus grande joie.