Sous l'influence

3 minutes de lecture

 Matilda contempla son œuvre avec fascination – une fascination pour laquelle le peyotl, ce cactus psychédélique qu’elle avait ingéré quelques heures auparavant, n’était sûrement pas étranger. Pourtant, elle ne pouvait résolument s’enlever du crâne que les myriades de taches de sang qu’elle avait répandues sur le mur avec sa Winchester semblaient peindre le visage de Duncan Leblanc, le criminel qu’elle venait d’abattre et qui, de toute évidence, n’acceptait pas de se cantonner à son rôle secondaire de cadavre étendu dans un lit. Elle s’était fiée à ses visions pour remonter la trace de sa proie ; que fallait-il interpréter de ce signe-ci ?

 Ce fut tout juste si Matilda remarqua la prostituée : une femme au teint cireux et aux yeux rougis qui lui adressait des signes de la main pour attirer son attention. Malgré sa robe froissée et sa coiffure en bazar, pour une fille de joie, elle avait de l’allure. La chasseuse de prime lui offrit son regard avec curiosité, plus interpelée par la constellation de tâches de rousseur qui traçait des lignes imaginaires sur les courbes de sa poitrine que par les mots qui sortaient de sa bouche.

— Matilda Louise Zither ? répétait-elle en boucle.

— Il y a un corset là-dessous, n’est-ce pas ? Une poitrine pareille, ce n’est pas possible autrement.

— Tu es vraiment Matilda Louise Zither ?

 L’intéressée avait l’impression d’oublier quelque chose d’important. Sur le mur, le visage tracé par le sang de Duncan lui adressait des clins d’œil complices. De quoi était-elle supposée se souvenir ?

 La porte de la chambre s’ouvrit en grand, alors qu’une volée de prostituées se précipitait par l’ouverture :

— Jessie ! Jessie, tu n’as rien ? s’enquirent les jouvencelles en se jetant aux pieds de leur amie.

 Plusieurs se couvrirent la bouche ou les yeux lorsqu’elles découvrirent le corps étendu de Duncan. Il ne les salua pas, bien que l’intention dût y être. Matilda enrageait de lui avoir ainsi retourné le cerveau ; vaudrait-il la peine de le ramener jusqu’au Texas si toute identification là-bas se révélait impossible ? C’était un problème à régler, mais elle avait plus urgent dans les idées… Aller aux toilettes, peut-être ? À moins que…

— Que se passe-t-il ici ?

 Un homme bâti dans la roche et le miel entra dans la pièce, revolver en main, le cœur orné d’une enseigne étoilée, et la tueuse se souvint alors de ce dont elle devait se rappeler : éviter de se faire attraper par le sheriff.

— Lâche ton arme ! ordonna l’officier en voyant la Winchester entre ses bras.

 Oui, l’Oklahoma suivait encore ses propres lois et n’avait donc pas de compte à rendre au gouvernement des États-Unis. Une chasseuse de prime – qui plus est avec un mort sans visage étalé devant elle – n’avait ici aucun passe-droit.

— Ce n’est pas ce que vous croyez ! voulut intervenir la brune aux tâches de rousseur.

 Mais le sheriff ne devait pas être d’humeur à écouter les filles de joie, car il ne démordit pas de sa prise :

— Je ne répéterai pas. Lâche le fusil.

 Sa moustache formait des spirales amusantes, et Matilda aurait pu jurer qu’un visage de poils y apparaissait parfois pour lui tirer la langue.

— Qu’est-ce que tu regardes ? s’impatienta-t-il.

— Toi, beau brun.

— Je tire !

— Ça va, c’est bon !

 La chasseuse de prime leva les deux mains, laissant sa Winchester tomber à plat devant elle. Tous les témoins de la scène suivirent la chute du regard avec des yeux de merlans frits, mais aucun coup de feu ne fut craché du canon.

— Femmelettes, se moqua Matilda en secouant le nez d’un air désapprobateur.

 Et le sheriff, une veine palpitant sur chaque tempe, leva vers elle un doigt plus menaçant que son revolver :

— Je t’embarque, et tout de suite.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Pelle à Nuages ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0