Division

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— Je ne peux pas, avait répondu Jessie.

 Et cette vérité sonna pire qu’un tir de pistolet à ses oreilles. Elle ne pouvait pas. Elle voulait, pourtant. Certaines blessures au fond de son âme n’avaient jamais cicatrisé depuis qu’elle avait été séparée de Matilda, et elle aurait volontiers donné tout ce qu’elle avait pour remonter les pages de leur histoire – ne serait-ce qu’un instant. Mais tout cela n’était plus possible depuis qu’elle avait repris le West Royale. Depuis les filles.

 Qui d’autre les protègerait de la sauvagerie du monde, si elle partait ?

 Et la rouquine qui la dévisageait à présent n’était plus cette adolescente dont elle fut proche autrefois. C’était une criminelle, une tueuse de sang froid au caractère lunaire, imprévisible… Jessie ne pouvait se résoudre à abandonner les vivantes pour chercher un fantôme.

— D’accord, s’était contenté de répondre Matilda.

 Et elle avait tourné les talons, puis s’était éloignée d’un pas tranquille, silhouette déhanchée à l’ombre étendue entre les bâtiments de la ville.

— C’est tout ? avait protesté la courtisane. Pas de « au revoir » ? Pas d’objection, ni de remerciement ? Même pas un mot pour me dire ce qui t’est arrivé durant toutes ces années ?

 Matilda avait haussé des épaules, sans même lui adresser un regard, et Jessie s’était aperçue que sa voix se brisait comme des miettes avec lesquelles elle s’étouffait. Elle serra des dents et réprima les sanglots qui inondaient son visage. Comment son amie pouvait-elle être aussi indifférente ? Avait-elle vraiment été un jour la Matilda Louise Zither qu’elle avait connue ? Les façades qui s’alignaient dans la rue étaient devenues les témoins silencieux de leur second déchirement.

 La rousse nonchalante avait alors fait halte auprès d’un cheval quelques pieds plus loin, attaché au porche d’un pub miteux tenu par les irlandais. Jessie avait détourné son regard plein de larmes lorsque la chasseuse de primes avait commencé de défaire les nœuds des harnais : elle ne pouvait plus soutenir le spectacle de cette inconnue sans empathie, encline au larcin comme premier recours et revêtant pourtant les traits d’une personne si chère à son cœur.

 Elle qui avait eut tant de mal à se remettre de leur séparation, ses plaies léchées par le temps sans jamais guérir, voilà que le ciel lui offrait un sort bien cruel…

 Toutefois, tandis que la courtisane s’épongeait les yeux d’un revers du bras, trop fière pour dévoiler davantage ses peines, un galop approchant soudain la tira de sa torpeur. Elle ne put qu’à peine faire volte-face, un instant pour apercevoir l’éclair roux aux reflets de jade… Qu’un bras la harponnait, lui coupant le souffle et la hissant sur le dos de l’étalon. Ses jambes en amazone striées de bas résilles, jupons flottant comme une bannière au vent, cramponnée à la taille et aux rires déments de Matilda, Jessie Thelma Supine, la patronne du West Royale, dut se résoudre à laisser Guthrie disparaître de son horizon.

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