Celle qui mène la balade

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 Jessie était secouée sur la croupe de leur monture, mais l’air qui circulait sur sa peau ne lui donnait plus l’impression d’être une étrangère plantée avec son décolleté et ses bas résille au milieu des montagnes Wichita. Ainsi vêtue comme une femme de la nature, une véritable Chacta, elle se sentait libre. Elle avait conservé quelques plumes dans ses cheveux – trésor des enfants qui les lui avaient offertes – et sa coiffure, à présent désordonnée de boucles noires au vent, chatoyait comme des rayons fous et sauvages sous le soleil. Elle n'avait plus rien d'une courtisane, mais cela ne la rendait que plus irrésistible encore. Matilda s'était d'ailleurs abstenue de se moquer à nouveau d’elle, intriguée elle aussi par l’émancipation qui transpirait de cette nouvelle allure.

— Tu vas vraiment affronter six garçons armés à toi toute seule... Je ne peux rien faire pour t'en dissuader ? insista Jessie pour la énième fois depuis leur départ.

 La rouquine hochait distraitement du menton, en ratissant les montagnes alentour de ses iris émeraude.

— Si je dois mourir, ce sera de la main du Conquistador. Je te l’ai déjà dit.

 La brune commençait à en avoir assez de cette excuse. Elle avait accepté de jouer le jeu de croire en la prophétie si cela pouvait rassurer son amie (et peut-être aussi pour se donner bonne conscience à la suivre dans cette aventure sans avenir), mais elle ne supportait pas que Matilda mentionne la perspective de sa mort avec autant de nonchalance. Un groupe d’adolescents, mâles et lâchés seuls en plein milieu des terres indiennes, demeurait une menace bien plus tangible que la promesse du colt d’un criminel disparu.

— Puisque tu es décidée… reprit-elle, résolue à l'idée que son amie n'allait pas se raisonner de sitôt. J'ai réfléchi à un meilleur plan que le tien.

— Toi ? s'amusa la cavalière. Un plan ? Chérie, on ne parle pas d'une bagarre de saloon avec un shérif qui va venir nous sauver, là. Le monde de l'Ouest, c’est le mien : laisse-moi faire et profite de la balade.

 Piquée, la passagère se retint toutefois de s'emporter dans la provocation ; ce ton plaisantin pour éviter les conversations déplaisantes, c'était une autre habitude de Matilda qui la contrariait. Des hommes qui pensaient tout mieux savoir qu’elle, Jessie en avait rencontrés des essaims depuis qu’elle s’était assise à la direction du West Royale ; combien avaient voulu lui racheter l’établissement ou avaient prétendu qu’elle ne pourrait se passer d’une patte masculine afin de gérer les affaires ? Et des femmes qui ne croyaient pas en elle, dans la profession – surtout à ses débuts –, elle en avait affrontées tout autant. Elle les avait chacun et chacune écouté, patiemment, puis leur avait donné tort à tour de rôle. Ça n'avait rien d'anodin si, à Guthrie, personne n’osait désormais remettre en cause ses qualités ou ses directives. Qui de mieux qu’une prostituée pour connaître la dangerosité du monde extérieur ?

— Non. Tu vas m’écouter, avant de m’envoyer sur les roses.

 La rouquine émit encore ce petit gloussement qui annonçait une plaisanterie, mais Jessie reserra alors ses bras autour de son ventre : "Je suis sérieuse". Et, ayant enfin capturé sa frivole attention, elle lui expliqua enfin son plan. Ce fut ainsi au tour de Matilda de se tourner vers elle avec une expression soucieuse sur le visage :

— C’est dangereux, hésita-t-elle.

— Moins que de foncer tête de baissée au devant d’une fusillade.

— Oui, mais... Ce que je veux dire, c’est que c'est dangereux pour toi.

 Jessie sourit, puis posa sans un mot le menton sur l'épaule de sa cavalière. Maintenant, elle pouvait profiter de la balade. Et la chasseuse de primes marmonna d'un souffle :

— Tes employées ont de la chance de t’avoir.

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