Chapitre XVII

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La nuit était paisible dans la forêt de Flaïne. Les gens du seigneur Andeläs avaient fait montre d’une grande sympathie envers Chris et ses compagnons, leur racontant histoires et moment vécus, certains très tristes.

Une jeune femme raconta que son mari était mort en chasse, tué par une horde de Gnours, la laissant seule pour élever ses jumeaux. Les gens du village où elle était née et avait passé toute sa vie, commencèrent à la traiter de sorcière noire, l’accusant du brutal trépas de son bien-aimé.

Un jour, alors qu’elle préparait le déjeuner, ils étaient venus la chercher dans sa maison et l’avaient traînée jusqu’à la place du village, sur laquelle ils avaient installé un grand bûcher. La pauvre découvrit mortifiée qu’ils y avaient attaché ses deux garçonnets de cinq ans. Sans sourciller, le maire du village avait mis le feu au tas de branchages qui s’était enflammé avec une effrayante rapidité. C’était là l’horrible manière qu’ils avaient choisis pour la pousser à utiliser ses pouvoirs maléfiques et prouver à la populace qu’elle était bien un sous-fifre du malin. Contrainte de les regarder agoniser sous ses yeux, totalement désarmée face aux autres habitants, la pauvre implora qu’on les libère, en vain.

Lorsque le brasier s’éteignit, ils la frappèrent et l’insultèrent en insinuant qu’elle avait volontairement laissaient mourir ses enfants pour cacher son véritable visage. Après l’avoir battue, ils l’avaient laissée pour morte dans une fosse commune, à moitié enterrée.

Quand elle reprit connaissance, l’odeur de mort des cadavres en décomposition et le souvenir de ses enfants sacrifiés, lui firent perdre la raison. Par vengeance, elle attendit que tous soient réunis dans l’église du village pour la messe du matin, puis en bloqua les issues avant d’y mettre le feu.

Elle raconta être restée plusieurs heures à regarder l’édifice se consumer, se délectant des hurlements de peur et d’agonie des villageois pris au piège des flammes.

Son affreux récit rappela à Chris que la cruauté et la méchanceté n’étaient pas des réalités propres à son monde.

Yamïck lui tapa sur l’épaule.

— Ne vous méprenez pas à la prendre en pitié, sire Chris. Personnellement, je ne gagerai pas sa parole en argent trébuchant. Nous avons eu vent d’une version bien différente des faits.

— Comment ça ?

— On nous a rapporté qu’elle avait été chassée pour avoir pratiqué la magie sombre. Elle y serait revenue peu de temps après pour tuer tout le monde et brûler le village entier, par vengeance.

Les propos de Yamïck lui parurent bien plus sincère que ceux de la jeune femme.

— Si vous voulez rester à Banklärd, vous devez vous plier aux règles et respecter l’autorité du seigneur Andeläs, mais rien ne vous empêche d’embellir le pourquoi de votre présence.

Il poussa un petit rire discret.

— Pourquoi es-tu ici ?

— En fait, je ne sais pas grand-chose sur ma vie d’avant Banklärd. Une caravane de marchand nomade m’a trouvé…

Lindelle les interrompit.

— Désolé de vous couper dans vos babillages, lança-t-elle avec un mépris à peine dissimulé, il est très tard ! Nous devons nous reposer. La route sera longue jusqu’à Sylandar.

— Nous pouvons vous prêter des chevaux ! Cela vous permettra de rester une journée de plus !

Bien qu’elle l’eût envoyée paître lors de leur altercation au dîner, il la dévorait des yeux. C’était la première fois que Chris ressentit aussi vivement l’amour naissant entre deux personnes. Lindelle lui lança un regard de biais rempli de sous-entendus, puis se tourna vers Yamïck.

— C’est très aimable, mais vous en avez déjà fait bien plus que demander !

— Rien ne sera jamais fait en vain pour vous, madame.

Il lui fit un clin d’œil rehaussé d’un large sourire. Lindelle, bien que renfrognée, se mit à rougir face à l'attitude déplacée de son soupirant, puis se tourna vers Chris, l’implorant de ses yeux émeraude de la suivre pour rejoindre leur chambre.

— Je suis désolé Yamïck, mais dame Lindelle a raison, nous devons absolument nous reposer.

— Je comprends… que la nuit vous soit reposante.

La déception dans sa voix était palpable, mais sans laisser le temps à Chris de le saluer, Lindelle l’attrapa par le bras et le tira vers la porte du château pour le pousser à l’intérieur.

— Ne pourriez-vous pas, juste une fois, m’aider à m’extirper de ses mains de voleur ? lança-t-elle en posant les poings sur ses hanches.

— Je pourrais… mais c’est bien plus amusant de vous voir rougir à chacune de ses phrases. Reconnaissez tout de même que ses manières sont plutôt courtoises, pour un vulgaire voleur, comme vous l’appelez.

Lindelle prit une grande inspiration et poussa un long soupire.

— Oui, je reconnais qu’il ne me laisse pas indifférente. Cependant, une femme de mon rang ne peut envisager une quelconque relation avec un… un…

— Un homme prêt à décrocher la lune pour elle ? la coupa Chris, je ne suis pas au fait des protocoles et des lois qui chapeautent les relations amoureuses dans votre monde, mais là d’où je viens, et encore plus quand on est comme moi, on se fiche pas mal de ce que les autres peuvent penser ! L’amour est un bien précieux, encore plus s’il est partagé. Le monde regorge probablement de milliers d’homme prêt à vous courtiser, mais combien vous ont déjà regardé avec autant de passion que Yamïck ?

— Oui… souffla Lindelle du bout des lèvres, il n’empêche que ce qui importe pour le moment, c’est de vous ramener à Sylandar au plus vite !

Elle l’attrapa à nouveau par le bras et le tira vers les escaliers pour rejoindre leur chambre où Thèoffric dormait déjà comme un bien heureux.

Les vieux lits que le seigneur Andeläs leur avait réservé étaient usés, mais confortable. Le foin des matelas avait été changé spécialement pour eux. Cependant, pour la première fois depuis son arrivée dans le Vaste-Monde, Chris ne parvenait pas à trouver le sommeil.

Il se leva doucement de son lit, pour ne pas réveiller ses compagnons, et s’approcha de la fenêtre qui donnait sur la cour de la forteresse. Il n’y avait personne dehors à cette heure tardive, et les trois lunes qui brillaient dans le ciel permettaient de voir sur une longue distance. D’ici, la place forte lui sembla imprenable.

Soudain, un éclat de lumière passant par l’embrasure de la porte de la chambre restée entrouverte, le fit se retourner. Prudemment, il se dirigea vers le couloir pour voir d’où elle provenait.

Il eut le souffle coupé lorsqu’un spectre, à l’allure masculine, passa juste sous son nez. Il faisait les cent pas, allant d’un bout à l’autre du long couloir. Sa forme vaporeuse illuminait les vieux tableaux accrochés aux murs. Le fantôme d’un noble aux vues des vêtements et du couvre-chef qu’il portait.

— Ah, vous êtes enfin réveillé, lança-t-il en remarquant la présence de Chris, toutes mes excuses si je vous ai fait peur, mon ami. Je tournique dans ce couloir depuis plusieurs minutes, cherchant des mots de circonstance dut égard à votre rang. Il faut dire que ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre un élu de votre acabit.

Ses manières et son phrasé étaient encore plus stupéfiants que son apparence. Il mesurait environ 1m75 et avait les cheveux bouclés et la peau pâle, du moins de ce que son apparence fantomatique laissait percevoir.

— Je… oui… qui êtes-vous ? bredouilla Chris avec difficultés.

— Oh, mais où sont passé mes bonnes manières. Seigneur Phillothïus, ancien monarque du Vaste-Monde. Et vous êtes ?

L’entité fit une courbette maladroite puis se redressa avec peine.

— Vous m’attendiez, mais vous ne connaissez pas mon nom ?

— Votre venue m’a été annoncée il y a fort longtemps, ainsi que votre approximative apparence. En ce qui concerne votre patronyme, je n’ai pas le souvenir de l’avoir un jour su, répondit Phillothïus en se grattant le bouc, l’air pensif.

— Alors… comment savez-vous que je suis bien celui que vous recherchez ?

— Une mission m’a été confiée par un ami très cher qui disposait d’un pouvoir de claire-vision extrêmement puissant. Il a prédit votre venue et m’a demandé de vous remettre un objet qui devrait vous aider dans votre quête.

Le fantôme tira de sa ceinture une magnifique épée argentée, dont la lame d’un mètre, lisse et acérée, dégageait un halo lumineux d’un blanc intense. Sa garde était gravée d’inscriptions et sertie de pierres précieuses vertes luisantes. Chris resta bouche bée devant la beauté de l’objet.

— Cette épée à était forgée par mon ami… mon très cher ami... Lëandras.

Chris perçut un brin de mélancolie dans la voix de Phillothïus.

— Il était le seigneur des elfes de la forêt de Flaïne, en son temps. C’était bien avant les guerres fratricides qui ont poussées son peuple à s’exiler sur l’île Perdäci. Mais c’est une bien trop longue histoire pour vous la raconter maintenant.

Il soupira, le regard perdu dans le vide et resta silencieux pendant près de deux minutes avant que Chris ne l’interpel.

— Que pouvez-vous me dire sur cette épée ?

Phillothïus sursauta en secouant la tête, reprenant subitement ses esprits.

— Oh, je ne dispose que de peu d’informations sur cette arme. Votre destinée vous a menée dans notre monde, et cette lame vous sauvera de nombreux périls. C’est tout ce que je peux vous dire, mon cher.

Il se pencha vers Chris et lui tendit la lame d’argent rutilante. À l’instant même où sa main s’enroula autour de la poignée enrubannée de cuir bleu, elle se mit à scintiller de plus en plus intensément, puis disparut dans un éclair blanc.

— Que se passe-t-il ? Où est-elle ?

Chris la chercha du regard tout autour d’eux.

— N’ayez crainte, elle vous suivra dans votre périple sans jamais vous encombrer. C’est une arme magique qui saura apparaître dans les moments où vous en aurez besoin. À présent, je dois vous quitter, mon ami.

— Attendez ! pourquoi partez-vous si vite ?

— Ma mission est enfin remplie ! Il me tarde de rejoindre l’autre côté. Je vous souhaite de revenir victorieux de la mission qui vous incombe, cher élu. Mais rappelez-vous, vos compagnons ne sont pas à vos côtés par hasard. Chérissez chaque instant passé en leur compagnie, comme si c’était le dernie.

La forme spectrale du seigneur Phillothïus s’éleva dans les airs, puis se mit à briller de plus en plus intensément. Chris plissa les yeux et aperçut au travers de l’aveuglante lumière, la silhouette d’un homme aux longs cheveux bruns et aux oreilles pointues, enlaçant Phillothïus puis l’attirant vers la lumière en le tenant par la main. Une larme perla au coin de ses yeux lorsqu’il comprit que Phillothïus, après tant d’années à attendre sa venue, venait enfin de retrouver son "très cher ami" Lëandras.

Chris se retrouvait seul debout au milieu du couloir, le regard perdu dans le vide. Lindelle lui tapa sur l’épaule.

— Que faites-vous donc ?

Elle se frotta les yeux, comme pour s’assurer que c’était bien lui.

— C’est une longue histoire, mais quelqu’un m’a offert un présent.

Elle le dévisagea, les sourcils froncés et la lèvre supérieure relevée.

— Voilà qu’il est somnambule... Allons, il faut vous recoucher.

Elle le prit par le bras et le tira vers la chambre. Chris s’allongea dans son lit, le regard toujours perdu, puis il attrapa la main de Lindelle.

— Merci.

— Mais de quoi ?

— Merci pour tout ! Passé et à venir !

Elle lui sourit, puis regagna son lit.

Après ce qu’il venait de vivre, Chris parvint enfin à s’endormir le cœur léger, sans se douter que dehors, un grand malheur était sur le point de se produire.

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