Chapitre I

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La flèche se ficha au centre de la cible. Le bruit de l’impact résonna dans la clairière, dissonant, comme un vieil instrument de musique désaccordé. Calixso grimaça et banda à nouveau son arc. Sa main moite glissait sur la poignée, et son cœur battait beaucoup trop vite. La deuxième flèche de la jeune femme s’échappa de l’encoche, bondit et se brisa dans le disque de paille.

Calixso poussa un cri de rage.

Les Flamines frémirent et, sous leurs bonnets de laine, considérèrent l’intruse qui osait ainsi troubler leur sommeil. À l’aube, la même femelle s’aventurait toujours dans leur sanctuaire. Seize ans que l’importune s’y faufilait avec son arc de sept pieds de long et y faisait chanter ses flèches. Sa présence leur était familière, mais ils préféraient l’ignorer. Son monde de chair n’était pas le leur.

L’archère frotta ses yeux brûlant de fatigue, contrôla sa respiration et fit le vide dans son esprit. Elle encocha une dernière flèche.

Ouverture. Équilibre. Décision…

Libre, la flèche dessina une courbe gracieuse, et atteignit le cœur de sa cible, en harmonie avec celui de son archère.

Enfin satisfaite, Calixso relâcha la tension dans ses muscles et soupira. Autour d’elle, les Flamines semblaient heureux pour elle.

Les statuettes affichaient leur immuable sourire. La pierre figeait leurs traits grossiers et énigmatiques. Leurs épaules étaient chargées de fleurs et des bonnets multicolores s’enfonçaient sur leurs têtes difformes. Calixso remarqua que l’une d’elles avait perdu son couvre-chef. Elle s’agenouilla et le réajusta sur les oreilles en chou-fleur du Flamine. Le follet ne s’en émeut pas. Les créatures n’interagissaient jamais avec les vivants. Ce n’étaient que des pierres. Des pierres anciennes, mystérieuses et indéchiffrables.

L’aube embrasa le Jardin des Flamines, réveillant en contrebas les cloches de la ville.

Calixso se redressa et tourna la tête vers la baie. Le soleil éclairait une arantèle de bicoques et de caravansérails qui s’étirait le long de la côte. La marée basse dévoilait la grève épaissie de végétation. Une jetée s’y amorçait et se prolongeait jusqu’à un îlot perdu au milieu de la mer. Un pavillon carré se dressait en son sommet et au-dessus de ses quatre dômes flottait une bannière d’argent chargée d’un œil à la pupille d’or.

L’humeur de Calixso s’assombrit.

Il était l’heure de rentrer.

Teresine s’encartait tout à l’ouest de la Sumérie, dernier rempart avant l’Éternel et ses eaux inconnues. C’était un village de pêcheurs perdu au bout de la Route des Songes. Et pourtant, des caravanes de plusieurs centaines de pèlerins convoyaient chaque jour jusque-là dans l’espoir d’un mot du destin.

Calixso dépassa la file de voyageurs qui s’attroupait derrière l’Arche des Songes. Un murmure d’excitation balaya le campement. Des enfants aux yeux exorbités la pointèrent du doigt. Des hommes et des femmes se ruèrent au bord de la route pour l’honorer. Calixso les salua du signe de l’Œil.

Elle franchit l’Arche, où les deux vigies s’écartèrent précipitamment pour la laisser passer, puis la jeune femme remonta le pont jusqu’à la Maison des Augures. La passerelle tanguait sous le ressac. La mer clapotait joyeusement autour d’elle. L’air embaumait de sels marins. Calixso gravit l’escalier et pénétra dans les jardins suspendus.

Une effervescence inhabituelle secouait la Maison des Augures. Les Damoiselles, en chemise de nuit, s’agglutinaient aux portes de l’aile ouest. Calixso traversa les jardins à grandes enjambées et rejoignit la bande de fillettes.

« Pourquoi êtes-vous hors de votre lit ? »

Les Damoiselles sursautèrent à l’unisson, et présentèrent leurs respects. Calixso claqua sa langue impatiemment et l’une d’elle, s’arma de courage pour lui répondre.

— Notre Mère a encore rêvé, Estimée Calixso. Les Messagères parlent d’un autre rêve de fumée. Elles disent… elles disent que la pythie est mourante.

La porte s’ouvrit brutalement, une diversion qui permit à Calixso de masquer son trouble.

La silhouette de Veena s’encadra sous le chambranle. À travers les fentes de son masque de chaînes d’or et de perles, la Messagère fronça ses épais sourcils.

— Retournez dans vos chambrées et à vos tâches respectives, ordonna-t-elle aux Damoiselles. La Vénérable Pythie n’a pas besoin d’un auditoire à son chevet.

Les Damoiselles filèrent sans protester.

Calixso salua la Messagère du signe de l’Œil.

— Comment va notre Mère, Veena ?

L’expression de son amie s’effila comme un vieux tapis.

— Mal, murmura-t-elle. Un rêve de fumée l’a encore frappé cette nuit. J’ai bien peur qu’elle n’en ait plus pour très longtemps.

Calixso accusa le coup.

Un autre rêve de fumée.

Elles les avaient nommés ainsi, faute de comprendre le mal qui frappait la pythie. Les crises avaient commencé trois jours plus tôt, lors de l’Annoncement. Pourtant, la cérémonie s’était déroulée comme de coutume. Personne ne s’attendait au funeste présage de la pythie, encore moins aux évènements qui s’ensuivirent. La prêtresse avait prédit le début des Jours du Sang et des Nuits de Désolation. L’Oracle avait secoué tout le monde. En y repensant, Calixso en frémissait, mais le pire s’était produit ensuite. De cette terrible prophétie se succéda le premier rêve de fumée. La prêtresse s’était effondrée en pleine audience. La violence des convulsions avait pétrifié Calixso. Jamais encore le don de prescience de la Vénérable Mère n’avait été si intense. Calixso s’était trouvée démunie face à cette attaque insidieuse. Même le poison l’effrayait moins. Elle les connaissait, les avait étudiés. Elle pouvait réagir. Mais un rêve de fumée était une énigme, une énigme terrifiante et mortelle, qui empoisonnait l’esprit de la pythie et lui ôtait la vie.

Quelqu’un héla Veena. La Messagère s’excusa auprès de Calixso et disparut à l’intérieur de la Maison.

L’archère jeta un œil par l’embrasure de la porte.

Toutes les chandelles étaient allumées. Une fumée bleue épaississait les ombres de la pièce. Des vapeurs de chanvre et d’encens irritaient les narines. Les quatre Messagères s’affairaient autour de leurs Mère, couchée sur un lit de coussins. Calixso plissa les yeux et distingua sa peau laiteuse couverte de taches de son et le duvet blanc qui poussait au sommet de son crâne.

Calixso entendit la Vénérable Pythie chevroter des remontrances.

— Cessez de tournoyer autour de moi comme des volatiles. Je n’ai nul besoin de vos conseils ou de vos cajoleries.

La voix anxieuse de Niobé parvint aux oreilles de Calixso.

— Un autre rêve de fumée a éprouvé votre Sainteté. Décrivez-nous ce mal pour que nous puissions vous aider.

— Laissez-nous prendre soin de vous, Vénérable Mère. Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, supplia Gaïa, un gobelet tendu vers les lèvres de la pythie.

— Ce que je veux, c’est la paix, gémit la prêtresse dans un souffle.

Calixso en avait assez entendu. Elle ferma la porte et s’éclipsa. Elle rejoignit les dortoirs, pénétra dans sa chambre, posa son arc et son équipement dans un coin et se pencha au-dessus de la cuvette d’eau. Elle y trempa les mains, se rafraîchit le visage et chût sur son lit de plume. En face d’elle, la psyché de sa coiffeuse refléta sa mine soucieuse. Deux plis verticaux creusaient la peau cuivrée de son front et une récente morsure fendillait sa lèvre inférieure.

Calixso soupira et s’obligea au calme. Elle passa machinalement la main dans ses cheveux avant de se souvenir que ses épaisses boucles noires avaient disparu. Elle les avait troquées contre des cheveux ras et une paire d’ailes en or. Elle détacha les deux bijoux de ses oreilles et les contempla.

Sept ans plus tôt, la Vénérable Pythie lui avait remis ses ailes le jour de son seizième anniversaire. Ce jour-là, Calixso avait choisi sa voie. Après une vie de service comme Damoiselle, Calixso était devenue la femme dont elle avait toujours rêvé : une arcange de Teresine. Elle avait prêté serment de servir sa Mère, de préserver son héritage et d’offrir sa vie en échange si telle était la volonté des dieux.

C’était le plus grand des honneurs. Mais si la Vénérable Pythie mourait, à quoi son existence se résumerait-elle ?

Calixso serra la paire d’ailes dans son poing et son regard se posa sur l’autel des dieux. Elle se leva et chercha un peu de réconfort dans la prière. Elle s’agenouilla devant la statue bifron des dieux de ses ancêtres : les sœurs du Destin, Praegya et Pritha, seuls vestiges de ses origines. Calixso avait vu le jour à Bandara. Ses parents l’avaient confiée à la Maison des Augures alors qu’elle n’était encore qu’un bébé. Les Messagères lui avaient décrits dans les moindres détails le jour de son arrivée. Elle connaissait le nom de son père, le nom de sa mère et ceux de ses frères et sœurs. Sa famille ne l’avait pas abandonnée. Elle lui avait offerte une vie honorable et prestigieuse. Calixso les en remerciait chaque jour dans ses prières.

La Maison des Augures était sa seconde famille et son dévouement envers elle était total. Quant à la pythie, Calixso l’adorait. La Vénérable Mère l’avait rassurée les soirs d’orage. Elle avait pansé ses blessures et baissé sa fièvre. Elle l’avait bordée les jours de deuil et encouragée dans ses apprentissages. Mère avait été là à chaque étape de sa vie. Elle était le ciment de son monde. Comment survivrait-elle à son absence ?

Le parquet grinça derrière elle et troubla ses prières.

La silhouette d’une Damoiselle s’esquissa par l’entrebâillement de la porte.

— Estim… Estimée Calixso, on vous mande à l’aile ouest, bégaya la gamine.

Calixso se raidit. Cette convocation l’effrayait. L’heure était-elle arrivée ?

Elle replaça les ailes à ses oreilles et suivit la Damoiselle jusqu’aux appartements de la pythie. Le soleil était levé. Des nuages de coton caressaient le bleu du ciel. La rumeur des vagues berçait la Maison. Calixso passa sous les orangers et s’arrêta devant Gaïa, postée à l’entrée du bâtiment. Le charbon de ses yeux coulait sous son masque.

Calixso se prépara au pire.

— Tu m’as fait mander, Estimée Gaïa ?

La Messagère planta ses yeux rougis dans les siens.

— Mère veut te voir, Estimée Calixso.

Les deux battants de la porte s’ouvrirent et relâchèrent les trois autres Messagères.

— Elle t’attend, déclara Veena d’une voix éteinte.

Calixso inspira profondément et pénétra dans les appartements de la pythie.

Malgré les fenêtres entrouvertes, l’air était vicié de vapeurs capiteuses et des miasmes de la mort. Calixso s’approcha de la pythie. Les os saillaient sous sa peau blafarde. Un filet de sang perlait de ses narines et de ses oreilles. Sa respiration était faible et saccadée.

Calixso ravala ses larmes. Était-ce bien la femme qui l’avait recueillie ? La Vénérable Pythie qu’elle avait toujours connue captivait les foules. Habillée de ses soieries rouge carmin, croulant sous les pierreries, un diadème grandiose d’or et de gemmes perché sur le haut du crâne. C’était la fille de deux déesses, leur émissaire, envoyée sur terre pour guider les hommes. Ce ne pouvait être cette femme gisant sur son lit de mort. Les dieux n’étaient-ils pas immortels ?

« Calixso, c’est toi ? »

L’archère tressaillit en entendant cette voix, si sereine, si bienveillante, vaciller.

— Oui, c’est moi, Vénérable Mère, déglutit Calixso avec douceur.

Elle se composa un sourire, se pencha sur la pythie et prit sa main dans la sienne.

Elle était glacée.

— Ma chère petite fille. Je me souviens du jour de ton arrivée, Calixso. Tu étais un si joli poupon avec tes épaisses boucles noires. Quand tes parents sont partis, tu n’as pas versé une seule larme. Tu avais déjà une force d’âme peu commune. Tu savais où était ta place. Je n’ai eu besoin d’aucune vision pour savoir que tu étais une enfant du Destin.

Ses paroles lui réchauffèrent le cœur.

— Et c’est un grand honneur de vous protéger et de vous servir, Vénérable Mère, répondit Calixso, émue.

— J’étais si heureuse le jour où tu as choisi les ailes d’arcange. J’avais peur que tu me quittes comme bon nombre de mes Damoiselles avant toi. Je pense que je n’aurais pas supporté ton départ. Je considère toutes les petites filles qui m’ont été confiées comme mes propres filles. Je ne devrais pas avoir de préférence. Mais c’est un sentiment humain. Tu es la petite fille que j’aurais voulu mettre au monde. Je sais que tu ne m’aurais jamais déçue.

Une vague de toux submergea Mère. Du sang inonda sa bouche. Calixso lui tendit un mouchoir en tissu et l’aida à se redresser. La tête de la pythie ballota de gauche à droite. Sa mâchoire se crispa. Témoin impuissante d’un nouveau rêve de fumée, Calixso regarda Mère se battre contre une force invisible.

« Venin de mon sang, se mît-elle à répéter. Venin de mon sang ».

Calixso écouta le délire de la pythie. Que lui arrivait-il ? La prescience ne lui était jamais apparue de cette façon. Elle dévisagea Mère. Son regard traversa le sien sans le voir et sembla s’arrêter sur une ombre derrière elle. Voyait-elle un fantôme ?

La crise se calma et Mère revint peu à peu à elle.

Calixso lui présenta un verre d’eau, mais elle le refusa. La pythie essuya sa bouche et regarda d’un air songeur le tissu imbibé de sang.

« Je suis une horrible mère », souffla-t-elle. Sa voix n’était plus qu’un mince filet d’eau. « J’ai chéri un tas d’autres enfants alors que je n’ai pas pu élever le mien. »

Calixso arqua un sourcil. Délirait-elle encore ?

— Le vôtre, Vénérable Mère ? murmura l’archère pour ne pas la brusquer.

Les pâles prunelles dorées se posèrent sur Calixso et sondèrent son âme. La jeune femme se raidit et retint son souffle. L’énergie de Mère caressa son esprit, effleura son corps. Calixso ne lutta pas. Elle avait confiance en elle. Elle était sa Mère. Sa vie lui appartenait.

La pythie acheva son examen. Sa voix devint rude, acérée.

— Je vais mourir, Calixso. Et je ne peux pas partir sans confesser mes péchés.

Calixso écarquilla les yeux.

— Plaît-il ? bredouilla-t-elle. Vous…vous avez été si bonne, Vénérable Mère. Je suis sûre que vos Mères vous pardonneront vos fautes.

La froideur de son rire glaça Calixso. Un mauvais pressentiment s’empara de l’archère. Son instinct lui hurlait de quitter la pièce. Elle ne voulait pas entendre cette confession. Pétrifiée, elle écouta malgré elle la Vénérable Mère livrer ses aveux :

« J’ai été lâche toute ma vie, Calixso, confessa la pythie. J’ai abandonné les miens, car je ne supportais plus de les voir disparaître un à un. Les enterrer était au-dessus de mes forces, et j’avais peur de me retrouver seule. J’ai préféré partir, plutôt que d’assumer mes responsabilités. J’ai rejoint un petit village des Plaies, et me suis inventée une nouvelle vie parmi les mortels… J’y suis tombée amoureuse.

Les miens m’avaient pourtant mise en garde contre la perfidie des humains. Mais j’étais jeune et stupide, et cet homme me regardait avec une telle tendresse… J’attendais un bébé lorsque j’ai découvert qu’il me trompait avec une autre. Elle était belle, immensément riche et un excellent parti pour mon bien-aimé. J’étais devenue une épine dans son pied. Un soir, il tenta de se débarrasser de moi. Mes pouvoirs n’étaient pas encore à maturité, mais je l’avais pressenti. Je me suis enfuie et j’ai juré de me venger. J’étais tellement en colère ! J’appris qu’ils s’étaient mariés et qu’elle aussi attendait un enfant. Mais, idiote que j’étais, j’avais toujours des sentiments pour ce lâche. Je ne voulais pas le tuer. Je voulais qu’il souffre comme je souffrais. Je m’en suis donc prise à sa nouvelle épouse. J’ai fait la chose la plus horrible qui soit. Je les ai maudits tous les deux, elle et son bébé ».

Calixso absorbait ses paroles comme un parchemin boit l’encre d’une plume. Elle gravait chaque mot dans son esprit, chaque détail, sans qu’elle puisse les effacer, sans qu’elle puisse s’y opposer.

« Je sais ce que j’ai fait, continua la pythie. Je n’ai pas droit au pardon. J’ai prononcé des paroles interdites. J’en connaissais les conséquences, mais j’étais ivre de haine. Elle est morte. Je l’ai tuée de sang-froid et je me suis délectée de la souffrance de l’homme que j’avais aimé. »

Calixso déglutit et balbutia des mots de réconfort qui sonnèrent creux.

— Vous êtes trop dure avec vous-même, Vénérable Mère. Je… je suis sûre que ce n’étaient pas là vos véritables intentions.

— Ne m’excuse pas, trancha la pythie. J’étais pleinement consciente de mes actes et pour cela, le Destin m’a puni. Mon enfant est né sept jours après la mort de ma malheureuse rivale. J’ai engendré un fils. Un fils.

Il y avait dans ses paroles un tel dégout que Calixso s’en étonna. Elle s’apprêtait à lui demander quelle en était la raison lorsque la pythie s’étouffa en une violente quinte de toux. Ses lèvres virèrent au bleu. Calixso l’aida à se coucher sur le côté et un caillot de sang s’écrasa sur les draps immaculés. La pythie se griffa la gorge à la recherche d’une goulée d’air.

L’archère tremblait comme une feuille en imaginant que c’était la fin. Mais elle se trompait. La volonté de la pythie repoussa l’inévitable.

Le temps lui était compté. La Vénérable Mère acheva sa terrible confession de manière froide et brutale.

— Un mâle ne peut hériter des pouvoirs de ma race, Calixso. Il ne le doit pas. Les conséquences seraient inimaginables. J’ai donc agi. J’ai suivi le code. Je suis descendue à la rivière pour l’y noyer.

C’était comme si c’était elle que Mère avait jeté à l’eau. La surprise, le dégoût, l’incompréhension submergèrent Calixso comme un raz-de-marée. Elle manqua d’air. D’un geste brusque, instinctif, elle dégagea sa main de celle de la pythie et reconsidéra cette femme qu’elle avait prise pour mère. Elle ne la reconnaissait plus.

— Ne dites plus un mot ! Je ne veux plus rien entendre, gronda-t-elle.

— Tu dois m’écouter jusqu’au bout, insista la pythie, implacable. Tu dois réparer mes erreurs. Mon fils n’est pas mort ce jour-là. L’une des femmes du village m’a prise sur le fait et il a survécu. Mais il ne le doit pas, Calixso. Il doit mourir.

La colère emporta Calixso.

— Vous êtes folle ! cria-t-elle en se redressant d’un bond. Quelle mère tuerait son nouveau-né ? Vous n’êtes qu’un monstre !

— Tu as juré de protéger mon héritage. C’est ce que je te lègue, Calixso. C’est ta mission.

Une plainte déchirante couvrit ses protestations. Le visage de la pythie se crispa dans un masque de souffrance. Elle poussa un long gémissement. Ses yeux se révulsèrent et son corps se mit à trembler violemment.

Calixso, horrifiée, appela à l’aide.

Les Messagères entrèrent en trombe dans un nuage de soieries vertes.

— C’est un rêve de fumée ! s’écria Veena.

Elles basculèrent la pythie sur le flanc. Du sang gouttait par tous les orifices, mais Mère luttait encore. Après de longues minutes, les secousses cessèrent. Elle ouvrit les paupières, mais ses yeux injectés de sang ne voyaient plus.

— L’Alér…L’Alérion sait. Il t’aidera.

Ce furent ses derniers mots. Ses lèvres s’immobilisèrent, son souffle se rompit et ses yeux d’or s’éteignirent pour toujours.

Un silence de plomb pesa au-dessus de leurs têtes.

La pythie de Teresine était morte.

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