Tendresses oubliées
Depuis que j’étais alité à cause de la maladie que m’avaient infligée les ardeurs de l’été suffocant, je ne pensais qu’au souvenir voluptueux de mes dernières vacances, lesquelles paraissaient bien lointaines maintenant que j’étais souffrant. Malgré les quelques déceptions que j’avais eues là-bas, elles semblaient n’avoir été qu’un long et doux rêve.
Comme j’avais la fâcheuse tendance à exagérer chaque fois que des symptômes anormaux, mêmes minimes, se déclaraient en moi, papa et maman n’avaient pas cru bon s’inquiéter outre mesure. Cette dernière m’avait dit, alors que j’étais serré, sur le siège du milieu de la banquette arrière, entre deux bagages : ‘arrête ton cinéma Valentin voyons ! Tu n’es pas malade… on ne tombe pas malade au milieu du mois d’aout !’ J’avais naïvement demandé pourquoi ; elle m’avait répondu : ‘c’est comme ça. Maintenant, boucle ta ceinture ; papa a fini de ranger les valises, on va partir !’ Et puis j’avais entendu le coffre de la voiture claquer violemment derrière moi, comme un coup de fusil qui retentit et résonne dans une vallée de montagne, car le berger vigilant vient d'abattre un loup qui trainait trop près du troupeau… et moi j’étais ce loup solitaire qui ne demandait rien qu’un peu de tendresse.
Il est vrai que je n’avais point ressenti de gêne particulière durant le séjour : ainsi je m’étais fait à l’idée que c’était seulement le voyage en lui-même qui m’avait indisposé, une opposition viscérale à m’en aller de la maison dans laquelle j’avais mes jouets, mes histoires, mon imaginaire ; car dans mon esprit c’était comme si j’abandonnais tous les éléments de mes joies pour une durée trop indéterminée, et que peut-être je n’allais jamais revenir, et donc ne jamais être heureux à nouveau.
Nous avions profité de la mer du côté de Varan ; nous étions allés visiter – à ma demande – la somptueuse abbaye de Sablonceaux, laquelle m’avait mis dans un état d’émerveillement ineffable ; nous avions dégusté des glaces au bord de la grève, où un instant j’avais vu une illumination dans les yeux de papa, comme s’il allait enfin me dire ‘je t’aime’, mais il s’amusait en réalité à regarder les mouettes jouer dans le vent.
J’étais bel et bien malade désormais. Ce n’était pas de la comédie. Peut-être que ces vacances n’avaient été finalement qu’une projection de ma psyché après tout ? À présent j’avais simplement très froid dans mon lit, dans le noir, sans personne à mes côtés. Je n’avais pas connaissance de mon mal ; le médecin n’avait pas voulu dire ; je savais seulement que c’était très contagieux et que je devais rester enfermé dans ma chambre. J’aurais autant préféré être un loup.
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