Les dernières notes du bonheur (partie 3)

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— Débarrassez-vous des communicateurs et des récepteurs accrochés à la ceinture et au col de l’armure, ordonna l’homme en épongeant son crâne chauve. Dès que l’alerte sera donnée, ils n’auront qu’à tracer le signal de notre armure pour nous retrouver, ou bien désactiver le système de ventilation pour nous ralentir.

Scarlett obéit avec application, arrachant les câbles et les boutons de géolocalisation accrochés à l’armure de divgarode. Une fois son travail accompli, ils se remirent tous deux en route, marchant dans le caniveau, de l’eau souillée jusqu’aux genoux. La température de l'air était chaude, comme si elle était réchauffée par une quelconque puanteur ou décomposition. Cela n'était pas fait pour rassurer Scarlett, qui sentait à chaque pas son cœur se soulever. Mais une certaine notion de peur commençait à s'insinuer dans la jeune femme, et elle n'était pas décidée à abandonner. Et pour quoi faire ? Ses actes lui vaudraient au mieux une jolie place dans un bloc de pénitencier haute-sécurité gardé par des soldats de l'Ekla, et au pire, des tortures et la prison. Elle espérait de tout cœur que la peine de mort avait besoin d'un acte bien plus incroyable pour être enclenchée.

Ils progressaient lentement, soulevant les genoux de la mélasse brune mêlée de déchets pour ne pas chuter ou rester piégé, quand soudain un bruit métallique retentit derrière eux. D'un même mouvement, Scarlett et le rebelle tournèrent la tête vers l'origine du vacarme, et leurs mines se décomposèrent d'horreur en apercevant quatre soldats en armure de divgarode semblables à celle qu'ils portaient eux-mêmes. Trois d'entre eux avaient lamentablement chuté dans le caniveau souillé, et tentaient de se relever, leurs lourdes armures salies de boue les gênant dans leur manœuvre. Celui qui s'en était sorti convenablement braqua le fusil de son pistolet paralysant dans leur direction, mais aucune menace ne sortit de sa bouche. Il fit feu en direction de Scarlett, qui fut obligée de plonger sur le côté pour esquiver la puissante charge violette qui fonçait dans sa direction. Ses jambes, couchées à l'horizontale dans la tourbe, lui lancèrent un douloureux signal signifiant que sa posture avait rouvert d'anciennes plaies ou ravivé des bleus de chutes antérieures.

Le rebelle et sauveur de la jeune femme aux cheveux noirs tira en direction des policiers qui s'étaient relevés, et cela à trois reprises. Il fit mouche deux fois. Sa dernière charge violacée s'écrasa contre un mur en un grésillement. D'autres boules-lasers paralysantes fusèrent dans les deux sens, et un autre homme de l'Ekla fut touché, et retomba inconscient dans le caniveau. Le dernier, conscient qu'il était désormais à un contre deux, se cacha derrière l'une des arches qui retenait le poids de la terre au-dessus du tunnel d'égout, et tira vers Scarlett. Ses jambes coincées dans la boue malodorante, elle était dans l'incapacité de bouger, mais au lieu de recevoir la charge qui lui était destinée, le rebelle au crâne chauve bondit devant elle, et fut touché en pleine poitrine. Il retomba mollement sur le goudron, sur la rive droite du tunnel.

Prise d'une rage soudaine, Scarlett saisit son propre blaster, dont elle ne s'était pas encore servie, et fit feu trois fois. Puis quatre. Puis cinq. Ses charges violettes s'écrasèrent une à une contre la colonne. La sixième fut la bonne, touchant le malheureux soldat au visage. Il poussa un bref cri avant de s'écrouler sur le corps de l'un de ses collègues.

Fière de son coup, la jeune femme jubilait en silence, quand son regard se posa sur son sauveur, étendu à ses côtés, immobile. Dans un effort surhumain, Scarlett dégagea ses pieds de la mélasse et s'accroupit au chevet du rebelle. Elle écarta les pans de son armure de divgarode, et découvrit son habit d'ouvrier éventré par la force de la charge. Elle glissa deux doigts gantés à son poignet, espérant y trouver un pouls, et soupira de soulagement en sentant un légère pulsation sous son index et son majeur. Cependant, elle doutait de pouvoir le porter avec une telle armure, et même sans, cela n'allait pas être facile. De plus, l'homme avait besoin de l'uniforme de soldat de l'Ekla pour survivre à l'importante chaleur qui régnait, à l'extérieur. En outre, la puanteur prenait la jeune femme à la gorge, et elle doutait de la quantité d'oxygène pur dans ce conduit d'égout.

Alors qu'elle s'apprêtait à le hisser sous son bras, les yeux du rebelle s'ouvrirent lentement, et il releva la tête, après avoir poussé une quinte de toux rauque et alarmante.

— Vous êtes en vie ! s'écria Scarlett, qui en avait presque les larmes aux yeux.

— Vous plaisantez ? sourit-il. Je suis invin...

Il fut coupé par une nouvelle quinte de toux, et de fines gouttelettes de sang furent projetées sur le gant avec lequel il se protégeait la bouche.

— Vous êtes blessé, souffla la jeune femme. Il faut absolument qu'on trouve un médecin qui veuille de nous, sans quoi vos poumons vont s'infecter, et vous allez...

— Mourir ? compléta-t-il. Jamais de la vie. Allons-y, ils vont revenir. On leur a déclaré la guerre, là, et je suis sûr qu'ils auront envie de se venger.

Difficilement, il se hissa sur ses jambes tremblantes, et, soutenu par Scarlett, il marcha en direction de la partie la plus sombre du tunnel.

Après plusieurs dizaines de minutes à marcher avec douleur, ils arrivèrent devant une échelle qui menait à une autre bouche d'égouts, plus grande, sans doute celle qui sortait à l'extérieur de Hellflaw. La jeune résistante à la brune aida le rebelle à se hisser en haut, et, après qu'il lui ait confirmé qu'aucun garde n'était en vue, elle le rejoignit.

L'étendue désertique devant eux était composée de terre, et de colline de déchets de fer, de plastique, des morceaux de béton armé, des tiges de métal rouillées, des carcasses de véhicules inutilisables, des pneus crevés et poussiéreux, des meubles désossés, des ruines d'anciens bâtiments. C'était pire qu'une scène de film apocalyptique, c'en était une. Des sentiers de terre sablonneuse parcouraient ces montagnes de détritus, passant parfois sous des arches de métal rouillé, et même sous la terre, car le chemin devenait impraticable. Scarlett, qui n'avait jamais vraiment quitté Hellflaw depuis une dizaine d'années, restait bouche-bée face à cet horrifiant spectacle. Un grognement du rebelle la fit retourner dans la réalité :

— Il faut se remettre en route, dit-il, les yeux plissés en direction d'une piste qui commençait quelques mètres plus bas.

Incapable de prononcer un mot, la jeune femme hocha la tête, et passa son bras sous celui de l'homme qui l'avait de multiples fois sauvées des tirs de l'Ekla. Désormais, c'était lui qui était un fâcheuse position, et elle avait le devoir de l'aider à fuir avec elle. Ils descendirent doucement la pente jonchée de morceaux de métal et de bois pourri, puis rejoignirent le sentier de terre, et commencèrent à marcher plus vite, aidés par le chemin dégagé. Plus ils avançaient, plus Scarlett avait l'impression qu'il faisait une chaleur épouvantable, et plus le poids du rebelle lui semblait lourd. Ils avaient déjà parcouru plus de cinq cents mètres, quand le bruit d'une grille métallique qui se soulève se fit entendre. Les deux compagnons de voyage tournèrent simultanément la tête vers l'origine du bruit, et aperçurent au loin trois machines intelligentes de l'Ekla quitter Hellflaw, accompagnées de tout un escadron d'hommes armés en armure.

— Comment nous ont-ils retrouvés ? s'étrangla Scarlett, affolée, en se retournant vers celui qu'elle aidait à marcher.

— Il doit y avoir une puce de géolocalisation implantée dans l'armure, souffla le rebelle, la voix rauque, son crâne dégoulinant de sueur et tâché de poussière.

Il hoqueta, et un filet de sang s'échappa de sa bouche, pour retomber dans la poussière.

— Il faut décamper avant qu'ils ne nous trouvent ! s'exclama la jeune femme, sourcils écarquillés.

Elle tenta de soulever l'homme, qui s'était assis dans la terre, adossé à un morceau de métal difforme.

— Allez ! cria-t-elle, grondant sous l'effort. Relevez-vous !

— Vous êtes une bonne personne, soupira-t-il. Je ne sais même pas votre nom.

— Scarlett ! s'écria-t-elle. Scarlett Vaonoy ! Maintenant, et par pitié, levez-vous !

Pour toute réponse, un nouveau filet de sang apparut à la commissure des lèvres du rebelle.

— C'est trop tard, fit-il, en écartant péniblement les pans qui formaient son armure, à l'endroit où elle avait été touchée, là où elle était noircie par la charge.

Une fois les morceaux retirés, Scarlett put voir la blessure, une sorte de cercle sanglant qui semblait s'enfoncer dans la chair de l'homme. Elle sentit ses yeux se remplir de larmes.

— Vous ne pouvez pas mourir ! gronda fermement la jeune femme aux cheveux tressés, comme si elle voulait se convaincre elle-même.

— Scarlett Va... Vaonoy.

Le ton du rebelle au crâne chauve était dur, malgré la situation douloureuse et alarmante qu'ils vivaient tous deux.

— Suivez ce sentier, puis, arrivée à son bout, servez-vous de ce GPS pour... pour trouver la Brèche.

— La quoi ? s'affola-t-elle.

— Là, poursuivit-il, sans se soucier de la question de Scarlett, vous demanderez à entrer, et vous direz que c'est Tom Nolan qui vous... envoie. Retenez... bien.

Il hoqueta, et ses yeux se révulsèrent.

— Tom... Nolan, répéta Scarlett, tentant de garder son calme.

Elle prit le petit appareil que lui tendait le rebelle. On aurait dit un petit boîtier d'à peine six centimètre de long et deux de large, qui se glissait facilement partout. Sur son écran, on pouvait voir un point bleu, la position du GPS, et un point rouge, la destination. Consciente qu'elle était désormais chargée d'une lourde mission, elle se sentait de plus en plus fébrile, et son armure pesait lourd sur son dos.

— Vous leur direz tout, en détail, souffla Tom, ses yeux se fermant petit à petit. Et débarrassez-vous de l'armure dès que la nuit serra tombée.

— Oui, ne vous inquiétez pas, fit la jeune femme avec un faible sourire, posant une main tremblante sur son épaule.

Les bruits des machines se firent plus sonores, plus proches, signe que le détachement de l'Ekla chargé d'arrêter les fuyards était presque là.

— Courrez et ne vous retournez pas, Scarlett Vaonoy, chuchota le rebelle, les yeux figés dans le vide. Vous avez encore la possibilité de tout changer...

Sans plus attendre, la jeune femme à la peau brune et aux cheveux noirs quitta le chevet de Tom Nolan, et courut le plus discrètement possible sur le sentier. Elle ne pensait plus à l'homme qui l'avait aidée à s'enfuir de Hellflaw, elle songeait à son avenir, et surtout, aux surprises qu'il lui réservait...

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