L'ange et le funambule

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De son allure maladroite, le funambule amateur avançait sur la corde. Elle était tendue au-dessus du vide et prolongeait un pont de bois qui se terminait sur un océan d’obscurité. Il ne savait pas pourquoi, il s’était engagé sur cette voie périlleuse, sur ce chemin où il n’apercevait pas le moindre espoir. En regardant au loin, il ne pouvait pas voir la fin de la corde, où elle était accrochée. Il ne pouvait pas reculer, ni se retourner, même un instant, même pour revoir par nostalgie son point de départ, le monticule où il sommeillait encore il y a quelques heures. La douleur de ce qu’il avait abandonné l’écrasait trop. Il entendait seulement le vent qui faisait rage, comme un cri qui lui demandait de revenir. Il ne pouvait pas. Il tremblait sur sa corde à chaque pas qu’il déposait sur le fin cordage torsadé. Maintenir son équilibre lui donnait la nausée, chaque mouvement augmentait la pénibilité de son périple. Bientôt, des anges miséricordieux tournaient autour de lui, s’interrogeant sur cet étrange inconnu qui se prenait pour un oiseau. Il remarqua l’un d’eux qui l’observait et lui transmettait sa compassion, lui donnait du courage à travers son regard doux et amical. Toutefois, cet être admirable se trouvait lui-même en danger. Il le voyait s’enfoncer dans les strates du ciel, tentant d’atteindre un soleil, jusqu’à être ébloui et se retourner pour continuer d’avancer dans la lumière. Il voyait ses ailes se brûler à chaque approche. Cela obligeait ce pur esprit à descendre à bout de souffle, en souffrance. D’autres anges venaient l’aider à soigner les plaies qu’il subissait à intervalle régulier. Pour l’aider, Ils déposaient sur lui un baume céleste permettant de cicatriser rapidement les plaies. Malheureusement, dès que le triste chérubin était rétabli, il remontait se confronter à sa vivace obsession. Le funambule aurait voulu l’aider, mais il ne pouvait pas, trop occupé à transpirer sous la pression grandissante, trop concentré dans sa vaine tentative d’atteindre l’autre versant invisible sans tomber. À l’aide de sa perche, il parvint pourtant à héler la créature, qui se tourna et s’adresse immédiatement à lui par curiosité :

- Tu es bien drôle avec ta perche, pourquoi te tiens-tu sur cette corde ?

- Parce que je n’ai pas le choix, je dois découvrir ce qui se cache derrière l’obscurité de ce chemin.

- N’aurais-tu pas été mieux à rester sur ta montagne ?

- Je n’étais plus heureux, je ne me voyais pas rester sur cette montagne que le manque de soleil avait rendue froide et aride. Il n’y a plus de chaleur pour moi de là où je viens.

- Mais, tu ne sais pas ce qu’il y au-delà du rien que tu vois devant toi. C’est un peu idiot, se mit à rire l’ange.

- Même si je ne voulais pas partir, je ne pouvais plus rester. Et toi, pourquoi essayes-tu d’atteindre ce soleil ?

- Car il est chaud et agréable.

- Mais, cet astre semble ne pas vouloir que tu t'approches ?

- D’autres camardes réussissent à toucher les soleils.

- Ont-ils réussit avec ce soleil ?

- Non, ils me disent de voir ailleurs, qu’il y a d’autres soleils qui illuminent la Terre qui donnent autant de chaleur.

- Il y en a peut-être qui ne brûlent pas comme celui-là ?

- Peut-être, mais je ne peux pas abandonner celui-là, il est tellement agréable. J’aimais tellement la chaleur qu’il m’apportait quand j’étais prêt de lui.

- Donc tu n’as qu’à rester à distance, pour ne pas qu’il te brûle.

- Oui, mais parfois j’oublie qu’il me brûle si je m’approche trop près.

- L’énergie des soleils se consume, peut-être qu’un jour tu pourras t’approcher de lui.

- C’est mon rêve le plus cher.

- Finalement, nous sommes dans la même situation. Nous cherchons chacun de la chaleur, la bonne distance pour en profiter.

- Oui probablement, je dois m’en aller maintenant, bonne chance pour ta quête.

- Attends, ne veux-tu pas rester vers moi, en te regardant j’oublie qu’il y a un grand vide sous moi.

- Il y a plein d’anges autour de toi, tu n’as qu’à demander à l’un d’eux qui est moins occupé de t’aider.

- Oui, mais toi, tu comprends mon problème, c’est agréable d’avoir quelqu’un qui comprend ma situation, j’ai établi un lien avec toi, je ne veux pas le perdre.

- Mais c’est ce qui arrivera de toute façon, si tu continues ta route tu finiras par me perdre.

- Alors, je ne veux plus bouger.

- Non, tu dois avancer, c’est triste, mais tu trouveras d’autres anges sur ta route, j’en suis sûr.

- On m’a dit qu’il en existait des millions, mais tu es devenue unique, irremplaçable.

Dans les firmaments de la voie lactée, le soleil appelait son ange. Il semblait soudain moins fort, plus abordable.

- Je crois que je peux l’atteindre cette fois, sa couleur est moins vivace, je vais le retrouver.

Avant que le funambule n’ait pu dire quelque chose, il montait déjà rejoindre le zénith. Il réalisa à nouveau qu’il était instable, il entendait à nouveau le murmure venant de derrière son dos. Saisit par la peur, il avança à nouveau péniblement.

Il dépassa un couple ange-soleil qui lui faisait signe. Au passage, il leur demanda comment ils parvenaient à ne pas se blesser l’un l’autre, comme l’ange supportait la chaleur :

- C’est un soleil froid. Il me laisse l’approcher.

- Mais sa lumière ne semble pas si intense que celle de celui qui se trouve dans le ciel.

- Oui, mais ce n’est pas important, l’important c’est la chaleur qu’il dégage pour moi.

- Dites-moi avec quel type d’être peut s’assimiler un funambule ?

- Parfois un soleil, parfois un ange. Cela dépend du funambule, cela dépend de l’ange ou du soleil. Tu dégage une grande chaleur. Ton cœur est similaire à un soleil froid.

La tempête s’approcha soudain, elle faisait bouger la corde, il ne tiendrait pas longtemps. Il lâcha sa perche et se laissa tomber dans l’océan onyx. Il ne savait pas nager et se débattait. Tout près de lui se trouvait l’ange qui se tenait sur le dos couché à observer son soleil. Le funambule agrippa l’une de ses ailes pour ne pas couler. Il resterait là pour lui.

Malgré tous les efforts, le funambule sentit l’eau monter, centimètre par centimètre. Il finit par couler et sombra dans les profondeurs où il n’y avait que les ténèbres. Il avait trouvé ce qui se trouvait au-delà de la corde. Il n’y avait rien d'autre qu’un infini vide.

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