Chapitre 1 - L’EVEIL - partie II - Exploration

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Je garde l’œil sur le hublot quelques secondes encore. L’œil, lui, ne cligne pas. Quand je passe devant la cellule, il bouge enfin, un geste lent, presque humain. Un craquement sec derrière la vitre, puis plus rien. Je retiens ma respiration, le temps que le silence reprenne possession du couloir.

Les murs suintent d’humidité. L’éclairage clignote par intervalles. Chaque néon s’éteint, puis revient, comme un souffle qui hésite à continuer. Je compte mentalement les secondes entre chaque extinction régulières. Un cycle. Rien n’est laissé au hasard ici. Le pire, c’est que je sens dans ma nuque qu’on me regarde encore.

Je croise la première cellule vide. Une table, un matelas scellé, des menottes de maintien. Sur la deuxième, quelque chose rampe le long du mur. Ça s’éloigne, ça se colle au plafond. Je braque la lampe. La lumière découpe une silhouette maigre, nue, dos voûté, mains collées à la paroi comme une araignée sans peau. Le visage se tourne d’un coup, humain, mais pas entier, la bouche cousue, les yeux cerclés de croûtes. Elle me fixe, renversée, tête en bas, comme si la gravité n’avait plus d’autorité sur elle.

Je recule lentement. Pas de clé visible sur la porte, pas de poignée intérieure. Je prie pour que ça tienne. La créature descend le long du mur en silence, s’accroupit, puis se replie dans un coin. Je la perds de vue quand la lampe vacille. Je passe.

Sur le mur du fond, une inscription :

NE PAS INTERROMPRE LES RÊVES.

Je traverse un sas en verre. L’autre côté sent la poussière, la rouille et le désinfectant, mélange d’asile et de musée. Des dossiers jonchent le sol. Je m’accroupis, en ouvre un au hasard. Des photos d’enfants. Squelettes, radios, tissus, annotations à la main. Je referme aussitôt.

Un bruit métallique retentit dans le couloir derrière. Je pivote, arme levée. La cellule d’où venait l’œil est ouverte. Le hublot pend, arraché de l’intérieur.

Je garde la lampe dans la main gauche, la Beretta dans la droite. Je m’avance lentement, chaque pas pesé sur la dalle humide. Une trace sombre serpente jusqu’au mur d’en face. Pas de sang frais, juste visqueux, noir, brillant. Un fluide qui se rétracte à la lumière. Je le regarde s’épaissir comme s’il respirait.

Puis un gémissement. Court, aigu, derrière moi. Je me retourne. Rien.

Je n’aime pas ce mot, mais la peur devient vivante. Elle me suit, colle à mes épaules. Je reprends mon souffle, avance dans une autre salle.

Là, c’est différent. Des fauteuils d’examen, des casques neuronaux suspendus au plafond par des câbles torsadés. Les sièges sont vides, mais la température est plus chaude. Quelqu’un ou quelque chose est passé ici récemment.

Une lampe encore allumée éclaire un bureau. Dessus, un vieux magnétophone numérique, toujours actif. Je presse « lecture ».

- … les sujets ne supportent plus la charge. Le réseau interne se rebelle.
Il parle dans leurs têtes. Certains ont entendu la mer. D’autres une voix.
Il réclame le retour d’Adam.

Je coupe. Le souffle du micro continue une seconde après. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que ce n’est pas une erreur d’enregistrement. Quelqu’un écoutait encore.

Je ressens un picotement derrière les tempes. Une pression, diffuse, comme un mal de tête qui vient d’un autre crâne. Je pose la main sur la table pour me stabiliser. La lampe au-dessus grésille. Et d’un coup, les casques suspendus s’agitent doucement, sans vent, sans mouvement d’air.

Je vise, par réflexe. Les câbles oscillent comme des tentacules nerveux. J’avance un pas, puis deux.
Quand j’arrive sous l’un d’eux, il s’immobilise net. Je tends le couteau. Effleure. La fibre pulse au contact, une décharge légère. Le son que j’entends alors ne vient pas de mes oreilles. Une voix, dans ma tête :

- Nous sommes encore là.

Je recule si vite que la chaise derrière moi se renverse. La douleur m’arrache une grimace.
La voix s’est tue. Mais j’ai compris : ces câbles ne servaient pas à transmettre. Ils servaient à écouter.

Je me remets debout. Sur le mur du fond, un symbole tracé à la main : un cercle fendu en deux, un trait vertical au centre. Sous le dessin : SNEA – Phase II.

Les lettres me rappellent quelque chose. Une image. Des électrodes, un champ magnétique pulsé, et la sensation d’un corps qui se tord autour de son propre squelette. Un souvenir, ou un cauchemar.

Je m’essuie le front. Je me surprends à sourire. C’est nerveux.

- Bon. Si ça, c’est la phase deux, je n’ai pas envie de voir la trois.

Je range la lampe, garde le flingue bas, avance vers la porte suivante. Sur le sol, des traces de pas nues, multiples, imbriquées. Des grandes, des petites. Certaines bifurquent vers une trappe ouverte.
Je m’y penche. Un escalier descend dans le noir, l’air plus chaud, saturé d’humidité, j’ai la sensation d’être observé depuis en dessous.

Je descends.

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