Histoire 7 : Le job
Quand on vous dit qu’on vous engage, il faut vraiment savoir ce qu’on veut dire par là. J’ai beau avoir quarante années, je songe encore à cela. Je sais déjà que cela n’aurait pas dû m’arriver. Et pourtant.
Je me nomme Ryan. A l’époque, une époque lointaine, j’étais fauché. Je n’avais rien comme argent, j’étais un « français moyen » d’après mes amis et ils ne venaient même pas le week-end quand je les invitais. Mon ex-épouse m’a d’autant plus lâchée dans cette histoire et ne s’est pas permise de rester pour m’aider.
J’étais un brin alcoolique et quand je stressais un point trop, je me mettais à fumer pour dégager la pression, bien qu’elle se stocke dans mes poumons abimés. Je…Nous vivions pourtant dans une belle bâtisse, un beau pavillon à briques rouges et au toit dallé. Héritage familial.
Ma femme avait aimé y vivre mais elle m’y a quitté en gardant bien sûr ce que j’avais gagné. Je n’avais donc plus rien, d’autant plus qu’on m’avait bloqué les comptes depuis que mes paiements ne s’effectuaient plus (situation embarrassante). Armé donc de mon ordinateur, j’ai surfé sur le net pendant vingt mois, tentant en vain de trouver un emploi.
Technicien de surface ? Jamais, pas assez de qualités. Mécanicien ? Vous avez détruit ma Cadillac !
J’ai fini par abandonner, sentant ma chance totalement me perdre. Quand soudainement, l’occasion s’est présentée : concierge au McDonald’s. J’ai contacté le patron, un gommeux sans patience, qui m’a aussitôt engagé pour mes défauts. J’avais un rendez-vous le lendemain – ce qui m’inquiétais davantage plus que tout puisque je n’avais aucun costard pour me vêtir.
Je me suis donc vêtu d’une veste en jean, d’un tee-shirt un peu sale, d’un jean et de Nike et j’ai filé au fast-food juste à côté. Sur place, un bel homme m’a accueilli et m’a présenté les lieux. Je devais assurer l’entretien de chacune des pièces du restaurant qui m’a paru miteux, et ce chaque soir.
L’obscurité de la nuit me faisait davantage plus peur que de faire de nuit le sale boulot, étant donné que j’avais la peur du noir. Alors le gommeux m’a présenté le rez-de-chaussée où les boîtes s’entassaient. Il m’a expliqué comment allumer la lumière et m’a ordonné de ne pas aller ample plus dans la cave, sous peu de me faire tuer par les nombreuses chauves-souris qui y régnaient – je n’y croyais pas un mot. Il m’a donc fait m’asseoir à mon poste et m’a fait patienter, le temps que la journée se termine.
Etonnamment, même si j’eus assez d’argent dans mon portefeuille pour me payer deux Big Mac gigantesques, les 10 heures voulues d’attente furent moins longues que je le crus être. Le patron m’a rappelé les ordres, interdictions et m’a dit que je pouvais à tout moment me préparer quelque chose aux cuisines sans y mettre le boxon. Il m’a quitté et j’ai débuté le travail. J’ai actionné le courant, malgré le jour encore levé. Je suis allé cherché au cagibi du rez-de-chaussée mes gants de latex, ma tenue et mes outils puis j’ai récuré chaque recoin, nettoyé les plaques de friture et de cuisson de la cuisine, passé un coup sur le sol et j’en ai profité pour nettoyé les cinq frigos des cuisines qui empestaient le rat mort.
Le carrelage étant luisant et la cuisine proprette, je suis passé au restaurant lui-même. Les obèses qui l’arpentaient chaque jour y avaient laissé traîner des paquets de frites, des cannettes et des bouts de Big Mac moisis. La poubelle elle-aussi était pleine à craquer. J’ai donc fait cinq allers-retours pour simplement une seule poubelle et j’ai ramassé tous les déchets du sol avant de le faire luire comme chaque table. Une fois le travail fini, et ayant encore de l’adrénaline, j’ai nettoyé chaque vitre du restaurant. Une envie pressante m’a alors pris et j’ai filé dans les W.C publics. Enfermé dans ma cabine, j’ai fait quelques besoins quand alors j’ai entendu un bruit étrange provenant des cuisines. Un bruit métallique, comme si on venait de faire tomber une des plaques de friture.
Je me suis précipité aux cuisines mais comble du sort, il n’y avait rien parterre. Simplement de l’huile de friture grasse. J’ai mis ç’a sous le coup de la fatigue qui pouvait me donner des hallucinations et j’ai nettoyé la flaque. Mais alors que je partais, j’ai ensuite entendu un bruit encore plus suspect venant du restaurant : une porte qui grinçait sur ses gonds. J’ai sursauté et la peur m’a précipité vers les portes du restaurant : chacune était fermée. Je commençais à sérieusement croire que j’hallucinais.
Je suis finalement parti aux cuisines me préparer un repas du soir étant donné qu’il était minuit passé. Mais un autre bruit, plus glaçant, plus terrifiant, a retenti de la cave cette fois-ci : un bruit de grincement métallique sur les murs. Puis des voix, étouffées par le bruit. J’ai commencé à avoir une peur bleue. J’ai lentement longé les meubles de cuisine et j’ai marché jusqu’à la porte de la cave. Une petite porte défoncée, dont la serrure pendouillait à présent comme si elle avait été forcée. Elle était entrebâillée, comme si quelqu’un venait d’entrer dans la cave. Je me suis souvenu des ordres du patron mais j’ai voulu vérifier par curiosité et tout le monde sait que la curiosité est plus forte que l’homme lui-même. J’ai donc longé le mur, sentant le plâtre peser sur mes omoplates. J’ai lentement descendu l’escalier de bois. Je sentais une sensation particulière, celle de l’angoisse. La nuit noire régnait à nouveau sur la cave mais par chance, il y avait une lampe torche que le patron avait laissé sur une machine de la pièce. Arrivé au bas des escaliers, j’ai actionné l’engin. La lumière s’est diffusée dans toute la pièce, offrant une convivialité étonnante à la cave. J’ai balayé avec la lumière toute la pièce : les étagères vides, le fond de la cave, les rangées. Personne. Je commençais à douter, à croire que c’était simplement un coup du vent quand j’ai encore entendu ces voix. Elles étaient peu nombreuses mais plus audibles. J’ai pointé ma lampe vers le fond de la pièce encore et j’ai examiné encore les rangées. Je me rapprochais des voix. Elles ont commencé à parler encore plus fort, à propos du restaurant. Quand je fus à mi-chemin, j’aperçus enfin quelqu’un et cela me glaça le sang : une personne, habillée d’une cape déchirée aux signes étranges, cagoulée du visage. Elle se retourna, le masque à son visage plus étrange et angoissant que jamais. Mais que se passait-il ? Je n’ai pas réfléchi. J’ai lâché ma lampe et me suis enfui. J’entendais derrière moi des bruits de pas feutrés, comme s’ils me poursuivaient. J’ai lourdement refermé la porte derrière eux et me suis enfui pour de bon.
Je ne sais pas ce qu’il s’est réellement passé ce soir-là. En tout cas, personne n’a cru à mes dires. Le gommeux m’avait pourtant ordonné de ne pas aller dans la cave et je crois qu’il a voulu me faire une blague pour que je ne découvre rien de mal là-dedans. La police a examiné toute la cave : il y avait des traces d’ADN, mais étrangement, d’ADN inconnue. C’était comme si j’avais halluciné ce soir-là. Depuis, je ne travaille plus mais je sais une chose : je ne travaillerais plus jamais de nuit.
Annotations
Versions