La colline (1.4.4)
Tome 1 > chapitre 4 > partie 4
Dans leur course, ils croisèrent des gens hagards errant dans les rues, des cavaliers de la garde ne sachant pas réellement quoi faire. Ils doublèrent une colonne de paladins et prêtres de l’Unique qui marchaient au pas. Des centaines de personnes convergeaient lentement vers le parc. Lorsqu'ils y pénétrèrent enfin, ils ressentirent la chaleur anormale et le parfum âcre qui remplaçaient la fraîcheur et l'arôme habituels de la nature. Arrivant au bas de la petite colline où brillait la forte lumière, ils purent difficilement continuer à avancer et en distinguer d’avantage : des milliers de curieux s’y étaient rassemblés.
— C’est quoi ? demanda Linsie en désignant le sommet.
Istinie monta sur les épaules d’Anaelis. Malgré la situation, en total décalage, il apprécia le contact du ventre d'une jolie femme contre sa tête et la chaleur de ses cuisses autour du cou.
— Semblable à de grandes toiles lumineuses battant au vent, dit-elle.
Ils entreprirent de se frayer un chemin, il fallut jouer des coudes, forcer le passage, Poène s'en fit un malin plaisir. A mesure qu’ils se faufillaient, le silence devint pesant, à peine troublé par des gens immobiles aux marmonnements incompréhensibles. Une odeur malsaine emplissait l’atmosphère, les arbres et branches couchés sur lesquels ils marchaient fumaient encore et craquaient comme du charbon. Les toiles évoquées par Istinie se précisaient, dépassant des têtes à un rythme régulier. Leur taille démesurée, leur lent battement, leur bout en pointe faisaient penser à des ailes que seuls les animaux antiques auraient pu avoir. Ils franchirent enfin le premier rang de la foule et s’arrêtèrent, sidérés, interdits.
Le Flamin du culte de l’Unique, l'homme le plus important de sa religion, quasi allongé dans une position implorante, tendait les mains vers un chevalier en armure d’or blanc se tenant devant lui. Chevalier qui lévitait à une cinquantaine de centimètres du sol, deux grandes ailes lumineuses se déployant derrière lui.
Non, c'est impossible, ça n'existe pas... pensa Anaelis.
— Par les dieux, murmura Linsie. C'est le signe de la foi de l’Unique : la colline, l’homme ailé, l’étoile dans le ciel. Ils avaient raison. Ils avaient raison... Les anges de l’Unique sont descendus sur le Continent.
Elle tourna la tête vers Anaelis pour y lire une expression de haine pure.
Un bruit martial vint troubler le silence respectueux. La colonne de paladins de l’Unique suivie des prêtres déboucha de la foule pour se déployer tout autour de l’ange et du Flamin. Puis, sans un mot, ils mirent genou à terre, tête baissée. Après un moment d'égarement, les gens les imitèrent un par un, à moitié dans le recueillement, à moitié dans la soumission. Istinie commença à s’agenouiller. Anaelis lui saisit fermement le bras.
— Debout, dit-il sèchement à ses compagnons hésitants.
Entendant l'offense, l'un des paladins se releva effectivement.
— Vous ! Prosternez-vous devant le Saint Envoyé de l'Unique !
Anaelis soutint son regard. Linsie lui jeta un regard anxieux.
Oh là là, il ne va tout de même pas... espéra-t-elle vainement.
— Jamais, répondit Anaelis.
Le paladin avança aussitôt, armure impénétrable écrasant le bois brûlé de ses pas lourds, saisissant la poignée de sa masse. Anaelis dégainait son épée.
— Paix ! dit Linsie en s'interposant. Ne faisons pas couler le sang en ce soir sacré et la révélation du Saint Envoyé.
Le paladin hésita. Anaelis assura très lentement sa position, déplaçant son pied droit en arrière, se penchant légèrement en avant, tandis qu'un sourire carnassier grandissait sur son visage.
— Anaelis, ne fais pas ça, ils sont trop nombreux, si ce n'est la foule qui nous lynchera, lui murmura Théorode.
Silence, odeur de mort, temps suspendu entre le croyant et le profane, peuple asservi, croyances renversées.
— La jeune femme a raison, dit un prêtre. Laissons leur le temps d'accueillir la vérité. Ils se convertiront bien assez tôt.
Ainsi restèrent-ils tous les huit droits face à l’ange, ses ailes battant toujours lentement l’air, entre ces paladins en armure et cette foule vaincue, sous une pluie de cristal et de cendres.
— Merci mes amis, pour cette destinée. Un Chevalier Sange ne ploie pas le genou. Alors, nous deviendrons Chevaliers Sanges.
Pour que je trouve et expose la vérité.
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