Seul ?

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Franck était déjà au bureau. Il  avait allumé bon nombre de néons à son passage.

Ce type était ce qui se rapprochait le plus d’un ami peut être.

Quarante et un ans, un  mètre soixante-douze, soixante-dix  kilos je pense.

 Les cheveux bien peignés, les chaussures pointues, le jean serré et la chemise coloré ton pastel.

Il avait toute la panoplie du parfait petit ingé. Sauf qu’il ne pouvait pas s’empêcher d’entrouvrir sa chemise pour laisser apparaitre la petite chaine qu’il portait autour du cou. Une petite figure de vierge en pleur trônait ainsi dans la forêt de sa pilosité.  

Ça lui donnait l’air du relou de service, le vieux beau qui drague tout ce qu’il voit. Vous connaissez surement ce genre de type.

Moi je trouvais ça ironique. Ce type courrait tellement après la luxure qu’il en faisait pleurer la sainte vierge.

A moins qu’elle ne se marrait finalement.

Qu’elle pleurait de rire en se foutant de lui.

Je sais pas mal de chose de lui. Lui rien de moi car son plaisir c’est de ne parler que de  lui, de ses expériences.

Ça me va car je n’ai rien à dire sur moi-même, rien sur ma vie personnelle.

Certains le prennent pour un gros con arrogant. C’est surement vrai. Mais je lis en lui ce que d’autres ne voient pas, un manque d’assurance énorme qu’il traine comme un vieux doudou moisi depuis l’enfance. Ce mec est un crac, il sait tout faire, il a tout vu, il s’est fait toutes les filles de la terre…mais il est là. Et ce, de 7h30 à 19h00 comme pour combler les vides de sa vie.

-Salut Sam !

-Salut Franck.

Sam, c’est mon prénom. Diminutif de Samuel. Je n’aime pas , mais c’est mon prénom.

- Ben alors tu ne m’as pas répondu hier ? Ça te dit pas ? Je suis sûr que ça fait super longtemps que t’y a pas mis les pieds !

Putain, j’avais oublié…il m’avait invité en boite de nuit avec des copains à lui le samedi suivant…un concentré de mes passions…danse, musique électro, filles enguirlandées et bande de types éméchés en mode prédateur sexuel. De quoi bien meubler le  Panthéon des vacuités.

- ah oui, désolé. J’ai oublié de te répondre. Je ne suis pas sûr de pouvoir.

- allez, arrête une peu putain, profite de la vie, on va se marrer. Ça te fera du bien je te promets, pis, mes potes sont sympas. Et il va y avoir des tas de filles !

- ouais, ben je vais faire mon possible.

- fais-moi plaisir Sam, fais plaisir à ton pote Francky !

Je ne l’avais jamais appelé comme ça. Je n’emploie jamais les surnoms, raccourcis où autre sobriquets. Je les trouve souvent ridicules.Et puis surtout c’est personnel et j’ai l’impression de ne pas être autorisé par l’autre à l’utiliser. C’est con, ça ne dérange personne. Mais je me sens si peu dans le lien à l’autre que je n’use jamais de ce genre de familiarité.

- bon c’est d’accord. Je viendrai. Promis.

- Victoire !! yehaa ! lança t-il.

Et à mon plus profond désespoir il s’adonna à une petite danse rituelle…sa danse de la victoire. Il se mit à rouler du bassin en faisant des mouvements circulaires avec ses deux points accolés. Il aurait eu un plumeau à disposition qu’il se le serait collé dans le derche pour parader….

Ca tourna court heureusement quand Stéphanie entra dans le bureau.

-Salut les gars.

-Salut répondis-je.

Franck émis un grognement qu’elle avait pris pour un salut.

Stéphanie avait une tête de stagiaire sortant tout droit de la fac. Elle paraissait jeune, elle avait un certain charme je crois. Elle portait un chemisier blanc aux manches retroussées, un jean ajusté  et une paire de talons mi haut qui élançaient sa silhouette. Autour de son cou, un collier aux motifs incas venait parfaire le tableau sur sa chemise savamment entrouverte…elle.

 Ses  cheveux étaient châtains, ses yeux sombres. Une à peine visible cicatrice à la pointe de son menton.

 J’aime bien ce détail chez elle.

Cette petite relique de l’enfance me laissant imaginer quelle gamine espiègle et casse-cou elle devait être. Elle avait toujours un regard mutin et aimait lancer des sourires charmeurs aux hommes qu’elle se plaisait à martyriser. Doux martyr cependant. Elle n’aurait pas souhaité nuire à qui que ce soit je pense.

Franck lui courait après depuis 1 an au moins. Sans succès. Ça ne devait pas être son type les beaufs à grande gueule. Elle l’avait renvoyé à son panier  à 2 ou 3 reprises.  Vexé à la dernière tentative, il avait décidé de bouder comme un gosse.

Je ne sais pas si je les appréciais vraiment ou si m’étais juste habitué à eux. Ils semblaient se soucier de moi eux.

Je ne demandais rien.

 J’avais vu Stéphanie démolir des gars. Elle avait un sens de l’à-propos et une répartie formidable quand il s’agissait de castrer un male en chasse. Elle avait toujours fait preuve d’une grande douceur avec moi.

Me sentait-elle fragile ?

Différent ?

 La théorie de Franck, toujours sexo-centrée, était qu’ « elle en voulait à [mon] corps ». Plus sérieusement, quand cela lui arrivait, il pensait qu’elle en pinçait pour moi.

Aurais-je pu avoir une attirance pour elle ?

En avais-je une ?

Qu’aurais-je eu à lui apporter ?

Absurde.

La journée passa, le nez dans les bases de données. Les chiffres défilant en même temps que les idées. Des millions d’octets de non-sens courant sur mon écran. L’impression que mes yeux saignaient.

A quoi ça sert ? Au rythme du défilement, dans les hiéroglyphiques symboles et chiffres, j’eu soudain l’impression de discerner la fille de ce matin. C’était comme si elle marchait vers moi. Sa démarche était redressée, elle n’avait plus son paquetage sur le dos.

C’est stupéfiant ce dont est capable le cerveau.

La paréidolie, c’est fascinant.

Adolescent, au moment du réveil je passais toujours quelques minutes à rechercher des figures dans les crépis prés de ma fenêtre. Cela évoluait en fonction de la position du soleil, accentuant les ombres, les creux et bosses. J’y voyais des monstres comiques, effrayants parfois, des personnages fantasmatiques. Aujourd’hui encore j’ai gardé cette habitude de fixer les choses pour y trouver des mondes cachés. Les nuages, l’écorce d’un arbre, le bitume. Il n’y a qu’à laisser travailler l’imagination.

Pourquoi elle ? Pourquoi était-ce elle que mon cerveau avait choisi de laisser apparaitre dans ces monceaux de données ?

 

Ce jour-là, je décidai de déjeuner seul, en marchant.

 

*

 

Il n’y avait que peu de monde dans les rues. Malgré le soleil qui était enfin arrivé, il faisait encore froid. On aurait dit que chaque rue était en travaux. Depuis que je suis arrivé ici, je ne crois pas avoir déjà vu une rue sans une barrière, un tractopelle ou une béance balisée. C’est le problème des villes anciennes et chargées d’histoire surement.

Plus personne ne bossait à cette heure. Les ouvriers mangeaient dans les camions, essayant de se réchauffer un peu. Les outils trainaient çà et là dans un trou au milieu de la chaussée.

J’aime marcher dans la rue. Les gens me croisent comme une brise légère, le souffle du vent. Sans un regard, sans un mot, je vais au gré de mes errances.  On n’existe pas les uns pour les autres.

Je n’avais même pas faim.

J’en avais marre de cette journée.

Marre de ces rues.

De cette ville.

Je prévenais les collègues que je bosserais de chez moi l’après-midi et me dirigeai vers la gare.

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