Prologue

8 minutes de lecture

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( Donner moi votre avis sur cette partie je le pense trops lourd de ressentie, et me demande si je ne dois pas la supprimer)

Irlande,soir de la Saint patrick 2002, vingt et un ans plus tôt !

Irène

Nous quittions la soirée de nos anciens amis de classe, Isbéal et Yvor O'Neill, prononciation gaélique et chantante d'Isabelle et Ivar. Leur passion mutuelle pour l'histoire de notre belle Irlande les avait réunis. Nous avions célébré leur dixième anniversaire de mariage. Ils en avaient profité pour réunir tout le monde à l'occasion de la Saint-Patrick. La tenue imposée était principalement composée de nœuds papillon, de kilts verts et de gilets en laine de mouton, fournis avec la carte d'invitation. Les invités ne furent pas nombreux à porter les perruques imposées, mais les hommes avaient tous respecté l'idée de laisser pousser leurs barbes, et certains depuis plus longtemps que d'autres.

Les O'Neill nous avaient donné rendez-vous dans leur pub temporaire, « The Murray'day ». Cette fois-ci, le pub était installé dans le comté de Galway, près de l'InishniLoop, connu pour ses randonnées merveilleuses, mais aussi comme un point central et facile d'accès pour leurs convives. Yvor trouvait toujours de grandes bâtisses avec des vues incontournables. Isbéal, quant à elle, excellait dans la décoration, remettant à neuf les cloisons de bois, peignant les murs et installant des jeux de fléchettes. Mon amie utilisait de vieilles portes de bois sculpté aux vitraux multicolores, givrés ou fumés, qu'elle glanait au gré de ses journées vide-greniers dans tout le pays. Ces zones intimes aux cloisons luxueuses étaient très convoitées par les amoureux. Yvor avait construit lui-même un bar nomade en plusieurs parties, qu'il pouvait moduler en fonction des lieux, ainsi que tout le mobilier pour s'asseoir et déguster les spécialités d'Isbéal. Ils restaient sur place deux ans, puis ils cherchaient un autre lieu à redécorer et à faire découvrir. Tout s'était passé sans encombre, parsemé d'intenses discussions entre hommes aux souvenirs décuplés par l'alcool. On avait aussi beaucoup entendu résonner les rires aigus des femmes, face aux photos de leurs quinze ans accrochées sur les murs, dévoilant des coiffures et des tenues dont elles avaient honte. Mais surtout, d'anecdotes concernant Isbéal et Yvor.

La soirée était très avancée et je me languissais de notre fille. Elle n'était encore qu'un petit bébé, né au premier jour de l'hiver. Marcus, mon mari, l'avait remarqué et profita de ce prétexte pour quitter une conversation qu'il tenait avec Ed O'Connor. Celle-ci tournait autour d'argent sale à écouler grâce aux petits commerces du coin. Ils ne tombaient pas d'accord sur cette idée. Ed venait de pousser Marcus un peu trop brutalement à notre goût. Il oubliait souvent qu'en plus d'être ses amis, nous étions ses patrons. Cette altercation mit fin à notre soirée. Nous retournions à notre Land Rover décapotable, que Marcus adorait et qui lui permettait de parcourir les landes irlandaises à sa convenance, quel que soit le temps.

Des éclairs se dessinaient au loin en pleine mer et à cette époque, ils rentraient très rapidement sur les terres. Le chemin le plus rapide pour revenir chez nous était une ancienne route de boue et de pavés. Elle longeait la côte et ses falaises vertigineuses. Route qui, en pleine journée, me charmait par ses petits ponts de pierres amalgamées à l'ancienne, facilitant le passage des troupeaux de moutons et de chèvres du coin. Mais ce soir-là, la tempête la rendait presque invisible, à l'exception des quelques secondes où des éclairs et la foudre marbraient le ciel de faisceaux lumineux, tels une branche d'érable dans le noir du ciel de cette Saint-Patrick. Alors que Marcus roulait tranquillement depuis dix minutes, je remarquai des phares dans le rétroviseur central. Ce véhicule me semblait se rapprocher, trop rapidement à mon goût. Le vacarme assourdissant de la foudre tombée non loin de nous se mêla au bruit de tôle froissée de notre véhicule, ainsi qu'au crissement des pneus, me terrifiait. Alors que Marcus actionnait les freins frénétiquement et à plusieurs reprises, il hurlait de m'accrocher, de ne pas m'inquiéter, mais sa voix brisée par l'angoisse ne me laissait aucun doute sur notre futur. Cette lumière aveuglante, renvoyée par les rétroviseurs, ne m'empêchait pas de voir cette minuscule route qui se dirigeait vers la gauche, alors que les lumières de notre voiture se dirigeaient vers le bord de la falaise. Notre acolyte malveillant avait calmé son ardeur et nous laissa là, au bord du précipice, sans aucune explication, se dirigeant vers l'est pour retrouver tranquillement la route.

Marcus et moi étions là, incapables de prononcer un seul son. Il enlaça mon visage de ses mains chaudes, le couvrant de baisers délicats de ses lèvres légèrement gercées par les embruns du coin. Son regard exprimait son inquiétude et son désir de savoir si j'allais bien. Je lui fis signe que oui d'un mouvement de tête pour le réconforter. Il prit une grande inspiration, posa sa main sur le volant, et, de l'autre, amorça un mouvement pour tourner la clé afin de lancer le moteur. Un bruit répétitif se fit entendre, Marcus donna quelques coups d'accélérateur, tourna plusieurs fois la clé, sans résultat. Il jeta un coup d'œil vers l'arrière de la voiture, puis sur sa gauche. Nerveux, il insista lourdement sur ce mécanisme qui n'offrait aucun signe de vie. L'orage s'était arrêté, la Lune se cachait derrière un épais voile noir. Marcus regardait frénétiquement tour à tour le tableau de bord, puis vers l'intérieur des terres.

Le véhicule était là et avait repris sa course dans notre direction !

— Démarre ! Bordel ! Démarre ! Allez, démarre ! hurla Marcus.

Mon homme à la carrure d'un rugbyman de 120 kilos de muscles paniquait de plus en plus. Il me hurla de sortir de la voiture, voyant de nouveau les phares se diriger vers nous. Mais à cet instant, le monstre de fer lancé à pleine vitesse arrivait déjà sur nous. Il nous fonça dessus, nous poussant vers le bord du précipice comme une orque tueuse, la gueule ouverte, et finit son travail en entraînant sa proie au fond des mers.

Le va-et-vient humide de cette nature froide et brillante, se mêlant à de minuscules grains de sable et à l’écume salée, me berçait. Cette immensité qui entoure notre terre me recouvrait par intermittence, ses mouvements de vague prenant le dessus sur la brûlure du sel qui pénètre doucement les plaies de mon corps. Marcus m’appelait mais j’étais incapable de bouger, mon corps brisé. Le crépitement du feu, qui avalait le cuir et le métal de notre Land Rover, prenait progressivement le dessus sur le sifflement de mes cris stridents, résonnant encore dans ma tête. Ils avaient été ma défense et l’expression de ma peur face à cette chute interminable. Je ne voyais pas Marcus mais le sentais m’agripper et me retourner. Il pleurait, le poids de son corps sur mon ventre me rassurait, le son de sa voix et l’image de ma petite Annia accompagnent mes dernières gouttes de vie.

Marcus,

— A-t-elle eu le temps de sauter ?

Cette pensée résonnait en boucle, prenant le dessus sur les sifflements dans ma tête qui me dérangeaient et me rendaient fou ; je la cherchais.

Péniblement, je me mis debout et fis le tour du véhicule qui nous avait poussés jusqu'ici. J'aperçus un bras, puis un corps sans expression entre la tôle froissée et les galets glacés par l'humidité. Ce cadavre appartenait à celui qui nous avait précipités volontairement dans notre chute.

Difficilement, je me mis à genoux et tâtonnai les vêtements de cet homme. J'avais mal partout, mais je voulais savoir qui il était. Je connaissais déjà la raison : dans mon métier, mes ennemis ne manquaient pas !

Je trouvai son permis, « Loïc Mac Douglas ». C'était un employé d'Ed O'Connor, mon ami et associé. Je comprenais maintenant que mon subconscient disait vrai : Ed cherchait à prendre le contrôle du groupe, mais il était déjà trop tard. J'aurais dû renoncer plus tôt, avant que mon enfant naisse.

Mon corps montrait ses faiblesses, je me sentais étourdi, mais je devais protéger ma fille. J'attrapai un emballage de papier qui traînait à côté de moi, sûrement tombé du désordre que ce Mac Douglas avait dans son véhicule. Le temps pressait et je n'avais pas la force de trouver autre chose ; je plongeai mon index dans la plaie béante de ma cuisse et écrivis péniblement trois mots.

— Testament. Chambre. Bleu.

Alors que j'étais épuisé, je m'adossai sur la portière arrière, laissant tomber mes bras sur les côtés et ma tête balancer sur la droite, je me sentais partir. La falaise était bien trop loin des habitations, personne n'avait dû entendre l'accident. L'orage redoublait d'intensité, il devait être trois heures du matin, personne ne passerait par ici avant de très longues heures. Mon corps était trop faible pour bouger. Je n'avais pas vu ma femme, et espérant qu'elle ait sauté à temps, peut-être avais-je encore une petite chance.

Dans un dernier effort, je tournai la tête vers la mer. Je voulais voir ce spectacle avant de mourir, voir les vagues arriver, puis fuir et entendre le son de leur force frapper la masse de calcaire et de schiste de la falaise. Mon regard scruta l'horizon, les éclairs avaient repris, je trouvais ce spectacle magique et apaisant pour mes derniers instants. Je distinguai une tache verte au bord de l'eau. Une idée effrayante me traversa l'esprit : ma douce et belle Irène. J'aurais tellement aimé que ce ne fût pas elle, je voulais croire qu'elle avait réussi à sauter à temps de la voiture. Je concentrai tout ce qui me restait de force, décuplée par l'adrénaline du dernier espoir, dans ce corps de pantin que j'étais à cet instant.

À plat ventre, avançant comme j'avais appris à le faire à l'armée, en me glissant sous les fils de fer barbelés, la tête enfoncée dans la boue. Mais ce jour-là, ce n'était pas l'envie d'éviter la corvée de nettoyage des latrines qui me motivait. Non, cette force me venait du désir de ne pas voir le corps d'Irène se faire frapper par la mer. Je souhaitais juste constater que ce corps froid ne portait pas ce petit collier à photo en forme de cœur que je venais d'offrir à Irène pour la naissance de notre Annia.

Je rampai lentement et lourdement, freiné par cette moitié de corps inerte que mes jambes étaient maintenant et que je ne contrôlais plus. Irène était loin, si loin, la peur m'étreignait, m'enlaçait, me serrait. Cette terreur remontait de mes entrailles sous forme d'adrénaline, qui actionnait mes bras. Si difficilement, je passai un bras au-dessus de l'autre, ce qui me fit avancer de quelques centimètres à chaque fois. Pour enfin toucher la main d'Irène, glacée par ce sang qui ne circulait plus dans ses veines, en raison de l'hypothermie morbide, accélérée par la température de l'eau qui la recouvrait.

Dans un dernier effort, je retournai son corps. Mon cœur se brisa en mille morceaux à la vue de ce doux visage déformé par les coups de la chute, que je tenais dans mes mains une heure plus tôt, la couvrant de baisers pour la rassurer, pour me rassurer. Je ne l'entendrais plus rire, je ne la verrais plus danser. Je posai ma tête sur son torse pour attendre ma propre mort qui venait me chercher. Je pleurais doucement, enlaçant comme je pouvais le corps d'Irène qui ne m'entendait pas. Je pensais à la petite Annia, cette vie qui commençait à peine et que je n'allais pas guider de ma présence. Mes sanglots étaient persistants, ils m'épuisaient, ils me vidaient du peu de vie qui me restait. Le roc brisé que j'étais s'endormit ainsi pour l'éternité.

( je ne sais pas si je garde ou non ces deux chapitres donner moi votre avis)

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