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Marius observait les oiseaux, attiré à la vitre par leurs vociférations. Trois mouettes aux ailes sales se disputaient un morceau de pain dans la lumière déclinante. Toutefois, de là où il se trouvait, vingt mètres plus loin, le jeune homme ne pouvait que supposer la nature de l’aliment.

Un des volatiles se posa sur un coin de toiture et entama son repas. Les autres commencèrent à lui tourner autour avec de petits cris plaintifs. Mais leur congénère ne songeait même pas à partager.

Une corneille arriva alors. Elle resta là, quasiment immobile à regarder la mouette poursuivre son acharnement sur cette maigre pitance. Un seconde ombre atterrit de l’autre côté du toit, sans faire mine de vouloir s’approcher.

Le ballet aérien accaparait toute son attention, si bien que Marius ne comprit pas d’où avaient bien pu surgir les autres corneilles. La principale intéressée se voyait à présent encerclée et, après quelques croassements, quatre corvidés passèrent à l’attaque. Elle comprit immédiatement qu’elle ne faisait plus le poids et s’envola, suivie de près par ses deux camarades. Les oiseaux sombres restèrent pourtant sur place à picorer les restes abandonnés. Ils se dispersèrent finalement, alors que l’une des mouettes revenait.

Marius tira le rideau, songeur. Il sentait que l’attitude de ces oiseaux pouvait lui apprendre quelque chose. Mais quoi ? Le jeune homme se repassa mentalement la scène. Ces deux espèces avaient eu un comportement différent face à la situation. Alors que les mouettes se battaient entre elles pour acquérir la nourriture, les autres s’étaient unies et avaient attendu le bon moment avant de passer à l’action.

« Au final, pensa-t-il, les corneilles ont toutes mangé ne serait-ce qu’un peu, tandis qu’une seule des mouettes l’a fait. Et celle qui est revenue n’a même pas pu profiter des restes. »

Et si cela se reproduisait ? Jour après jour, repas après repas ? Qui aurait l’avantage ; les plumes blanches ou les noires ? Les deux étaient encore représentées, alors cela devait peu compter au final.

Non, la bonne question était plutôt de savoir d’où sortait ce morceau de pain, puisque les magasins n’étaient plus approvisionnés depuis des années. Cela ne venait pas de chez lui. Il ne se serait jamais permis un tel gaspillage de denrées avec ses réserves au plus bas. Quelqu’un d’autre devait se trouver dans les environs, Marius en était quasiment certain. Avaient-ils déjà retrouvé sa trace ?

— Mais tu t’entends ! T’es complètement parano, mec ! s’exclama-t-il.

Il secoua la tête pour s’éclaircir les idées. Cette solitude commençait à lui peser sur les nerfs.

Un faible grognement le fit soudain sursauter.

« C’est normal, se rassura-t-il. C’est le soir. Et tu sais qu’il y en a toujours plus le soir. »

Il descendit lentement l’escalier grinçant pour se retrouver dans la relative pénombre de l’entrée. En ce mois de novembre, la nuit tombait rapidement, tout comme les températures. Une lampe de poche aurait été utile, mais il préférait garder ses piles intactes.

Marius souffla un petit nuage de vapeur et avança dans l’allée. À travers le crissement du gravier sous ses pas, il pouvait entendre les gémissements que lançait le dévoreur. Un solitaire cette fois, c’était une bonne chose. Il se tenait malheureusement hors d’atteinte.

Les dernières lueurs du couchant éclairaient la créature. Elle passa un bras en lambeaux à travers le grillage pour tenter d’attraper sa proie. Marius estima qu’elle avait dû être une femme d’une trentaine d’années de son vivant. Une cadre ou une employée de bureau à en juger par son tailleur déchiré et la valisette qu’elle serrait dans son autre main.

Le jeune homme n’avait jamais réussi à comprendre pourquoi ces choses s’attachaient ainsi à des objets pourtant devenus inutiles. Peut-être se raccrochaient-elles aux derniers souvenirs de leur vie d’avant ? Cette existence leur manquait-elle ? Que pouvait-il bien se passer dans leur cerveau ?

Sa fascination morbide pour le dévoreur prit soudain fin. Se risquerait-il à devenir sentimental ? Ce n’était pas bon. Pas bon du tout même ! Il ressentit pourtant une pointe de remords alors qu’il approchait, couteau en main.

— Je peux le faire, se persuada-t-il. C’est déjà mort de toute façon !

Marius s’avança encore, ses gestes plus prudents. Il repoussa le membre qui essayait maladroitement de lui saisir les cheveux et positionna sa lame entre les mailles. L’odeur dégagée par le dévoreur, mélange de pourriture et de chairs en décomposition, lui donnait la nausée. Les râles se firent plus intenses. Le monstre claqua furieusement des dents et se colla à la clôture.

Un coup dans l’orbite ; le corps s’affaissa dans un froissement, son bras toujours coincé dans la grille. Seule la respiration haletante de Marius perturbait le silence revenu.

Oui, cette chose était morte.

Et il lui faudrait la brûler demain matin.

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