Le Bête
Ce même rêve en boucle dans des contextes différents jusqu’à ce qu’il prenne vie…
Pendant plusieurs jours, je me réveillais avec une sensation étrange de malaise. Puis, j’ai commencé à faire ces rêves, où j’étais traqué par une bête. Toujours le même. D’abord, je suis dans un contexte des plus normaux, vivant un moment du quotidien ; puis, je commence à me sentir observée et pas en sécurité ; enfin, j’aperçois la bête et, avant qu’elle ne me dévore, je me réveille en état de choc.
Mon premier rêve débuta comme un jour normal : je descendis la grande et large route qui menait vers la gare de mon village, très tôt le matin pour prendre le train. Il faisait sombre, la rue était silencieuse et les lampadaires éclairaient à peine le chemin. Je marchais insouciamment durant une courte durée, avant d’avoir la désagréable impression d’être observée. Je regardai donc aux alentours, scrutant les trottoirs et les maisons de campagne encore endormies. Rien d’alarmant. Enfin, je vis la bête. Elle était là, à quelques mètres de moi, sur la route, en position de traque, faisant des mouvements si lents qu’on peut à peine les percevoir. Elle avait des yeux blancs et vides, un corps noir en lambeaux, le corps maigrelet comme un lévrier mais zombifié. Cette chose ne faisait pas un seul bruit, à peine réelle. Aussi grande qu’un loup. Je restai immobile, pétrifiée de peur, puis soudain, elle s’élança vers moi. Je courus comme je pus mais je savais que je n’avais aucune chance . Alors dans un réflexe de survie, mon cerveau me donna le pouvoir de bondir haut, très haut, à plusieurs centaines de mètres. Mais je ne fus pas sauve, car la redescente me dirigeait droit sur la bête ; cependant, avant qu’elle ne m’attrape, je me réveillai.
Les rêves qui suivirent y ressemblaient en tout point, que ce soit dans la forêt ou dans la rue. Au fil des semaines, je commençais même à ressentir ce fameux malaise dans la réalité, lorsque la bête semblait apparaître, et ce dans des endroits pourtant banals comme la gare ou la salle de classe. J’avais cette drôle d’impression qu’elle me surveillait toujours, tapit quelque part, guettant le moment ou je l’apercevrais pour me chasser. Pour moi, ce n’étaient que de simples cauchemars. J’étais loin d’être superstitieuse et je pensais que la répétition de ce cauchemar devait simplement me monter à la tête et me donner l’impression de ne pas être en sécurité. Par ailleurs, je me disais également que le manque de sommeil ne devait pas aider.
Après plusieurs semaines, je refis un rêve semblable au premier. J’étais à nouveau dans cette même rue, cependant, cette fois, il faisait jour. Je marchais aux côtés de ma mère, les bras étirés pour tenir en équilibre sur un petit muret en briques. Il faisait beau, les hautes herbes du champ dansaient joyeusement et les arbres à ma droite revêtaient leurs plus belles fleurs de cerisier… des arbres ? Mais c’était censé être la route à ma droite, il ne devait pas y avoir d’arbres. Je me retournai et le paysage changea. Le joli petit muret était maintenant devenu immense. Je devais être à une quarantaine de mètres du sol. Ma tête se retrouvait donc dans le feuillage des arbres dont je ne pouvais plus voir les fleurs extérieures. Je regardai en bas : ma mère n’était plus là, c’était ma grand-mère qui avait pris sa place. Elle me souriait, paraissait passer du bon temps avec un pique-nique et me fit signe. Elle semblait vouloir que je la rejoigne. Plus je la regardais et plus je ressentais à nouveau la sensation qui était devenu bien trop familière : la bête n’était pas loin. Mais où ? Je regardai autour de moi rapidement, inquiète à l’idée de revoir la bête rôder non loin. Pourtant, je ne vis que le feuillage vert des arbres et des branches. J’allais re-pencher ma tête vers ma mamie, quand elle surgit d’un coup, un bras tendu pour m’attraper, l’air menaçant. J’esquivai avec un mouvement de recul, tombant sur les fesses, toujours perchée sur le muret. Ma mamie avait déjà disparu quand je relevai la tête. Le feuillage en face de moi eut un léger bruissement, puis surgit d’un coup la bête, qui me tomba dessus. Je me réveillai en sursaut. Elle m’avait attrapée.
Après cet incident onirique, je ne fis plus aucun rêve d’elle. Je repris le cours de ma vie et l’oubliai presque. Pourtant, après que plusieurs semaines se furent écoulées, je me réveillai au milieu de la nuit, me relevant d’un coup. J’étais en sueur, j’haletais et j’étais complètement paniquée. J’allumai la lumière et regardai autour de ma chambre pour me rassurer. Évidemment, il n’y avait rien que je ne connusse pas déjà : mon atelier, ma bibliothèque, ma télévision et mon armoire. Tout était normal, immobile. J’avalai ma salive, tentai de me calmer, mais rien n’y fit. Je décidai donc de descendre les escaliers et d’aller boire un verre d’eau dans la cuisine. Je me sentais si légère, la tête me tournait et j’avais à peine l’impression d’être celle qui dirigeait mon corps. Je m’abaissai, pris un verre, refermai le vaisselier, puis je remplis mon verre d’eau et m’appuyai de dos contre l’évier pour boire. Je regardai autour nonchalamment. Le silence était assourdissant. La nuit était calme. Je commençais à me sentir un peu mieux et ma respiration s’apaisait.
Soudain, je la vis. Elle. La Bête. Je la fixai, elle s’avançait lentement dans le séjour, en position de chasse, lentement, comme dans mes rêves, se montrant à la lumière de la lampe de la cuisine ouverte. Cependant, cette fois-ci, c’était bien la réalité. Je pouvais bouger, j’en conclus que ce n’était pas une paralysie du sommeil. La Bête était là. Je la regardai. Elle devait me bondir dessus. En clignant des yeux, je crus la voir disparaître un instant. Ce n’est qu’une hallucination, ce n’est qu’une hallucination, me répétai-je sans cesse pour me donner du courage. Dans mes rêves, je la fuyais toujours. Néanmoins, aujourd’hui, je lui faisais face, et je n’avais pas si peur que ça. Je posai mon verre dans l’évier sans détourner le regard. Lentement, je m’avançai. Elle ne semblait pas réagir, alors je continuai et la dépassai. Je continuai mon chemin comme si elle n’existait pas et je la traversai. Je marchai à une allure tout aussi tranquille, jusqu’en haut des escaliers, même une fois que les lumières étaient éteintes. Enfin, je refermai la porte de ma chambre derrière moi. J’étais très tendue, silencieuse, choquée de ce que j’avais vu. Contre toute attente, je m’allongeai, j’éteignis la lumière de ma chambre, et je réussis à me rendormir. Pas une seule pensée ne me vint à l’esprit durant tout ce temps.
Depuis, je ne l’ai plus jamais revue. Certains me disent que c’était une peur que je fuyais désespérément dans mes rêves, que ce que j’avais vécu ce jour-là n’était qu’une terreur nocturne et que la bête était une hallucination hypnopompique. Maintenant que je lui ai fait face, c’est comme si j’avais combattu cette peur, que je l’avais surmontée. C’est certainement pour cette raison qu’elle a disparu. Je ne la crains plus.
Toute cette histoire est derrière moi… enfin ça, c’était jusqu’à ce que le vieux monsieur atteint de la maladie d’Alzheimer de mon quartier ne ramène un chien d’un refuge. Je ne peux m’empêcher de lui trouver beaucoup de ressemblance avec le monstre de mes rêves. Il n’aboie que sur moi, enrage, mord le grillage violemment et le secoue, tentant de l’arracher. Il a un pelage noir de jais, il n’est pas bien gros mais très grand et poilu. Je longe très souvent ce jardin grillagé, car j’aime aller dans la forêt me promener et que, malheureusement, le chemin qui le longe est le plus court pour y entrer. À chaque fois, lorsque je ressors de la forêt, il m’attend plusieurs mètres plus loin, en position de chasse, plaqué contre le sol, attendant que j’arrive à sa hauteur pour bondir sur le grillage et le mordre avec force afin de s’en libérer. Jusqu’à maintenant, je n’ai eu aucun problème. Cependant, j’ai entendu les voisins de ce monsieur dire que son chien s’enfuyait souvent de sa maison et qu’il venait dans leur jardin. L’histoire n’est peut-être pas terminée…
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