Jour 4

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    Midgard était en tout point semblable à la Terre. Ce fut le premier constat de Luce et des autres membres du groupe. Le sac lourd de provisions, la jeune femme resserra un peu plus son écharpe, l'hiver ne faisait que commencer dans ce Monde. Le Thésée désigné comme leader leur fit signe d'avancer. C'était lui qui avait trouvé des coordonnées fiables pour Midgard, lui aussi qui avait rassemblé la dizaine de Voyageur pour former le groupe. Ils avaient pu compléter leurs informations grâce à celles de Luce, qui avait été contente d'avoir une utilité. Elle avait beau être douée pour la déduction, connaître les herbes médicinales et savoir s'orienter facilement, elle fuyait face au danger ou restait paralysée par la peur. C'était sans parler du fait qu'elle souffrait de crises d'angoisse et de colère. Elle espérait vraiment qu'on ne l'abandonnerait pas simplement au bord de la route. Grimaçant face à ce manque de confiance en elle et ses capacités, elle se reconcentra sur la longue route qui les attendaient. Les pierres chauffantes dans ses poches était activées, remontant un petit peu son moral. Il devait atteindre le premier village avant la nuit tombée, le Thésée tenant la boussole discutait en anglais avec une Thémis norvégienne, assez rodée sur les différentes légendes vikings. De ce qu'elle en comprenait, ils arriveraient juste à temps et la boussole inter-Monde fonctionnait à merveille, jusqu'à preuve du contraire.

« De quelle partie de la France viens-tu ? » l'interrogea une Thémis du groupe.

C'était l'une des seules à connaître le français, ses cheveux courts la faisait passer pour un garçon si l'on ne s'attardait pas longtemps sur la forme de son visage et son corps menu.

« De Provence, répondit finalement Luce, mais je vivais à Lyon depuis un an lorsque j'ai appris que j'étais une Voyageuse. Un cadeau de ma majorité, et toi ?

— Je le sais depuis mes cinq ans, heureusement pour moi, ma mère en est une aussi. Ah et je viens de Bretagne, de Brest plus précisément.

— Oh j'ai une amie qui vient de là-bas aussi ! »

Leur discussion permit à la blonde d'être plus à l'aise, grâce à la brunette. La marche sembla passer en un clin d’œil, le plaisir de faire connaissance avec une fille de son âge éclipsant ses préoccupations et ses sombres pensées. Décidant que le prénom Brune lui irait comme un gant, la jeune femme se mit à surnommer mentalement ainsi, se sentant plus proche d'elle ainsi. Le premier village n'était guère accueillant, et l'auberge miteuse fit presque regretter à Luce de ne pas camper. Presque, car le confort d'un lit était quelque chose qu'elle se devait de savourer, elle aurait de moins en moins l'occasion d'en profiter au fil de leur avancée.

    Suite à cette première nuit peu prometteuse sur la qualité de leur périple, les jours se mélangèrent dans la tête de la jeune femme, épuisée et distraite par Brune. Le leader était un peu trop strict, mais ce fut uniquement grâce à cela qu'ils atteignirent l'océan cosmique, portail d'accès pour le monde des Géants de glace, s'ils y survivaient. L'envie d'affronter le serpent géant, gardien de cet océan, était au plus bas. Alors quand ils apprirent qu'ils devaient acheter un bateau s'ils désiraient partir à la rencontre de Jörmungand, certains étaient partisans de travailler pour obtenir assez d'argent, plutôt que d'utiliser leurs réserves. Cependant, le leader remit rapidement les pendules à l'heure, rappelant pour quelles raisons ils accomplissaient cette quête. Ce fut l'humeur sombre que le groupe embarqua pour l'océan, alors que la nuit tombait.

« Pour ceux qui tomberait à l'eau, si un problème à lieu, voyagez. Cela évitera à tout le monde de se préoccuper de cela s'il y a un accident. Retrouvez-vous à Lugh. Nous vous rejoindrons dès que la mission sera terminée. »

Luce et Brune acquiescèrent, prêtes à affronter cette épreuve pour leurs propres raisons. Si Luce avait Nathanaël et sa famille en tête, Brune songeait à sa vie après la guerre, au désir de retrouver sa liberté d'action. Elle en avait discuté avec la blonde, expliquant à quel point il était compliqué, quand on avait grandi en changeant de Monde selon ses envies, de se contraindre à un parcours tracé.

    Luce lança un dernier regard en arrière, avant d'accepter de plonger dans l'inconnu. Entièrement tournée vers l'horizon, elle fut la première à apercevoir la vague de nuages noirs, grondant sourdement. Ils avaient lu les différents récits sur ces tempêtes avantageant Jörmungand, engloutissant les navires des pauvres habitants de Midgard. Ils s'en rapprochaient inexorablement, le vent gonflant leurs voiles, les y précipitant. Avant de pouvoir réellement réagir, ils se trouvèrent au cœur de la tourmente, le souffle court, ballotés dans tous les sens, la pluie glaciale s'abattant violemment sur ces pauvres êtres. Le leadeur du groupe cria en vain, ses paroles se perdant dans le bruit de l'orage. Les Voyageurs s'accrochèrent à ce qu'ils trouvèrent, tenant tant bien que mal et Luce songea qu'elle aurait dû demander à As' comment faire pour atteindre le don d'Yggdrasil en un seul morceau. Elle entendit une exclamation et un bruit de glissement, se retournant, elle vit Jörmungand dressé au-dessus d'eux. Si elle racontait cela à ses frères à son retour, ils ne la croiraient pas. A deux doigts de s'évanouir d'horreur, elle s'agrippa de toutes ses forces au mât et fut heureuse que le serpent géant ne soit pas de la famille des basilics lorsqu'elle croisa ses yeux jaunes. L'instant parut durer une éternité, la tempête était lointaine et oubliant un instant où elle se trouvait, Luce faillit desserrer sa prise. Une interpellation lointaine, - était-ce la voix de Brune ?-, la ramena au présent. Le serpent disparut dans une grande éclaboussure. La pluie s'amenuisa doucement, puis ils se retrouvèrent sur des eaux calmes.

« Une terre est en vue ! Félicitations à to... »

La voix du leader mourut sans qu'il ne puisse finir sa phrase, ils n'y avaient plus que la moitié du groupe initial. Se reprenant, il se racla la gorge et reprit.

« Normalement, selon les informations obtenues par Luce, nous arrivons à Jotunheim. La source de la Sagesse devrait se trouver à deux journées de marche de la capitale. Nous pourrons y refaire nos réserves. Par mesure de sécurité, gardez vos capes et votre capuche rabattue, nous n'avons aucune donnée sur les relations entre Géants et Voyageurs. Mais s'ils nous traitent comme ils traitent les habitants de Midgard, mieux vaut être méfiant. »

Brune poussa un soupir de soulagement, et Luce fut contente de voir qu'elles continueraient la route ensemble. Leur navire se rapprochait de plus en plus de la cote, sa cape et sa capuche déjà mises pour faire face à la tempête restèrent donc en place. Les pierres chauffantes faisaient leur travail, séchant les vêtements détrempés de l'équipage. Il n'était pas minuit quand ils mirent pied à terre, fourbus de fatigue, ils campèrent à l'endroit où ils accostèrent. Un sentiment de joie s'installa dans les entrailles de la jeune femme, à ce rythme, ils finiraient bientôt leur quête et alors la guerre... Et Nathanaël... Et sa famille... Elle put s'endormir le sourire aux lèvres pour la première fois depuis un moment.

    Évitant de justesse d'être écrasée par un géant, Luce maugréa. Ils erraient dans la capitale depuis un jour et demi sans en voir le bout. A taille de géant, cette immense cité recouvrait de nombreux hectares et toute cette surface était couverte de maisons si grande qu'on aurait dit des montagnes. Brune s'était blessée en se faisant écraser le bras, portant depuis une attelle. La jeune femme s'était occupée de son amie, car dès l'instant où le leader de leur groupe avait appris qu'elle avait eu une formation en herboristerie, il l'avait désigné soignante du groupe. Au moins, elle n'avait plus à s'inquiéter au sujet de son utilité, il était certain qu'elle en avait une maintenant. Par chance, ses connaissances ne seraient pas utilisé pour les nourrir. Une vie humaine parallèle à la vie des Géants s'étaient développée. Comme des petites fourmis, des groupements d'habitations se trouvait sur les parois des maisons, dans des recoins sombres et humides, dans des replis de construction. Ils ne repartiraient pas sans ressource, c'était déjà cela. Cependant leur statut n'avait aucune reconnaissance ici, ces humains étaient tellement isolés des autres sociétés, qu'ils n'avaient aucune idée de l'existence des Voyageurs. Il était vrai que cela ne faisait qu'un demi siècle que cette mutation génétique était apparue dans la population, et aux vues de l'infinité de Mondes existants, il était peu probablement que les Mondes inaccessibles par Voyage comme celui-ci aient entendu parler d'eux. Il y avait pourtant une autre utilité à cette présence humaine, ils avaient pu compléter leurs informations au sujet de la source de la sagesse, Mímir. Notamment qu'elle se situait dans une citadelle de glace entourée de neige et de monts escarpés. Il fallait déjouer l'attention de Útgarða-Loki, un géant terrible et tricheur selon les dires des autochtones. Rien de bien prometteur, rajoutant juste un peu plus de pression à celle qu'ils avaient déjà.

    Le corps de Brune était sans vie, désarticulé devant elle. Luce ne ressentit qu'un vide pour cette quasi-inconnue avec elle avait sympathisé dans le cadre de leur mission. Ils avaient détourné Útgarða-Loki de son objectif d'anéantissement de leur groupe, mais à quel prix ? Une larme coula, mais encore sous le choc, la jeune femme ne sut comment faire réellement face à la nouvelle. Elle était juste certaine qu'elle aurait de nombreux cauchemars durant les nuits à venir. Un poids intense au creux de son estomac, elle se mit à courir à la suite de leur leader. C'était lui qui avait eu ce plan, lui qui avait condamné son amie. Mais ce n'était pas le temps de penser à cela, ils servaient une plus grande et noble cause. Les deux autres membres du groupe étaient restés en retrait, pour limiter le nombre de perte. L'idée était que trois des cinq membres boivent à la source de la sagesse, il n'y en aurait que deux au final.

    Atteignant la salle la plus profonde de la forteresse, Luce et le Thésée entrèrent dans la pièce. Ébahie par la beauté du lieu, les stalactites brillaient telles des joyaux, tout scintillait aux quelques rayons de soleil passant par un vitrail de glace au plafond. Le motif de rosace lui rappela celui d'une église, mais elle ne sût retrouver quel était le nom de celle-ci. Un murmure aussi doux qu'une berceuse arriva jusqu'à ses oreilles et son regard tomba sur un bassin alimenté par une source cristalline.

« Que voulez-vous Thémis et Thésée ? »

La voix de la Vala avait retenti comme un coup de tonnerre, les sortant de leur contemplation. Prenant une grande inspiration, la jeune femme décida de prendre la parole.

« La sagesse pour utiliser à bon escient le cœur d'Yggdrasil.

— C'est ta sincérité qui te sauvera, jeune femme. Quel prix payeras-tu pour t'abreuver à la source ?

— Mon innocence », offrit-elle dans un murmure.

La Vala libéra le passage et hypnotisée par les petits bruits d'éclaboussure, elle s'avança vers l'eau avec confiance. Elle ne vit pas le Thésée parlant avec une tête, celle du dieu ayant donné son nom à la source, Mimir. Elle était absorbée par le spectacle devant elle, son esprit éclairci, libéré de l'angoisse constante qui l'habitait et des regrets le hantant. Elle comprit trop tard qu'elle s'était trop penchée vers le bassin et tomba dedans. Ce dernier était profond et une force mystérieuse la happait vers le fond. Elle voulut crier et se débattre, mais tout ce qu'elle vit avant de sombrer fut l'expression horrifiée du Thésée, à l'autre bout de la salle. Son regard dans le sien, elle ne le vit faire aucun mouvement vers elle pour tenter de la sauver. A la réalisation qu'il la laissait se noyer consciemment, elle perdit espoir de s'en sortir et se laissa couler. Une étrange sérénité l'habitait, loin de la douleur qu'elle imaginait ressentir en mourant d'une telle sorte.

***

Pour le bien-être du lecteur, je ne me suis pas amusée à écrire les phrase du leader en anglais, mais c'est dans cette langue qu'il communique avec le reste du groupe :)

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