Jour 6

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« LUCE ! Tu ne peux pas simplement dire ça à ton frère ! »

La jeune femme se tourna vers sa mère, cette dernière avait un air de sidération absolue. Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu'elle avait dit de mal. C'était juste la vérité ! Il... Se couvrant la bouche de sa main, elle se rendit compte de deux choses. Sa mère avait raison, ce n'était pas une vérité à révéler et ensuite, ce n'était pas la première fois qu'elle vivait cette situation depuis son retour chez ses parents. Elle pouvait donc en déduire que sa perception du 'bien' et du 'mal', ou en tout cas du 'politiquement correct' avait été amplement altérée. Et elle en connaissait la coupable.

La source Mimir.

Une sourde colère monta en elle, faisant trembler ses mains et se distorde l'espace autour d'elle. S'excusant sincèrement mais rapidement auprès de son frère, elle sortit de la maison. Il fallait qu'elle marche dans l'air glacial de mars, remettre ses idées en place. Son souffle s'élevait en volute blanche et elle se demanda comment allait pouvoir continuer sa vie. Elle en voulait au monde entier de se retrouver dans cette situation, la rage au ventre, elle se détestait d'être incapable de simplement vivre normalement avec ses parents. Les accident comme cette altercation avec son frère étaient courant. Pourtant, ce n'était que des conseils mais ils les prenaient mal et elle, elle ne voyait que trop tard le problème que posaient ses propos. Heureusement, elle ne blesserait pas plus sa famille, car il lui fallait repartir dans les prochains jours. Elle ne savait pas vraiment quoi faire et où aller, Lugh lui semblait une bonne option. Elle aurait ainsi la certitude que ces compagnons de voyage étaient morts dans l'océan et qu'elle était une Voyageuse mutante, capable de se déplacer sans bassine. Et après... Après cela, peut-être pourrait-elle envisager de repartir pour le Niflheim, seule cette fois. La petite voix en elle avait soufflé que le temps calculé initialement par leur groupe pour faire le trajet jusqu'au cœur d'Yggdrasil était bien inférieur à ce dont ils auraient réellement besoin. Elle pourrait rattraper, voire dépasser le leader et les deux derniers Thésée l'accompagnant, arriver avant eux au Niflheim et les empêcher de récupérer le don. Ce revirement avait laissé sa mère béate, quand elle lui avait annoncé sa décision. La jeune femme avait explicité ses raisons, à quel point cela pouvait être dangereux pour leur Monde d'accueillir en son sein une telle force. Ce qu'elle n'avait pu se résoudre à expliquer, était qu'elle avait donné un moyen pour se rendre jusqu'au cœur alors qu'il était normalement inaccessible pour tous, sauf peut-être les dieux d'Asgard. Ou en tout cas les créatures qui se faisaient passer pour des dieux.

Ils tirent leur pouvoir de leur Monde, des légendes et croyances qui les entourent.

Cette réalisation avait rassérénée Luce, car sinon cela aurait remis en cause sa foi et ç'aurait été le coup de trop. Et comment expliquer l'existence d'Asmodée dans ce cas-là ? Comment justifier les Mondes représentant les différents cercles des Enfers ? Laissant ce casse-tête de côté, elle préféra rentrer. La nuit n'allait pas tarder à tombée et elle ne pouvait continuer à reporter son départ.

    Asmodée était entrain d'essuyer le sang perlant d'une coupure à la lèvre, quand elle surgit de nulle part. La blonde était venue un peu au hasard, ne sachant pas si elle serait capable de voyager jusqu'à sa demeure. Apparemment, cela lui était possible et en plus de cela, les pierres magiques fonctionnaient puisque sa tenue était déjà sèche de toute eau. Cela lui aurait presque donné envie de sourire. Étrangement, elle était apparue à un endroit différent de la pièce d'où elle était partie la dernière fois. Deux possibilités expliqua-

« Que fais-tu ici ? »

Elle croisa son regard meurtrier et songea que débarquer chez un démon sans le prévenir au préalable était probablement un petit peu suicidaire. Pourtant elle savait bien qu'il valait mieux pour elle qu'elle n'ait rien à voir avec lui.

« Non en fait peu importe, continua-t-il en secouant la main, exaspéré. Dégage. »

Ses yeux étaient devenus rouge sang, provoquant un frisson de peur chez la jeune femme qui fit un pas en arrière. Elle le vit claquer des doigts et l'instant d'après, elle était sur une colonne de pierre surplombant des abîmes brumeuses.

« CE N'EST PAS DU JEU ! », cria-t-elle à plein poumon.

Le silence glacial lui répondit et jetant un coup d’œil aussi large que possible à ce qui l'entourait, sans bouger, elle constata qu'elle risquait d'avoir un petit soucis pour se sortir de cette situation. Elle doutait fortement qu'Asmodée puisse l'entendre, puisqu'il l'avait apparemment relégué aux portes de sa demeure.

Absolument pas étonnant, même prévisible. Il vaut mieux être seule que mal accompagnée.

Mais comment allait-elle se sortir de cette situation ? Un bruit de pierre tombant la ramena à la réalité. Elle ne tiendrait pas éternellement sur cette petite colonne. Il y en avait d'autres devant elle, atteignables mais jamais elle n'oserait sauter ainsi au dessus d'un gouffre dont elle ne pouvait qu'imaginer le fond. Son cœur martelait violemment dans sa cage thoracique, douloureusement même. Retenant son souffle, elle tendit la jambe avant de la remettre précipitamment à sa place. Tout bonnement infaisable. L'angoisse s'insinua doucement en elle, se mêlant à de la panique, lui faisant monter les larmes aux yeux.

« Je ne peux pas..., gémit-elle d'une voix tremblante. Je ne peux pas... »

Elle se sentit perdre l'équilibre dans un moment de faiblesse, pencher en arrière, reculer d'un pas dans le vide pour tenter vainement de se redresser. Elle n'allait pas y survivre ainsi, il fallait qu'elle trouve une solution avant de commencer une crise. Mais rien ne lui venait, plus elle voulait une solution plus sa tête se vidait, ou plutôt se remplissait de l'image de son corps disparaissant dans l’abysse. S’agrippant à la saillie, les premières larmes roulèrent sur ses joues alors qu'elle se recroquevillait sur elle-même en fermant ses paupières aussi fort qu'elle le pouvait. Peut-être chasserait-elle ce cauchemar de sa réalité. Un appel à l'aide, une dernière supplication tomba de ses lèvres, venant du fond de ses entrailles.

« JE NE PEUX PAS LE FAIRE SEULE ! »

Elle ne savait plus exactement pourquoi elle hurla ça. Était-ce pour cet objectif qu'elle s'était fixée d'arrêter l'assassin de Brune avant qu'il n'obtienne le cœur d'Yggdrasil ? Ou pour affronter l'épreuve face à elle ? En fait, cela convenait aussi pour l'acceptation du décès de Nathanaël, tout autant que son incompréhension face à cette guerre, ces pertes et les transformations que cela amenait chez elle. Cependant, Luce n'était pas du genre à se laisser mourir en abandonnant simplement et Asmodée, n'étant après tout qu'un démon, ne prêterait pas attention au supplication d'une humaine, une croyante qui plus est. Sa peur se transforma lentement en rage, elle voulait vivre. Et l'espace qui s'agitait autour d'elle depuis un moment prit ce basculement comme une étincelle, telle une détonation, elle disparut subitement.

    L'herbe douce des plaines de Midgard fit naître en elle une frustration et un soulagement intense, elle se mit à sangloter doucement. Elle devrait voyager seule et faire face à ses propres combats avec ses armes. Quelle idée de compter sur un ange déchu, incapable d'avoir les cojones de reconnaître ses torts et de revenir à Dieu. Puis se reprenant parce qu'elle réalisa à quel point elle se prenait la tête pour un être qu'elle ne connaissait pas, aussi vieux que l'humanité et qui plus est, avait probablement de très bonnes raisons d'agir comme cela. Du moins, de son point de vue, car pour elle se n'était qu'un lâche. Elle était trop entière, trop intègre pour supporter la demie-mesure. Même en ayant absorbé un litre de sagesse absolue, elle ne s'amuserait pas à justifier les actes des gens. Se remettant debout, elle comprit sa chance d'avoir pu atterrir dans un lieu qu'elle connaissait. Ils avaient séjourné une nuit dans ce village. A partir de là, il ne lui était pas difficile de trouver la direction à suivre. Elle avait une boussole, mais vu qu'elle l'avait trouvé dans le débarras de la citadelle de Lugh, il était quasiment impossible qu'elle fonctionne normalement. Décidant de prendre la route après s'être reposée un peu de cette journée chargée, elle se rendit dans la même auberge que lors de son premier passage. Enterrant ses souvenirs et ce que cela faisait remonter en elle, elle oublia jusqu'à son nom dans les doux bras de Morphée.

    La réalité rattrapait souvent les rêveurs plus tôt qu'ils ne l'avait prévu. Malgré elle, Luce était une rêveuse et sa dure réalité était qu'elle allait de nouveau devoir faire face à Jörmungand. Les vagues de l'océan avaient une mélodie drôlement attrayante, s'écrasant contre les galets de la plage, elles emplirent la jeune femme d'une sérénité bienvenue. Gribouillant dans son carnet, sans beaucoup d'attention, elle essayait d'exorciser ses idées noires. Mais en voyant son dessin, elle ne put s'empêcher de grimacer. Un œil à la pupille bleu la fixait. Cet œil, macabre malédiction, la poursuivait dans ses rêves, ses cauchemars, ses égarements... Elle avait l'impression qu'il la surveillait tellement elle le voyait partout. Elle ne savait pas pourquoi et comment cet élément étrange avait pris une place aussi importante dans son quotidien. Cela avait un lien avec Mimir, comme tout ce qui allait mal dans sa vie.

Mauvaise foi.

Presque tout, car il était vrai que la quête de l’État, la guerre et donc la mort de Nathanaël n'était pas de son fait. Déchirant la page, puis la feuille, elle en fit des confettis qu'elle souffla. Elle les observa virevolter dans le vent, la brise prenait de plus en plus d'ampleur. Se relevant, elle décida de se mettre en route.

Repousser son départ ne la sauverait pas mieux.

Ignorant sa boule au ventre, la jeune femme sut qu'elle finirait pas devoir traiter ses émotions. On n'échappait pas à la réalité, même en courant de toutes ses forces.

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