Jour 7
Elle avait embarqué le matin suivant, le ciel d'un bleu clair pur, trahissant les restes de l'hiver. Les bateaux étaient nombreux à partir en cette saison de guerre pour tous les peuples. Elle observa le village s'éloigner petit à petit et eut un brin de nostalgie pour son propre monde. Son cœur se serra douloureusement lorsqu'elle imagina les larmes de sa mère en lisant sa lettre. Il arrivait que Luce ne soit pas assez courageuse pour faire face de front, alors écrire lui paraissait être une meilleure solution. Ce n'était qu'après coup qu'elle culpabilisait de la souffrance que pouvait provoquer ses mots, souvent dénués de tact.
« Thémis ! Venez prendre votre poste au lieu de rêvasser ! »
Prenant sur elle, il ne fallait pas qu'elle se vexe pour une brimade, elle remonta vers l'avant du bateau. Celui-ci était plein de valeureux combattants, voulant rapporter richesse et gloire.
Ils ont fait le choix conscient de mourir pour renouveler les légendes de leur monde. Sans elles, tout ici s'effondrerait.
Ce qui n'empêchait pas que la jeune femme se sentait nauséeuse qu'autant de personnes meurent. Et si ce n'était pas à l'allée, ce serait au retour, car on ne revenait pas de l'océan cosmique lorsqu'on appartenait à Midgard. Mais c'était dur de l'accepter, il y avait des enfants. Ou en tout cas des adolescents, qui à la différence de la blonde, n'avait pas de titre honorifique pour les protéger. Encore qu'elle n'en bénéficiait que peu, le seul respect qu'elle obtenait, était lié à son lien avec la source Mirmir. Ceux qui la croyait la craignaient, les autres se méfiaient de ses paroles. Elle restait une étrangère, c'était déjà un grand honneur pour elle d'être acceptée sur leur bateau alors qu'elle n'était même pas une guerrière et qu'elle n'avait pas la force pour ramer. A l'avant du bateau, boussole en main, elle guetta la tempête annonçant Jörmungand. Cependant rien ne venait, et la jeune femme s'inquiéta que leur voyage s'éternise, car tant qu'ils n'auront pas affronté le monstre, ils ne pourraient pas arriver à Nidavellir. Il n'y avait aucun moyen d'abréger l'attente, d'attirer le monstre, alors elle prit son mal en patience.
Au bout de deux jours à scruter l'horizon, Luce n'avait plus réellement la foi d'attendre sagement. Qu'est-ce que ce maudit reptile pouvait bien attendre pour s'en prendre à eux. Se détournant de la vue plane qu'offrait l'océan calme, elle lança un regard vers le ciel. La soleil brillait de tout son éclat, et elle comprit pourquoi ses compagnons de route avaient dit que c'était l'une des plus belle journée qu'ils avaient vu depuis le début de l'automne. Une bourrasque la décoiffa, ses mèches se mirent à fouetter son visage tandis que le vent s'intensifiait. L'horizon était sombre, - enfin ! -, sa joie lui faisant presque lâcher un soupir de soulagement. Elle transmit au capitaine l'arrivée du combat tant attendu et subitement, le bateau sombra dans le chaos. Des cris se firent entendre, un chant de guerre commença à s'élever, la moitié des rameurs prirent les armes en se dirigeant vers l'avant du navire. Une femme aux cheveux nattée, Hedda si sa mémoire était bonne, s'approcha d'elle et lui tendit une hache.
« Je peux n'en utiliser qu'une, déclara-t-elle. Mais toi avec ton coutelas, tu n'iras pas bien loin. Et attache tes cheveux, ils te gêneront. »
Murmurant un merci, Luce suivit son conseil. Elle se retourna face à la tempête et aux vagues bien plus hautes que dans ses souvenirs. Comment avait-elle pu s'en sortir aussi bien la première fois ? Elle prit la hache dans sa main droite, étonnée de la trouver moins lourde que ce qu'elle ne semblait. Hedda se plaça à ses côtés et pendant un instant, les premiers signes de vieillesse s'effacèrent de son visage pour laisser place à une extase viscérale. Elle aimait se battre, c'était probablement toute sa vie et elle ne connaîtrait que cela. La blonde fut presque jalouse, mais à vrai dire, elle avait d'autre soucis plus urgent que de désirer vivre une passion et un dévouement aussi grand.
Tu n'accordes plus assez de valeur à ta vie pour vivre ce genre de choses.
Elle songea que c'était vrai, il fallait qu'elle espère plus dans le futur et chérisse mieux ses souvenirs. Elle devait se battre pour surmonter cette épreuve, qu'elle voyait un peu comme une matérialisation de sa difficulté à passer au-dessus de ses craintes et de la mort de Nathanaël. Elle qui pensait avoir oublié son visage, elle se remémora brusquement son sourire chaleureux. Ses larmes se mêlèrent à la pluie, saisissant sa hache à deux mains, elle se tint droite est fière aux côtés de ses hommes et femmes qui se battaient pour ce qu'ils avaient de plus précieux, leurs croyances.
La pluie rendait le bois glissant et Luce, détrempée depuis un moment, restait attentive à son environnement. Sur le qui-vive, elle vit du coin de l'oeil un homme disparaître dans l'océan alors qu'un éclair fugitif illuminait le ciel. Le souffle court, elle avait du mal à se tenir au bateau, celui-ci tanguant dangereusement. Jörmungand entraîna une autre personne à l'eau, décimant vicieusement leur équipage. Mais le serpent était trop rapide, ils leur étaient impossible de le voir venir. Le chef criait des ordres aux rameurs, pour que ceux-ci gardent le cap, cela semblait vain. Des prières à Odin se mêlèrent au chant, faisant frissonner la jeune femme qui admirait la force de leur foi. Jörmungand parut entendre l'angoisse derrière la voix des nobles guerriers, car il se redressa de toute sa hauteur, face à eux.
Il va s'abattre sur le bateau et le faire couler.
Paniquant à cette idée, le souffle court, elle chercha une solution pour éviter cette catastrophe. Mais pour une fois, Mimir ne lui offrit aucun conseil. Saisissant sa croix, enfouit sous ses vêtements, elle crut que sa dernière heure avait sonné. Elle n'entendit pas les cris autour d'elle et ne vit pas les armes être brandit. Elle était paralysée par son constat, elle s'était jetée vers une mort certaine. Ses yeux rencontrèrent deux pupilles jaunes familières la plongeant dans un moment d'égarement. Une vague s'écrasa sur eux, et sa violence fit perdre l'équilibre à Luce qui glissa. Tombant en arrière, sa tête cogna violemment contre le sol, la faisant perdre connaissance.
Quelque chose chatouillait désagréablement son pied droit. Gigotant un peu, elle perçut vaguement le bruit d'une discussion. Son crâne était atrocement douloureux. Elle avait vécu les dernières vingt-quatre heures dans un état comateux, l'esprit brumeux et la conscient éteinte. Ils parlaient bien trop fort à son goût et peut-être pour cette raison, elle lâcha un grognement peu agréable. Puis elle se souvint vaguement qu'elle avait survécu à une tempête monstrueuse et à son deuxième face à face avec Jörmungand. Elle remua ses doigts, comptant qu'elle en sentait encore dix, elle put constater que les autres membres de son corps répondait bien à la stimulation. Ouvrant difficilement les yeux, elle crut halluciner. Il y avait des hommes miniatures avec des barbes bien fournies mais en les regardant plus attentivement, ils ressemblaient, par leurs traits et leurs physique à des femmes. Puis elle tilta.
Je suis à Nidavellir, dans le royaume des nains. Il est donc normal de croiser des naines.
Puis elle se redressa brusquement, les yeux grands ouverts, fixant les naines. Elle était arrivée à bon port ! Elle avait survécu, elle était vivante... Sa vision devenant floue à cause des larmes, elle se rallongea à cause d'un étourdissement soudain. Rendant grâce à Dieu, elle s'engagea à prendre soin de sa vie et à se ménager. C'était miraculeux pour elle d'être encore parmi les vivants. Malgré son état lamentable. Incapable de se souvenir de la fin du combat avec Jörmungand, la jeune femme décida que ce genre de détails pourraient attendre. Il était évident qu'elle avait fait un traumatisme crânien, la mettant dans de très mauvaises dispositions pour continuer son voyage, et elle avait le pressentiment que cela risquait de durer plus d'une semaine.
Nidavellir n'était qu'un Monde dépourvue de végétation, avec des montagnes dont les pics se perdaient dans les nuages. Du moins en surface, car les nains vivaient en réalité sous terre. Il y avait tout un réseau de galeries dans ces montagnes et évidement, tout ces passages menaient à la capitale, où résidait actuellement Luce et les survivants de l'expédition. Confinée au palais, elle n'avait revu qu'Hedda depuis son réveil. Cette dernière lui avait expliqué brièvement qu'elle avait été missionnée pour veiller sur la Voyageuse. Par elle ne savait qu'elle miracle, les nains connaissaient les Voyageurs et avaient un profond respect pour eux. Elle avait donc le privilège d'avoir accès à de nombreuses pièces, contrairement aux vikings. Ils auraient un entretien dans les jours suivant avec l'assemblée des chefs de clans. En attendait, la blonde se remettait doucement de son traumatisme crânien, profitant de l'immense bibliothèque. Ce lieu lui avait servit de refuge. Le plafond était un dôme porté par des arcades magnifiquement sculptées, celui-ci était du même gris orageux que les murs quasiment invisible. Les étagères de chaque meuble portaient des centaines de livres, les bibliothèque suivaient la courbe de chaque mur auquel elles étaient accolées. Le bois clair était épais pour ne pas céder aux poids des ouvrages précieux, dont un grand nombre était écrit dans des langues dont elle ignorait jusqu'à l'existence. Les seuls endroits de cette immense pièce où il n'y avait pas de rayonnage était les fenêtres de plusieurs mètres de hauteur. Luce avait pris pour habitude de s'asseoir tout contre le verre froid, magiquement enchanté pour diffuser une lumière semblable à celle du soleil, entre plusieurs cousins disposés sur ces larges rebords de pierre. Hedda ne l'accompagnait pas en ce lieu, préférant la salle d'arme, ce que la jeune femme avait du mal à comprendre. Elle ne pensait pas qu'il était possible d'aimer un endroit à ce point jusqu'à qu'elle entre dans cette pièce.
Malgré le charme certain de la bibliothèque, elle avait tout de suite compris quel avantage elle pourrait tirer de tant de savoir à sa disposition. Plus elle complèterait les informations qu'Asmodée lui avait fourni, moins elle aurait de chance de créer un chaos sans nom. Évidement, le fait d'avoir bu à la source de la sagesse l'aidait déjà, mais cela ne lui apportait aucune connaissance concrète. Elle ouvrait juste les yeux sur des détails qu'elle n'avait pas remarqué, comme la nature d'Asmodée, par exemple. Le problème avec tout ces livres était que la plupart d'entre eux étaient illisibles. Il y en avait une infime partie traitant du sujet l'intéressant en grec ancien, et absolument aucun des livres qu'elle désirait décortiquer était en français ou en anglais.
Poussant un énième soupir de désespoir, face à une phrase n'ayant aucun sens, elle posa doucement le livre sur un coussin à proximité. Elle posa son regard sur l'extérieur, la ville en contrebas bruissait de vie. Elle aurait pu observer cela plus en détail de son balcon, accessible de sa chambre, comprendre pourquoi une telle agitation, mais elle n'en avait pas la force. La jeune femme était souvent lasse, se sentant fatiguée par le moindre effort physique. Elle n'avait presque plus aucune migraine, mais lorsque cela arrivait, elle restait clouée au lit, incapable de simplement réfléchir correctement. Des pas se firent entendre, à peine étouffés par la moquette. Les nains étaient loin d'être des créatures discrètes, mais Hedda les surpassait de loin. Ou le faisait-elle exprès pour donner une image fausse d'elle ? Peut-être considérait-elle les nains comme ses ennemis et avait donc besoin qu'il la sous-estime...
« Thémis, l'interpella la guerrière. Il nous faut commencer les préparatifs pour la rencontre avec les sages des clans nains. »
Voilà la raison de tant d'agitation, les clans se réunissent exceptionnellement. Beaucoup d'échanges importants vont avoir lieu et tout autant d'alliances seront forgées.
Elle hocha simplement la tête, suivant Hedda, car elle ignorait en quoi consistaient ces préparatifs. Elle avait perdu la notion du temps en vivant sous terre, et n'avait aucune idée que la réunion serait ce jour-ci. Une robe l'attendait dans sa chambre, à sa plus grande surprise. Puisqu'elle était obligée de porter son uniforme de Voyageuse au quotidien, elle n'avait plus cette joie d'accorder sa tenue à ses envies.
Ils ne la respectaient pas parce qu'elle était une Voyageuse, mais parce qu'elle avait bu à la source Mimir.
Cette réalisation la frappa de plein fouet et si Hedda avait été encore dans la chambre, elle lui en aurait probablement fait part. Ces dernières semaines, elle n'avait pas songé à la raison de ce respect, acceptant la conclusion la plus rapide. Enfilant la robe, elle se contempla dans le miroir et décida de faire l'effort de se coiffer joliment. Les nains avaient aussi mis à sa disposition un ou deux bijoux se souvint-elle. Connaissant la réputation de ces êtres à forger des trésors convoités même par les dieux, elle ne fut pas étonnée d'être émerveillée par ce qu'elle trouva. Les fils dorés s'entrelaçaient pour former des formes complexes, lui rappelant les motifs celtiques qu'elle avait aperçu lors de ses recherches sur les druides en seconde. Des petites pierres précieuses se mêlaient au dessin, rendant le tout somptueux. La paire de boucle d'oreille était accompagnée d'un collier tout aussi doré, avec un motif miniature. Les pierres devaient être enchantée pour scintiller, elles avaient aussi cette étrange façon d'avoir une couleur mouvante. Des volutes vert eau dansaient lentement en leur sein. Fascinée, Luce n'entendit pas Hedda entrer. Le raclement de gorge lui fit relever la tête, brisant le charme.
« As-tu besoin d'aide pour natter tes cheveux ? proposa gentiment Hedda.
— Volontiers, accepta-t-elle. Tu n'as pas eu de robe ?
— Ils m'auraient fait une offense en suggérant une robe à une guerrière. Alors que pour toi, ils soulignent le fait qu'ils te voient comme une élue des dieux.
— A cause du fait que je me suis abreuvée à la source Mimir ? supposa Luce en se tournant de nouveau vers le miroir.
— Oui, grâce à Mimir. »
S'asseyant, la jeune femme se laissa faire, appréciant être soignée. Les doigts agiles de la guerrière firent leur travail efficacement, libérant le visage de la Voyageuse de toutes mèches rebelles.
« Tu ressembles à une Valkyrie par ta beauté, murmura la femme. Tu pourrais être une des filles d'Odin...»
Se retenant de faire un commentaire déplacé sur l'existence d'Odin et les croyances de sa compagne, elle remercia chaleureusement la viking avant de la suivre dans le dédale de couloir. Sa robe était faite d'un tissu léger, du même vert que les pierres de sa parure. Elle avait eu peur que le décolleté plongeant soit indécent puisqu'il s'arrêtait juste au-dessus de son nombril. Mais il avait assez de tissu pour ne rien dévoiler, chaque longueur partaient des épaule et se rejoignaient la ceinture dorée à sa taille, elles étaient parfaitement ajustées à sa petite poitrine. Ses manches étaient bouffante, de la même façon que sa tenue de Voyageuse, à la différence que celles-ci se resserraient à ses poignets. Inspirant un bon coup, certaine que son apparence était bonne et que cela serait un atout de porter ainsi les atours offert par ses hôtes, elle entra confiante dans la salle de réunion. Ignorant les regards la suivant, elle s'assit aux côtés des habitants de Midgard, tous portaient la même tenue sombre que Hedda. C'était un mélange de cuir souple et de tissu fluide, semblable à celui de sa robe, quoique pas dans les mêmes tons. En jettant un coup d'oeil circulaire, la jeune femme constata qu'elle était la seule habillée d'une couleur aussi claire. Se retant de déglutir, elle se concentra sur la séance venant de commencer.
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