Jour 19

9 minutes de lecture

    Luce dormait paisiblement, tout près de lui. Asmodée n'avait besoin que peu d'heures de sommeil, sa nature l'épargnant de cette perte de temps. Sauf que depuis quelques temps, peut-être à partir du moment où le ventre de Luce s'était réellement arrondit, il restait simplement éveillé à côté d'elle. C'était fascinant pour lui, cette vie qu'elle portait en elle, il était presque ému par ce miracle. Alors il la contemplait, l'effleurait doucement, au lieu d'aller vaquer à ses occupations. Surtout qu'il avait beaucoup d'affaires à régler pour monter sur ce foutu trône avec elle, des papiers et des alliances avec des démons mineurs. Il se demanda quel sort on avait bien pu lui jeter pour qu'il reste allongé à écouter la respiration tranquille d'une humaine. Il sentait que quelque chose la préoccupait, autre que sa grossesse, un problème angoissant sur sa nature de Voyageuse. Elle ne lui avait parlé de rien, mais il percevait cette tension interne lorsqu'elle lui posait des questions, il voyait ses regard perdu dans le vide, trahissant des réflexions intenses. Il en saurait plus bientôt, pour le moment il se contenterait de retourner à son travail. Cela ne lui servait à rien de s'éterniser ici. Il replaça une mèche de cheveux derrière son oreille, examina sa forme détendue et songea qu'être enceinte lui réussissait bien. Avant de s'égarer plus, il se leva, s'habilla et sortit.

    Le jeune femme atterrit non loin de l'hôpital de Shishiyo, rangeant rapidement sa bassine, elle se mit en route. Elle était au début de son deuxième semestre et allait avoir sa première vraie échographie. La première n'étant pas réellement indicative, juste pour un la rassurer, mais il n'y avait rien eu de très visible dessus. Là, ce serait réellement indicatif, elle pourrait entendre les battements du cœur de son enfant. Rien que cette idée l'avait mise de bonne humeur toute la journée, ce qu'il lui avait valu un regard blasé d'Asmodée. Confiante, elle entra dans l'hôpital et se dirigea vers l'accueil pour être orientée. Puis, après quelques étages passés, elle arriva dans la salle d'attente. Sortant un livre de la bibliothèque de Shishiyo, elle patienta en continuant ses recherches. Elle avait essayé de trouver des écrits sur les premiers Voyageurs, ceux de Mésopotamie, mais elle n'avait absolument rien trouvé. Elle avait épluché des livres en grecs anciens, lu des ouvrages anglais et latin, mais cela n'avait aboutit à rien. Ce fait inquiétait sérieusement Luce, qui ne savait pas si c'était Asmodée qui l'avait lancée sur une fausse piste, ou s'il y avait un lourd secret derrière le sceau du silence. La petite voix venant de Mimir lui soufflait de se tourner vers les Fugitifs, eux connaissaient peut-être la vérité et cela pourrait avoir un lien avec leur aversion pour l'Alliance ou n'importe quel État. Ce qui ramena ses pensées à un autre sujet, qui était tout autant une source d'angoisse, la guerre en court. Elle évitait d'y penser trop, car cela réveillait ses souvenirs de Nathanaël et la rendait anxieuse pour sa famille et ses proches. On l'appela et cela la fit revenir à la réalité, un peu pâle, elle entra dans la salle d'échographie.

    Les larmes aux coins des yeux, Luce scrutait l'échographie, réalisant qu'elle allait réellement donner la vie. Un frisson descendit le long de son dos, le froid des couloirs se faisait particulièrement ressentirent en ce début de mois de mars. La demeure d'Asmodée ne s'accordait en rien avec la nature et seule quelques pièces étaient chaudes. Elle qui pensait qu'on brûlait en Enfer, était un peu déçue. Arrivée devant la porte du bureau de son compagnon, elle toqua doucement et obtint seulement un grognement pour toute réponse. Se retenant de soupirer, elle prit sur elle et entra. Un désordre monstre régnait dans ce lieu, des papiers traînant même au sol. Des piles de livres étaient éparpillées à travers toute la pièce et certaine faisait la taille d'As', ce qui fit blêmir Luce qui songea que si elle lui tombait dessus...

« Que se passe-t-il ? l'interrompit Asmodée, sans lever le regard de sa paperasse. Je suis en plein dans mes recherches pour te trouver une robe lors du couronnement. Tu pourras me donner ton avis si tu le souhaites. »

Elle ne répondit rien, se contentant de s'avancer vers lui et de poser l'image de l'échographie devant lui. L'ange déchu haussa un sourcil avant de la regarder dans les yeux.

« Je ne suis pas sûr que ce soit terrible comme design pour faire bonne impression aux entités infernales.

— Très drôle, comme si j'avais envie de faire une bonne impression à la lie de nos Mondes. Voici la première échographie de l'embryon que je porte.»

Il la prit entre ses mains, délicatement, penchant la tête sur le côté pour essayer de comprendre ce qu'il voyait. Mais cela ne l'aidait pas, et comme il n'avait pas le courage de dire à la jeune femme que cela ne ressemblait à pas grand chose, il se contenta de lui rendre la feuille plastifier en silence. Leurs yeux se croisèrent de nouveau et l'étincelle de joie dans ses iris, fit monter en lui le désir de la serrer contre lui. Il déglutit, ayant soudainement soif et se pencha de nouveau sur ses recherches, si elle ne partait pas maintenant, il était probable qu'ils se mettent à avoir des ébats même en plein jour. Heureusement pour elle, Luce était intelligente. Elle avait vu la réaction de son compagnon lorsqu'il avait croisé son regard, son poing serré et cette pointe de désir brillante, il valait mieux qu'elle fuit vers la bibliothèque tout de suite. Serrant l'image contre son corps, elle avait le cœur qui battait bien trop vite pour elle. Elle n'était pas aussi inatteignable qu'elle l'aurait souhaité. Chassant ses pensées peu chastes de son esprit, elle se focalisa sur la poursuite de ses recherches. Il fallait aussi qu'elle trouve comment entrer en contact avec les Fugitifs. Elle en profiterait pour rentrer chez ses parents, leur annoncer la nouvelle de sa grossesse accessoirement, et mettre la main sur une indication. Normalement les Fugitifs laissaient des informations pour qu'on puisse les rejoindre si on le désirait. Et pour rentabiliser totalement ce Voyage, elle se renseignerait plus en détail sur cette guerre. En espérant que tout ce remue-ménage n'embêterait pas le bébé.

    Son reflet la perturbait, car s'était elle, mais en même temps, pas vraiment. Elle ne s'était pas vue aussi bien habillée depuis le conseil des nains à Nidavellir. Asmodée avait dû choisir avec soin chaque détail, de la couleur cendre de sa robe, aux dorures s'entremêlant avec le tissu bouffant suivant la forme du décolleté et se prolongeant sur les manches. La forme de la tenue était droite, moulant ses formes juste à la limite de la décence. Habillée de la sorte, avec les petits talons gris qui s'ajoutait parfaitement à l'ensemble, elle paraissait plus grande, plus mature. Son ventre ressortait légèrement, trahissant son état. C'était discret, mais c'était là. Cette petite bosse sur laquelle elle posa délicatement sa main ornée de bagues d'or fin. Elle s'interrogea sur l'origine de cette tenue, d'où il avait bien pu la sortir. Elle se sentait belle et étrangère à elle-même, plus femme et adulte, plus proche que jamais de compromettre son âme. Elle aurait dû fuir quand elle l'avait pu. Sauf qu'elle n'avait pas le choix, elle devait jouer le jeu, pour elle et pour les siens, risquant de se brûler les ailes à tout moment. Elle quitta des yeux sa silhouette, pour se concentrer sur l'image d'une autre, celle de son compagnon s'avançant vers elle. Ce n'est que lorsqu'il posa ses mains sur ses épaules, d'un geste si possessif, qu'elle réalisa qu'elle s'était déjà perdu trop loin dans les ténèbres pour espérer épargner son âme.

« Elle te va parfaitement. »

Elle ne sut comment, mais la jeune femme réussit à sourire malgré le trouble qui l'habitait. S'était-elle égarée au point de l'aimer ? Ou était-il encore temps de continuer la lutte ? Peut-être que son combat sur lisait dans la tension de ses épaules, car il proféra des paroles de réconfort au sujet du couronnement, se méprenant sur ses préoccupations internes. Elle se détendit un peu, songeant au voyage sur Terre qui lui ferait du bien, à contrario de l'annonce à sa famille. Elle sursauta de surprise lorsqu'Asmodée posa sa tête au creux de son cou, déplaçant ses mains vers sa taille pour l'encercler. Ils restèrent ainsi un moment, Luce caressant tranquillement le tatouage dorée de leur Promesse au poignet d'As' et lui écoutant simplement les battements du cœur de la blonde, revenue à la vie après leur engagement.

    Luce jeta le journal qu'elle venait de finir, il était tellement marqué par la propagande de l'Alliance, qu'elle ne pourrait jamais trouver une information fiable. Rien que penser à cela, lui rappela Lugh et presque automatique le lancement de la mission pour trouver le cœur d'Yggdrasil. Elle frotta son poignet où le bracelet imposé par l’État avait laissé une légère marque après qu'ils aient atteint leur but, obtenir le don. Le bibelot était tombé comme une mouche, désactivé par Yggdrasil, et cela avait permit à l'Alliance de savoir que quelqu'un possédait ce qu'il cherchait. Elle s'était vu au information un matin, quasiment un mois après qu'elle soit arrivée chez ses parents. Les politiciens l'avaient désigné comme la nouvelle proie des Voyageurs tout en expliquant qu'elle était prétendument morte. Les informations tronquées ou détournées qu'ils donnaient été aussi fiable que leur gazette. Massant ses tempes, un début de migraine se pointait au mauvais moment à cause de la complication imprévue de mettre la main sur quelque chose de fiable. C'était pourtant prévisible que la propagande entacherait la réalité de cette guerre. Elle comprit que son mal de tête ne passerait pas juste en se massant un peu les tempes, il lui fallait donc se rendre chez ses parents pour avoir un doliprane, mais surtout pour leur parler de ce qu'elle leur avait dissimulé si longtemps. Hésitante, elle resta un moment devant la porte, la main suspendu dans les airs avant de se décider à toquer. On lui ouvrit la porte et elle entra.

    Les chants calmes résonnant dans l'église apaisèrent son âme, séchèrent ses sanglots et pansèrent sa blessure. Ses parents l'aimaient, mais ils avaient demandé du temps pour digérer la nouvelle, cela en faisait trop d'un coup. Sans savoir par quel miracle, la jeune femme avait réussit à tout expliquer, omettant un détail inutile ou deux, sans être interrompue. Elle avait avoué tout de sa situation, comment elle s'était retrouvée engagée avec un ange déchu, pourquoi et finalement, elle avait dit à demi mot qu'elle était enceinte. Elle avait vu son père sur le point de s'énerver, partir dans ces crises de rage folle qui l'avait terrifiée durant des années. Peut-être que tout cela, et ses souvenirs désagréables avait fini par l'aider à revenir à la réalité. Elle avait un attachement certain pour Asmodée, c'était un fait et lutter contre cela serait vain. Cependant, il valait mieux pour elle qu'elle ne tombe pas dans l'idéalisation du personnage. Il ne comprendrait jamais si elle lui parlait des traumatismes de son enfance, des combats qu'elle avait mené pour devenir cette femme forte qu'elle était en partie. Sa foi était un pilier solide de sa vie, sa relation avec sa mère aussi, mais surtout, c'était ses amis qui l'avaient grandement aidés. Et c'était sur eux qu'elle devrait se reposer, car la compréhension dont elle avait besoin, elle pourrait la trouver chez eux. Ce fut en tout cas ce qu'elle se rappela lorsque Iris s'assit à côté d'elle. Elles étaient devenues quasiment comme des sœurs durant leur année au foyer. Luce savait à quel point elle pouvait compter sur elle, et posant sa tête sur son épaule, elle lui raconta tout. Iris avait placé son bras sur son épaule, sa chaleur enveloppé la jeune femme qui se sentit subitement fragile et forte à la fois. Elle ne devait pas oublier qu'elle pouvait s'appuyer sur les autres parfois, quand tout ce qu'elle portait devenait trop lourd. Bien-sûr, elle le savait et n'avait pas hésité à pleurer dans les bras de ceux qu'elle considérait comme ses frères et sœurs lors de la mort de Nathanaël. Elle était entourée par tant de gens qui tenaient à son bonheur, qu'elle avait parfois du mal à le réaliser. Parfois, il était juste dur pour elle d'accepter à quel point leur chemin s'étaient éloignés, rendant la compréhension entre eux compliqué. Pourtant, cela n'altérait en rien leur capacité à écouter. Ils savaient comment prendre soin d'elle, même en ayant aucune solution à ses problèmes, même quand elle n'osait pas tout dire. Il y avait eu beaucoup trop de fois où elle s'était retrouvée incapable de parler, d'expliquer son mal-être. Et ils avait toujours été là pour la relever, raviver la flamme de son espérance, car ils étaient le plus beau cadeau que Dieu lui avait fait.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Happy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0