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Si Gaëlla pensait avoir touché le fond après son arrestation, elle découvrait une nouvelle forme d’anéantissement, plus profonde encore, depuis son face-à-face avec Hona. Une souffrance sans nom la dévastait, à tel point qu’elle en venait à ne plus rien ressentir.
Malgré ce que je pensais, on peut vraiment atterrir plus bas que terre, réalisa-t-elle dans un instant de lucidité stoïque.
L’obscurité ambiante la maintenait dans un tourbillon de pensées tragiques, qui commençaient à la mener toutes au même point, à la même interrogation : vivre valait-il la peine, dans ces conditions ?
Le monde autour d’elle était fichu, l’Etat corrompu, son passé, son présent et son avenir ne lui inspiraient qu’écœurement et angoisse… Si elle devait mourir dans une cellule, autant écourter sa souffrance, songeait-elle, maintenant que le fatalisme ne l’effrayait plus.
Après de nouveaux jours d’enfermement, on l’interrogea encore. La jeune fille n’attendit même pas qu’on s’adresse à elle pour livrer des aveux complets sur ce qu’elle savait des actions secrètes de l’Etat, mais admit aussi qu’elle faisait partie des Ediles de l’Ombre, et qu’elle était responsable de l’attentat du Centre des Séances d’Approche.
Ils veulent que j’avoue, je ne vais pas lutter plus longtemps et leur servir ce qu’ils veulent entendre, s’était-elle dit dans sa cellule, quand toute logique avait commencé à lui échapper.
Mais loin de la laisser tranquille après ces fausses révélations, elle fut bombardée de plus de questions encore, et les séances d’audiences se multiplièrent, sans pour autant que ses conditions de vie ne s’améliorent.
Une nuit, alors qu’elle ruminait sa peine sans parvenir à trouver le sommeil après une éprouvante journée entrecoupée d’interrogatoires, de légères vibrations de son poignet la tirèrent instantanément de ses sombres réflexions.
Comme piquée par un escadron d’aiguilles, la jeune fille se redressa sur la couchette dure et humide de sa cellule, et palpa son avant-bras, interloquée.
Je n’ai pas rêvé, songea-t-elle, mon e-wrist s’est allumé !
Depuis des semaines qu’elle n’y avait plus accès, neutralisé dans un premier temps par Romickéo, puis par la police, Gaëlla avait l’impression d’avoir été amputée d’un membre. Trop fragilisée pour se fier à ses propres sensations, mais assez déstabilisée pour s’interroger, elle s’assit sur ses draps moisis et entreprit de déverrouiller son e-wrist dans la pénombre.
Cependant, malgré plusieurs tentatives, sa peau ne s’éclaira pas. La jeune fille avait beau toucher, appuyer autant qu’elle pouvait, son poignet semblait n’être qu’un assemblage de chair et d’os dépourvu de toute technologie intradermique.
Est-ce que tout ce que j’ai subi m’a finalement fait sombrer dans la folie ? Ou bien était-ce un bug ?
Alors qu’elle s’apprêtait à se rallonger, déroutée, elle ressentit à nouveau les vibrations parcourir son avant-bras, et avant qu’elle ait eu le temps de réaliser ce qui se passait, son e-wrist s’alluma, faisant luire son poignet dans l’obscurité du cachot. Elle ne put réprimer un cri, avant de plaquer sa main sur sa bouche et de se cacher sous les draps aussi vite que possible.
Médusée, elle s’aperçut qu’un appel était en cours avec un numéro inconnu. Elle tenta d’accéder à l’écran d’accueil, mais rien ne se passait lorsqu’elle touchait sa peau. Son e-wrist était figé sur l’appel, comme contrôlé à distance.
Contrôlé à distance…
Au moment où elle sentait un frisson parcourir son dos en pensant comprendre qui était derrière tout ça, une voix résonna dans la petite pièce depuis son poignet.
– Gaëlla ? Tu m’entends ?
La respiration courte, la jeune fille ne parvint pas à articuler le moindre mot.
– Si tu suis mes instructions à la lettre, tu as peut-être une chance de sortir d’ici, lui intima la voix de Romickéo.
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