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Gaëlla ouvrit la bouche pour protester, mais il s’empressa de poursuivre, avant qu’elle n’ait le temps de parler :

– Je ne les avais pas prévenus que je quittais le réseau lorsque j’ai « déserté », j’ai simplement cessé de participer à tout échange, d’ouvrir les messages du groupe. J’ai fait le mort, et ils pensent peut-être que je le suis vraiment, d’ailleurs.

Il balaya de sa main quelques cendres qui virevoltaient devant ses yeux, puis développa :

– Et pour me protéger, j’ai fait en sorte qu’ils ne puissent pas retracer ma position ; aucun des membres ne connaissait mes planques, que ce soit la décharge ou le Bitonio. Je suppose qu’ils ont cherché à me retrouver, et si je ne leur donne pas une excellente justification en revenant, ils me tueront à coup sûr, mais je pense avoir une excuse infaillible.

– Laquelle ? s’enquit Gaëlla.

La jeune fille commençait à se refroidir, alors que la nuit tombait et que la pluie ne faiblissait pas. Voyant qu’elle grelottait, Romikéo se rapprocha d’elle et ouvrit les bras. Elle se blottit sans hésiter dos contre son torse, et laissa sa nuque retomber contre la clavicule du jeune homme, qui entoura son ventre de ses bras et répondit :

– Il n’y a qu’une raison suffisamment forte pour les convaincre que je suis toujours de leur côté et leur faire croire que je les ai abandonnés contre mon gré. C’est de prétendre que j’ai été arrêté par les autorités au moment de l’attentat, et que j’ai finalement réussi à m’évader pour les retrouver, après des semaines d’emprisonnement. Et de torture, tant qu’à faire.

– Mais ils sauront bien que c’est faux ! Ils ne goberont pas ça si tu n’as aucune preuve, répliqua Gaëlla.

Une bourrasque s’engouffra dans la cavité rocheuse. Romikéo resserra son étreinte autour de sa taille pour la réchauffer.

– Je n’aurai qu’à dire que c’était moi, le terroriste incarcéré qui a avoué être responsable de l’attentat et de tous leurs autres méfaits. Je prouverai que je ne les ai pas balancés mais que j’ai au contraire pris toute la charge, pour retrouver leur confiance.

Gaëlla resta sans voix un instant, désarçonnée, avant de se reprendre.

– Tu veux donc laisser croire que tu étais en prison à ma place ? Mais… puisque tu as tout de même trouvé mon identité en faisant des recherches, est-ce qu’ils ne savent pas déjà la vérité ?

– Tu n’es pas apparue dans les médias, et je suis le meilleur hackeur du groupe des Ediles, en toute modestie. C’est grâce à mes compétences que j’ai appris cette information ; j’ai dû pirater le système du Quartier de la Sécurité, n’importe qui ne peut pas le faire.

Loin d’être persuadée qu’il s’agissait d’une bonne idée, Gaëlla se détacha de lui malgré la morsure du froid et tenta de le dissuader à coups d’arguments de plus en plus désespérés, mais elle fut forcée de constater que le jeune homme semblait avoir déjà pris sa décision.

– Tu devras me raconter chaque détail de ton séjour derrière les barreaux, et je broderai à partir d’éléments réels, pour limiter les risques s’ils m’interrogent, ce qu’ils ne manqueront pas de faire, dit-il. Une fois que j’aurai regagné leur confiance, qu’ils croiront à ma loyauté et ma bonne foi, je serai en mesure d’agir au sein du groupe à nouveau. Je devrai la jouer finement pour ne pas me griller, sans pour autant me rendre complice de nouveaux crimes. Ça je ne le supporterais pas…

Il laissa son regard dériver jusqu’à se perdre dans ses souvenirs, tandis que Gaëlla sentait l’appréhension la gagner insidieusement. Ce plan fou lui paraissait absurde et irréaliste. À ses yeux, cela revenait à se rendre aux autorités, avec la menace d’être éliminé en plus.

– Et donc, tu veux pousser les Ediles de l’Ombre à renverser le pouvoir pour anéantir le système, sans effusion de sang ni victimes innocentes, résuma-t-elle. Tu es un vrai utopiste, tu m’avais bien prévenue depuis le début, mais je ne te pensais pas idéaliste à ce point…

– Simplement pacifiste, corrigea Romikéo. Et je me sens trop concerné par le sort de nos compatriotes pour les laisser aux mains d’un gouvernement assassin et d’un groupe terroriste qui n’a pas plus de scrupules…

– Ah bon ? Parce qu’avant, je te rappelle que tu ne te gênais pas pour leur faire subir ta vengeance de paria rejeté et faire en sorte qu’ils se sentent comme des rats dans leur trou, pour te citer, le charria la jeune femme. Enfin, tout ça pour dire que je trouve ton idée bien trop dangereuse, c’est insensé, Mik…

L’entêté n’en démordit pas. Elle finit par abandonner, et soupira de frustration en comprenant qu’elle ne remporterait pas la joute verbale.

– Et quand veux-tu partir ? l’interrogea-t-elle, désabusée.

– Dans un premier temps, je vais les recontacter virtuellement, pour tâter le terrain et me laisser le temps de me rapprocher d’eux. Si je vois que je ne me mets pas trop en danger en les rejoignant, alors je partirai.

À ces mots, Gaëlla sentit ses yeux s’embuer, mais elle refusa de laisser ses émotions prendre le dessus, et se contenta de grommeler qu’elle en avait assez entendu, et qu’elle était fatiguée.

Elle n’attendit pas de réponse et commença à se préparer pour dormir, laissant Romikéo assurer le premier tour de garde d’office.

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