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Avant que le cerveau de Gaëlla n’ait eu le temps d’appréhender ce qu’il percevait, Hona se jeta sur elle, bousculant les personnes assises autour du petit-déjeuner. Dans un réflexe de défense, Gaëlla ferma les yeux et se roula en boule sur le côté, mais aucun coup ne l’atteignit.

Elle rouvrit les paupières, incrédule, en sentant l’étreinte de Hona contre elle. La jeune fille avait passé ses bras autour de son dos, la serrant plus que nécessaire, et était secouée de sanglots.

– Qu’est-ce que…, fit la voix anxieuse de Romikéo. Gaëlla, tu la connais ?

Cette dernière se dégagea de l’embrassade non sollicitée et inattendue de la fille qu’elle avait un jour pris pour une amie, avant de se tourner vers son compagnon avec un regard noir. Ils avaient convenu entre eux de ne pas utiliser leur nom, pour éviter que les gens qu’ils rencontrent ne fassent le lien avec les fugitifs recherchés dans tout le pays, en espérant qu’ils ne reconnaissent pas leur visage.

Conscient qu’il venait de faire une boulette, Romikéo s’empressa de reprendre, s’adressant à Hona d’un ton impérieux :

– Eh, qui es-tu ? Ça va pas de sauter sur les gens et de bousculer tout le monde comme ça ?

– C’est bon, Mik, marmonna Gaëlla.

Elle se mit debout et fit face à Hona, qui essuyait des yeux bouffis du revers de la manche de son sweat.

– Qu’est-ce que tu fais là ? l’interrogea-t-elle froidement.

Hona mit un instant pour se remettre de ses émotions, puis se tourna vers le groupe ahuri, et dit d’une petite voix :

– Je suis désolée, en voyant Gaëlla je n’ai pas réfléchi, j’ai foncé… Pardon de vous avoir un peu poussés.

Un peu poussés ? Elle m’a carrément renversé et marché sur les doigts, ronchonna l’un des étudiants, en croquant une poignée de fruits secs.

– Je sais que tu me détestes, reprit Hona en ignorant sa remarque et en se tournant à nouveau vers Gaëlla, sûrement autant que j’ai pu te haïr quand je croyais que…

– Viens, on va parler ailleurs, la coupa abruptement Gaëlla.

Elle la saisit par l’épaule et l’entraina à l’écart des membres du groupe, qui les dévisageaient d’un air médusé. Une fois qu’elles furent hors de portée de voix et que les manifestants autour d’eux étaient trop absorbés dans leur propre conversation pour leur prêter attention, Gaëlla planta ses yeux dans ceux, rouges et tristes, de Hona.

– Tu vas me dire que tu as compris que j’étais innocente, que tu étais manipulée par le gouvernement affreux qui nous dirige, que depuis toutes ces révélations sur ses horribles méfaits, tu as ouvert les yeux… C’est ça ?

– Dis-moi que c’est vrai…, l’interrompit Hona, comme si elle n’en pouvait plus d’attendre. Dis-moi que tu n’as pas… que l’attentat…

– Bien sûr que non, ce n’était pas moi ! s’insurgea Gaëlla. On m’a accusée à tort, mais c’est une longue histoire…

– Je… je suis tellement désolée… Je ne sais pas quoi… pas quoi te dire, oh, Gaëlla, pardonne-moi, balbutia Hona, avant d’éclater à nouveau en sanglots. Tu comprends, je pensais que… À ma place, tu aurais réagi comme ça aussi, n’est-ce pas ? Je ne pouvais pas deviner à quel point notre système était pourri de l’intérieur…

Gaëlla, que la colère avait quitté, frotta maladroitement le dos de la jeune fille, tandis que celle-ci se mouchait sans cesser de pleurer. Gaëlla ne savait pas bien si elle était heureuse ou indifférente à ces confessions, ni si elle pourrait un jour retrouver le lien qu’elle partageait autrefois avec Hona après qu’un quiproquo si important les ait déchirées.

– Tu sais, je te cherchais dans la foule depuis des jours, reprit Hona, la voix un peu plus stable. Dès que j’ai appris tout ce que… Enfin, je participe à toutes les manifs et je scrute la masse en permanence dans l’espoir de t’apercevoir. Je tente ma chance vers les tentes chaque matin, alors te croiser aujourd’hui, c’est…

– C’est drôle, la coupa Gaëlla, j’aurais pensé que tu ne croirais jamais à ces révélations sur l’Etat. Il y a encore des tas de gens qui soutiennent et défendent le système, trop formatés pour penser autrement ou par eux-mêmes…

– C’est vrai, mais au fond de moi, je ne voulais pas réellement te juger coupable. Je n’imaginais pas que tu aies pu participer à l’attentat, donc je nourrissais un mince espoir que tout soit faux, tel que tu me le disais…

– Arrête ton char, ricana Gaëlla, tu étais convaincue de ma culpabilité, et tu n’as pas remis en question les accusations une seconde.

Hona baissa le regard, trahissant sa gêne. Gaëlla n’insista pas et se détourna. Derrière elles, elle distingua Romikéo, qui les fixait de loin, l’air perturbé. Hona demanda :

– Tu es en cavale, n’est-ce pas ? Est-ce que tu as besoin de te cacher ? Je peux t’héberger aussi longtemps que tu veux…

– Merci, mais ce ne serait pas une idée très intelligente. Les autorités te surveillent sûrement, sachant qu’on était proches. Avec ta puce, je ne serais pas étonnée qu’ils te tracent minutieusement.

– Mais après notre dernière entrevue, ils ne soupçonnent sans doute pas que l’on se retrouve, réfuta Hona. Tu pourrais loger chez moi, je peux même te laisser ma bulle. Je dirai à mon compagnon de ne pas poser de questions, ou alors j’inventerai une histoire…

– Ton compagnon ? répéta Gaëlla, un peu malgré elle. Tu as trouvé un partenaire de vie, ça y est ?

Le visage de Hona s’assombrit. Ses yeux encore brillants exprimèrent soudain un mépris teinté de dégoût.

– Ouais, on s’est référencés ensemble il y a deux semaines, mais c’est pas le prince charmant. À peine les documents signés, il a changé du tout au tout. Il faisait partie des prétendants avec qui j’avais gardé contact après les Séances d’Approche, l’un de ceux qui a survécu à… à l’attentat.

Gaëlla nota que la jeune fille avait encore du mal à évoquer le tragique épisode sans que sa voix ne déraille. Elle l’interrogea d’une voix douce :

– Pourquoi tu dis qu’il a changé dès que vous vous êtes déclarés à l’Etat ? Il n’est tout de même pas violent envers toi ou autres ?

– Non, non, rien de tout ça, ne t’en fais pas, s’empressa de démentir Hona. C’est juste qu’il a très vite délaissé ses bonnes manières, sa galanterie… J’ai cru que j’étais en train de tomber amoureuse, mais ça a été tellement rapide entre nous… En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, il est devenu plus grognon, paresseux. C’est moi qui me charge de tout à la bulle qu’on partage, et il me prête à peine attention.

Devant l’air abattu et amer de son ancienne amie, Gaëlla se sentit désolée pour elle, et pour la vie qui l’attendait.

– Il me parle déjà d’adopter un bébé, reprit Hona, une trace d’hésitation et d’angoisse dans la voix. Mais je ne sais pas si je suis prête, Gaëlla… Et puis, s’il reste un tel boulet définitivement, je ne sais pas si je pourrais… je ne me vois pas élever un gosse seule. Parce que je sens qu’il ne lèverait pas le petit doigt pour m’aider, vu comment c’est parti.

Soupirant de frustration, l’air désespéré, elle sembla chercher du réconfort dans la ficelle de son sweat qu’elle tripotait distraitement. Incertaine quant à la façon dont elle devait réagir pour soutenir la jeune fille, Gaëlla choisit de lui prendre la main et de la serrer sans un mot.

Hona leva les yeux. Elles partagèrent un regard rempli de compréhension, qui sembla durer de longues minutes. Et au milieu de cet échange subtil les unissant, Gaëlla décida d’accorder à nouveau sa confiance à Hona.

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