— J'imagine que notre tunnel est conçu de manière à ce qu'on ne puisse pas réveiller les bébés, dit Lasia en désignant les poupons, qui dormaient à poings fermés. Hé, mais cette horloge est gigantesque !

Gaëlla suivit son regard mais n'eut pas à chercher, un hologramme d'horloge géante flottait dans les airs à des centaines de mètres. Il était fait de manière à ce qu'on puisse voir l'heure depuis n'importe quel angle. Il affichait en rouge un compte-à-rebours qui rappela vaguement à Gaëlla celui des bombes dans les films.

— Quatre minutes et vingt secondes, lut Lasia. Tu crois que ça correspond à quoi ?

— On verra quand il arrivera à zéro. Regarde, il y a d'autres visiteurs, remarqua Gaëlla.

Très loin devant eux, un petit groupe évoluait aussi sur la passerelle de verre, mais les jeunes filles en étaient si éloignées qu'ils ne les auraient pas entendues si elles avaient crié.

— Ce doit être des gens de notre âge qui ont aussi reçu le pass récemment, supposa Lasia.

Le badge qu'elles portaient en collier avait été distribué par leur école, pour leur permettre d'avoir accès aux pouponnières, l'endroit où ils avaient tous grandis durant les trois premiers mois de leur vie, avant d'être distribués à des couples éleveurs. Le gouvernement mettait ces visites en place afin que chacun puisse, à partir de quinze ans, comprendre et voir d'où il venait, retracer sa naissance. Cette sortie n'était pas organisée avec l'école, pour que tout le monde ait le loisir de s'y rendre individuellement ou avec ses parents éleveurs.

— Est-ce qu'on peut visiter les immeubles à côté des carrés ? demanda Lasia en regardant sur le plan du formulaire.

— Je ne pense pas, ce sont les résidences des mères porteuses, répondit Gaëlla. Il n'y a rien à voir.

— Quel affreux métier, dit son amie. Etre obligée de vivre sans cesse ce cycle infernal, jusqu'à ce qu'elles soient trop... usées pour ça.

Gaëlla avait ouvert la bouche pour répondre, mais une voix résonna soudain autour d'elles dans le tunnel.

— À quatre mètres sous vos pieds, commença la voix, qui suivait leurs déplacements en retentissant le long des parois transparentes au fil de leur marche, la future génération de notre espèce dort paisiblement. Les cellules au-dessus desquelles vous passez accueillent les nouveaux-nés de zéro à deux semaines. Avant leur naissance, la grossesse des mères porteuses à partir de sept mois, se fait au sein des centres prévus à cet effet. Des parcs et des piscines sont à leur disposition. Elles passent leur temps dans les bâtiments et les espaces qui leur sont attribués avant leur accouchement.

— Tu parles, elles sont exploitées... Elles ne rêvent que de se tirer de là, j'en suis sûre, marmonna Gaëlla.

Lasia hocha vivement la tête en signe d'assentiment, tandis qu'elles poursuivaient leur visite.

— Du premier mois de la grossesse au sixième, les mères porteuses travaillent au sein des structures préparant les nourrissons à leur future adoption. Formées à ce métier depuis leur entrée dans le quartier des pouponnières, elles assurent, encadrées par des puériculteurs certifiés, le rôle d'auxilières de puériculture...

Soudain, les chiffres de l'horloge géante se mirent à clignoter.

— Le compte à rebours est terminé, remarqua Lasia. Tu crois que c'est pour délimiter notre temps de visite dans cette salle ?

— Non, je ne pense pas... Nous sommes de simples visiteurs, ce doit être en lien avec le fonctionnement du système.

À l'instant même où ces mots franchirent les lèvres de Gaëlla, des dizaines de portes, de chaque côté de l'immense salle, s'ouvrirent simultanément. Les deux jeunes filles s'arrêtèrent pour observer l'agitation qui s'ensuivit sous leurs pieds.