61
La jeune fille poursuivit sa course aussi longtemps que son corps affaibli put la porter, mais finit par trébucher sur une racine en travers du sentier, et s’écroula dans la poussière en crachant ses poumons. Lorsqu’elle avertit Romikéo qu’elle n’était plus en mesure de maintenir le rythme, celui-ci la poussa à continuer en marchant à l’allure qu’elle pouvait.
– Mais où veux-tu que j’aille ? geignit-elle, à bout de souffle et de force. Est-ce que je me dirige au moins vers une destination précise ?
– Fais-moi confiance, je ne t’ai pas fait évader avec tous ces périls pour te lâcher au milieu des bois. Je ne promets pas qu’échapper aux recherches des autorités soit évident, elles ne lâcheront pas l’affaire, mais si tu as pu leur filer entre les mains une fois, tu peux peut-être aussi rester sous les radars un moment.
Plusieurs heures encore, Gaëlla fut contrainte de mettre un pied devant l’autre, s’efforçant d’ignorer les signaux d’alerte de son organisme poussé dans ses limites. Parfois, le bruit d’un hélicoptère survolant la zone la tirait de l’état modifié de conscience dans lequel son instinct de survie l’avait plongée afin qu’elle soit capable d’enchainer les pas malgré sa condition.
En percevant le bourdonnement caractéristique des hélices, la jeune fille s’empressait de se dissimuler derrière un rocher proche, ou de se coller au tronc d’un arbre particulièrement feuillu. Elle restait immobile jusqu’à ce que l’engin s’éloigne et que son ronflement s’évanouisse, puis reprenait son chemin sans perdre de temps.
Alors que la soif la consumait plus sournoisement que la souffrance physique, l’annonce de l’arrivée d’un nouvel hélicoptère la força à se camoufler dans l’ombre d’une large branche abattue sur le côté du sentier. L’appareil rasa la cime des arbres de si près qu’elle crut que le feuillage allait s’envoler.
La jeune fille retint son souffle, recroquevillée sur elle-même sous la ramure, tandis qu’il effectuait des rondes quelques mètres plus haut, avant de rester en vol stationnaire une dizaine de secondes. Gaëlla sentait qu’en se redressant, elle pourrait presque croiser le regard du pilote, et espéra de tout son cœur que la branche et son ombre la dissimulaient suffisamment.
À son plus grand soulagement, le ronronnement du rotor et du vent dans les palles de l’hélicoptère s’atténua, signe qu’il s’en allait. Par mesure de précaution, la jeune femme resta encore en boule plusieurs instants, avant de se relever, plus chancelante que jamais.
Elle ne sut comment ses jambes, comme remplacées par des brindilles prêtes à craquer, supportèrent son poids jusqu’à ce que Romikéo reprenne contact avec elle, une bonne demi-heure après l’incident.
– Tu me reçois, Gaëlla ? Ecarte-toi du chemin par ta droite, à présent, la dirigea-t-il.
Gaëlla obtempéra sans perdre son énergie à répondre, et la concentra plutôt à évoluer dans les fourrés en tentant de ne pas s’esquinter plus qu’elle ne l’était déjà, sur près d’un kilomètre supplémentaire.
Elle se sentait proche du malaise lorsqu’une forme se détacha des troncs devant elle. Romikéo avança dans sa direction, une sorte de sourire soulagé et contrit sur la face. Il se précipita en avant quand elle s’écroula, et la réceptionna dans ses bras.
Annotations
Versions