Je marche direction la maison, perdue dans mes pensées. Toute cette histoire est vraiment bizarre. Je suis presque certaine que nous avions le même âge. Me serais-je trompée ?

Lucas est particulièrement silencieux, comme si mes réflexions étaient siennes et qu’il s’effaçait pour me laisser parler.

Il est si doux comme garçon. Je me rappelle qu’il était mignon, quand nous étions petits, et aussi un brin espiègle, de quoi plaire à toutes les filles.

– Et maintenant ? lui demandé-je.

– Est-ce que je suis toujours mignon et espiègle ?

– Oui.

– Eh bien, je suppose que je suis resté à peu près le même, avec une dizaine d’années supplémentaires.

J’acquiesce.

– Oh ! J’y pense ! Ce week-end, je quitte la ville, lui appris-je.

– Ah ? Ah bon…

Serait-ce de la déception que je ressens dans sa voix ? me demandé-je.

– Je vais faire du shopping à Paris, précisé-je.

– OK.

– On va pouvoir tester la théorie de la distance.

Ouais… Finalement, ma présence la gêne. Ne veut-elle plus de nous ? Si vite…

– Ne sois pas triste… Je me dis que ça va nous faire du bien de pouvoir réfléchir un peu à tout ça. Et puis, je serai rapidement de retour.

– Tu as sûrement raison.

Cependant, mon cœur cogne lourdement dans ma poitrine, à l’unisson du sien.

– Je n’irai qu’une journée, lui assuré-je. Histoire de remplumer ma garde-robe et vérifier notre théorie.

– Ne t’embête pas pour moi. Je suis capable de rester seul.

– Je sais, mais…

– Je t’ai dit que ça allait ! me coupe-t-il sèchement. Après tout, ce merdier s’arrêtera peut-être d’un coup. Et ce ne sera pas plus mal !

M’attacher est une mauvaise idée, rien ne me dit qu’elle ne me quittera pas définitivement un jour.

Après un silence chaotique, il reprend, plus tranchant que jamais.

– Vas-y, barre-toi, qu’on redevienne normaux et tranquilles !

À la fois surprise et secouée, je sens une larme couler le long de ma joue. J’ai l’impression de m’être pris une gifle.

Je lui parle d’une courte séparation et lui me dit qu’il préférerait ne m’avoir jamais rencontré ? Je ne le connais pas, non, c’est vrai. Alors pourquoi est-ce que ça me fait si mal ? Et surtout, pourquoi ai-je l’impression que ne pas le connaître n’a aucune importance ? Car je l’accepte déjà sans même l’avoir rencontré. Nous ne sommes pas comme tout le monde. Je ne l’ai jamais vu, mais finalement, je sais qui il est. C’est pourquoi l’entendre me parler si froidement me fait mal au cœur. J’ai tellement honte tout à coup, que la colère s’insinue sournoisement en moi, et tout le monde sait que la meilleure défense est l’attaque. Alors je défends mes sentiments naissants.

– Connard, lui asséné-je. Tu n’es qu’un con.

J’attrape mon casque qui attend bien sagement sur ma nuque et le remonte sur mes oreilles. Musique à fond, je me ferme au monde, le temps de me calmer, mais surtout, d’oublier ma déception. J’essuie ma joue humide et tente de me concentrer sur les paroles de la chanteuse. Ma colère s’estompe, lentement, remplacée par la tristesse.

Je voulais lui proposer de nous rencontrer, le week-end prochain, ou bien dans la semaine. Il l’a sûrement intercepté, mais je souhaitais lui en parler « de vive voix ». Eh bien, c’est raté…

Un sanglot m’échappe et je me sens stupide. Je sais que ne plus avoir ce lien télépathique serait la meilleure des solutions.

Tu le penses vraiment ? me demande la petite voix de la conscience dans ma tête.

Je ne me réponds pas. J’ai trop peur de déclencher une migraine.

Mais, malgré tout, même si ne plus l’entendre était sûrement mieux pour notre santé mentale, cela m’attristerait. Il est facile à vivre, gentil, drôle, et penser que je pourrais découvrir ce qu’est devenu le petit garçon de mon enfance…