– Il t’arrivait de manger dans ta chambre ? demandé-je en repensant au plateau-repas.

– Non, je ne crois pas. Je me rappelle plutôt manger avec mon père et ma mère à table. Que ce soit avant ou après mon déménagement, on a presque toujours mangé dans la cuisine. La salle à manger était seulement occupée lorsque nous avions des invités, ou bien pour de grandes occasions.

– Donc, ton lit, non, conclus-je.

– Donc, mon lit, non, confirme-t-il.

– Lucas… hésité-je.

– Je n’en ai aucun souvenir, répond-il à la question qu’il lit dans mon esprit. J’ai eu une vie totalement normale ! Je ne me rappelle pas avoir été si… malheureux.

– C’est sûrement mieux, soupiré-je. Alors, tout ce dont tu es certain, c’est que cette chambre ne t’est pas familière. C’est quand même mince comme indice pour débuter…

Piteux, il acquiesce.

Il ne se souvient de rien. Rien… Comme…

– Oh ! remarqué-je comme si une muse me soufflait une réponse à l’oreille. Peut-être y a-t-il un rapport avec ton départ en primaire ? En plus, tu avais l'air d'avoir à peu près le même âge et on ne se souvient pas des mêmes choses. Ta mémoire semble te faire défaut. Ça ne peut pas être le hasard. Tout est sûrement lié !

– Tu penses ? demande-t-il, tandis que nos cœurs font des bonds dans nos poitrines

– Oui, réponds-je, quasi convaincue à présent.

– Mais, je ne vois pas ce qui a bien pu m’arriver.

– Ça, Lucas, tu le sauras peut-être en retrouvant tes souvenirs.

Je sors mon téléphone de la poche de ma veste et vais sur internet.

– Rachel ?

– Hum ?

– Que fais-tu ? me demande-t-il avec curiosité, comme s’il n’avait pas suivi la totalité du cours de mes pensées.

– SNCF. Je rentre. Cette idée de virée était principalement motivée par la question de notre connexion. Mais, maintenant que nous avons notre réponse, je n’ai plus rien à faire ici, je reviens.

– Attends ! Tu es sûr ? Le train, ça coûte plutôt cher… fais au moins deux ou trois boutiques encore.

– Je regarde les horaires du prochain TGV. Hmm… le plus tôt est dans deux heures. Ça me convient. J’en ai déjà pleins les pattes ! le rassuré-je, tandis que j’échange mon billet préalablement acheté par celui-ci.

– Menteuse.

Je tire la langue dans le vide et il rit. Pas longtemps…

– Je vais venir te voir, lui avoué-je. Dis-moi que tu veux bien.

– Évidemment, j’en ai envie, m’assure-t-il avec chaleur.

Le sourire aux lèvres, je retourne à la librairie où, après avoir hésité pendant une demi-heure, je finis par choisir cinq romans. J’aurais pu en prendre plus, mais l’idée de les porter m’en dissuade. Il faut dire que j’ai également mes sacs de vêtements, et je les tient à la Pretty Woman. Classe qui disparaît lorsque je rajoute le sac plastique bleu roi de la librairie qui écrase tous les autres… Néanmoins, je poursuis mon shopping.

Après avoir acheté une petite figurine en porte-clef représentant un personnage de mon manga favori, un mug avec un couvercle à l’effigie de cupcakes et muffins, et un bandana pour Jonto, mon compagnon à quatre pattes, il est maintenant temps de monter dans le train.

Mon excitation est à son comble, je sautille presque sur mon siège de deuxième classe, en attendant avec empressement que le paysage défile. Puis, il démarre enfin. Le trajet dure certes moins de deux heures, mais je dois tout de même prendre mon mal en patience.

En situation normale, j’aurais probablement attendu encore un peu pour le voir. Mais nous ne sommes plus en « situation normale ».

J’en suis là de mes réflexions quand les parents de Lucas descendent de voiture devant leur jardin. Leur fils leur bondit littéralement dessus.

– J’ai besoin de vous parler. C’est important ! dit-il avec une agressivité soudaine nourrie par la peur.